Pourquoi le débat sur la transition énergétique est mal posé<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
France
Pourquoi le débat sur la transition énergétique est mal posé
©

Discussions vertes

Alors que le débat sur la transition énergétique débute ce jeudi, il est important de rappeler que les décisions concernant l'énergie en France ne doivent pas être prises à chaud mais faire suite à la consultation de scientifiques et d'experts qualifiés.

Stephan Silvestre

Stephan Silvestre

Stephan Silvestre est ingénieur en optique physique et docteur en sciences économiques. Il est professeur à la Paris School of Business, membre de la chaire des risques énergétiques.

Il est le co-auteur de Perspectives énergétiques (2013, Ellipses) et de Gaz naturel : la nouvelle donne ?(2016, PUF).

Voir la bio »

Atlantico : Le débat sur la transition énergétique débutera le 29 novembre prochain. Cette grand-messe, qui est censée se faire avec "l'ensemble des parties prenantes" (associations, entreprises, État et collectivités locales) peut-elle aboutir malgré le gouffre idéologique qui sépare les différents intervenants ?

Stephan Silvestre : Que ce soit le nucléaire, le gaz de schiste, les éoliennes, l’automobile ou encore les lignes à haute tension, les sujets énergétiques sont toujours très passionnels en France. Sur chacun des dossiers, les clivages sont forts entre les parties prenantes et les pouvoirs publics sont écartelés entre les enjeux économiques, sanitaires, sociaux et environnementaux.

L’énergie sert à organiser la matière, donc à créer, produire. Pour les écologistes, elle est donc fondamentalement synonyme de productivisme, consommation et pillage des ressources. En conséquence, la transition énergétique ne peut passer que par une diminution du recours à l’énergie.

En face, pour les industriels, et avec eux les syndicats, elle est synonyme de création de valeur : pour croître, il faut de l’énergie, même si on améliore l’efficacité énergétique (production par unité d’énergie). La transition est envisageable, mais en la planifiant dans le temps et à condition de ne pas dégrader la productivité.

Les collectivités territoriales, elles, souhaiteraient ménager la chèvre et le chou : tenir compte des aspirations de leurs administrés à une meilleure qualité de vie, tout en favorisant l’activité économique locale.

Quant à l’État, outre les problèmes de financement, il doit en plus intégrer des aspects de santé publique, que les gouvernements traitent toujours à travers le prisme déformant de l’affaire du sang contaminé. Enfin, il doit aussi tenir compte de l’indépendance énergétique, point majeur de souveraineté nationale.

En dehors de quelques points particuliers, comme l’amélioration de l’efficacité énergétique ou le soutien à la recherche, il n’y aura donc pas de consensus et le gouvernement devra trancher sur chaque dossier, suscitant immanquablement des mécontentements.

Des associations comme "Greenpeace" et "Les amis de la terre" ont claqué la porte tandis que Pascal Colombani a dû être remplacé par Georges Mercadal et Michel Rollier. Cela révèle-t-il une certaine immaturité de la société française sur les enjeux énergétiques ?

Georges Mercadal a une longue expérience dans l’urbanisme et le bâtiment et saura analyser ce qui est envisageable dans ce domaine. Michel Rollier, ex-PDG de Michelin, pourra, lui, se prononcer sur les enjeux de l’industrie automobile. Cela rééquilibre le comité de pilotage. Quant au départ sous la pression de Pascal Colombani, un grand industriel qui a énormément contribué au développement de l’industrie et de la technologie énergétiques françaises,  il dénote un obscurantisme inquiétant. Les choix stratégiques dans l’énergie, de même que pour les OGM ou les nanotechnologies, ne peuvent pas être faits sans l’avis des spécialistes, qui peuvent déterminer les limites des technologies ainsi que les conditions dans lesquelles elles peuvent être mises en œuvre.

Par exemple, Pascal Colombani a contribué au lancement du réacteur ITER. La fusion nucléaire pourrait un jour permettre l’accès à une électricité abondante et pour ainsi dire sans combustible. Couplée à l’électrolyse de l’eau, elle permettrait la production massive d’hydrogène, un possible substitut aux carburants hydrocarbonés. Est-il raisonnable de statuer sur un tel dossier sans l’avis d’un scientifique ? Les périodes de l’Histoire durant lesquelles on a enfermé des scientifiques ne sont pas celles du meilleur épanouissement de l’Humanité.

Nos voisins abordent ces questions de façon bien plus pragmatiques. Par exemple le Danemark, qui se veut le fer de lance européen de l’énergie verte, a accordé des permis d’exploration de gaz de schiste, dont un en périphérie de Copenhague. Il l’a fait en y adjoignant toutes les précautions réglementaires requises quant à l’environnement. Pourquoi ? Parce que le gaz présente un meilleur bilan environnemental que le charbon, encore abondement utilisé dans les centrales électriques. Avant de conclure, il faut évaluer.

Quel type de négociation plurielle permettrait selon vous d'aborder de manière apaisée la question de la transition énergétique, dont les enjeux sont bien réels ?

Le mix énergétique français présente des atouts et des faiblesses. Parmi les premiers, citons un taux d’indépendance énergétique correct (de l’ordre de 50 %), un faible recours au charbon ou encore un coût de production d’électricité assez bas. Au rang des faiblesses, on compte une dépendance aux hydrocarbures encore trop forte (la moitié de l’énergie primaire consommée).

Pour le faire évoluer, des investissements colossaux vont être nécessaires (unités de production, infrastructures de transport de nouvelle génération, recherche et développement, bâtiment basse consommation…). Ils concerneront de nombreux secteurs : énergie, bien sûr, mais aussi automobile, bâtiment, aéronautique ou agriculture. Or, dans ce domaine plus encore que dans d’autres, les cycles d’investissement sont très longs, de l’ordre de plusieurs décennies, et les conséquences économiques très lourdes : de un à plusieurs points de PIB annuel.

La guerre de tranchée qui s’est engagée augure mal du résultat. Les décisions, qui engagent l’avenir du pays, ne doivent pas être prises à chaud, dans une ambiance passionnelle. Elles doivent faire suite à la consultation de scientifiques et experts qualifiés et être jalonnées dans le temps.

Enfin, il est impératif d’inscrire notre politique énergétique dans le cadre européen. D’une part pour des raisons techniques (développement de nouveaux points d’interconnexion aux frontières, architecture du réseau électrique au niveau européen, tracé des gazoducs, normes environnementales, etc.), mais aussi pour des raisons économiques (répartition des unités de production, des raffineries, harmonisation des marchés financiers, des politiques d’approvisionnement) et surtout pour des raisons politiques (engagements internationaux, réglementation, indépendance énergétique). Une fois le cadre fixé, les discussions nationales et locales peuvent être engagées pour affiner la mise en œuvre et le calendrier. Procéder dans le sens inverse serait voué à l’échec.

 Propos recueillis par Théophile Sourdille

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !