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Pourquoi la loi Pacte risque de ne pas libérer autant la croissance que Bruno Le Maire ne semble le croire
©BERTRAND GUAY / AFP

Voeu pieux

La loi Pacte, portée par le ministre de l'Economie, sera présentée ce 2 mai en conseil des ministres. Bruno Le Maire en a précisé les objectifs en déclarant : "nos entreprises sont trop petites. Elles n'ont pas la taille critique pour s'internationaliser et exporter davantage".

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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​Atlantico : Alors que la loi pacte, portée par le ministre de l'Economie, sera présentée ce 2 mai en conseil des ministres, Bruno Le Maire en précisait les objectifs en déclarant : "nos entreprises sont trop petites. Elles n'ont pas la taille critique pour s'internationaliser et exporter davantage (…). Il faut que nous ayons des entreprises qui aient des reins suffisamment solides pour innover et exporter". Si cette loi pacte a ainsi pour but de "libérer la croissance" alors que la loi relative à la formation professionnelle visait à tirer les bénéfices de cette croissance en termes d'emplois, comment évaluer la rationalité de l'ensemble ? Ces deux axes de réformes, apparemment complémentaires, peuvent ils fonctionner ?

Éric Verhaeghe : Je voudrais d'abord revenir sur l'argumentation baroque de Bruno Le Maire concernant la taille des entreprises et leur prétendu besoin d'avoir des "reins solides" pour "innover et exporter". Excusez-moi, mais on n'a rien dit de plus idiot depuis de nombreuses années, et Bruno Le Maire donne une nouvelle illustration éclatante de son incompréhension profonde de ce qu'est une entreprise.

Prenons d'abord l'argument de la taille. C'est le "Big is beautiful" traditionnel de l'énarchie française, dont le ministre Le Maire n'est qu'un numéro parmi d'autres. Le même raisonnement a été servi pour construire Alstom par exemple, de fusion en fusion pour atteindre la prétendue taille critique internationale. Résultat: on a démembré Alstom sans scrupule parce qu'Alstom faisait faillite, et désormais tous les joyaux français que chapeautait Alstom sont passés à la concurrence. Manifestement, Le Maire appartient à cette catégorie de gens qui croient que la réussite est une question de taille. Tout le problème est qu'il vaut mieux de petites entreprises raisonnables et performantes, plutôt qu'une grande entreprise qui se porte mal. J'ai évoqué Alstom, mais on pourrait parler de Renault en son temps, d'Air France ou d'autres. Dans tous les cas, ce n'est pas parce qu'une entreprise est grande qu'elle a les reins solides.

Deuxième point, Bruno Le Maire prétend que seules les grandes entreprises sont armées pour innover et exporter. Les bras nous en tombent! De nombreuses grandes entreprises aujourd'hui externalisent leur fonction d'innovation parce qu'elles sont incapables de la faire fructifier en leur sein. Il suffit que le ministre ouvre les yeux et regarde autour de lui, même sur une chaîne de télévision publique qui diffuse la propagande la plus attendue, il aura de quoi remettre en cause ses croyances hallucinées. Est-ce qu'Apple, Google, Facebook sont nées de grandes entreprises? Non, justement. Toutes ces jeunes pousses sont parties de rien, et c'est parce qu'elles sont parties de rien qu'elles ont pu prospérer. Dans le même temps, IBM a regardé passer le train et n'a pas été capable, à cette époque, de saisir l'innovation, pas plus qu'aucune major américaine. Il faut être un ministre énarque pour soutenir sans rougir ce profond contresens selon lequel l'innovation profite de la grande taille, alors que c'est exactement l'inverse.

Troisième point: la France manque cruellement d'un Mittelstand, c'est-à-dire d'un tissu d'entreprises moyennes ou de taille intermédiaire capables d'exporter, comme c'est le cas en Bavière, dans le Bade-Wurtemberg ou en Emilie-Romagne. En affirmant béatement que l'exportation est le privilège des grandes entreprises, Bruno Le Maire dévoile le vide profond de la politique industrielle du gouvernement, et son incompréhension absolue de ce qui pourrait faire l'exportation et rétablir la balance commerciale.

Ces points mis bout à bout vous éclairent la discordance de la loi Pacte. Bruno Le Maire est ou était probablement un bon directeur de cabinet, mais il passe à côté de l'exercice au ministère de l'Économie. Il se réfère à la doctrine énarchique de base, controuvée et obsolète du: "le salut est dans la taille", alors que partout dans le monde la disruption provient de nouveaux petits acteurs que personne n'attendait. Ce faisant, il peut se hausser du col tant qu'il veut et donner des coups de menton façon vieille aristocratie pour impressionner les gogos, il ne comprend rien à l'entreprise et son activité ministérielle est toxique pour l'économie française. Dans l'intérêt général, il vaudrait mieux qu'il abandonne son projet de loi qui est mauvais et participe de l'instabilité réglementaire qui plombe nos entreprises.   

​Quels sont les éléments manquants pour permettre de rendre l'ensemble plus cohérent dans ce double objectif de relancer la croissance et de tirer les bénéfices de cette croissance au travers d'emplois ? 

D'abord, il faut avoir le courage de poser une question provocatrice, mais incontournable et incontournablement salutaire: la croissance doit-elle forcément produire de l'emploi? C'est un biais politicien de croire ou d'essayer de faire croire que la vocation des entreprises qui vont bien (et des autres d'ailleurs) est de créer de l'emploi. Mais tous les chefs d'entreprise obéissent à deux carburants qui ne s'occupent pas de la création d'emplois. Le premier carburant consiste à fournir un service ou un produit à leurs clients, c'est-à-dire à produire des externalités positives comme disent les économistes. Le deuxième carburant est de dégager du profit à l'occasion de cette vente. Si certains chefs d'entreprise se préoccupent de l'emploi, ils ont de la chance, mais ils savent intuitivement que ce n'est ni leur métier, ni leur vocation.

L'enjeu du gouvernement ne peut pas ignorer ce sujet. Il n'existe pas de méthode Assimil pour le retour au plein emploi. On ne remettra pas 3,5 millions de Français au travail sans peine. Il faudra les amener en position d'emploi en leur apprenant les nouveaux métiers. Pour y parvenir, il faudra réinventer les formations et les contenus de formation. Dans de nombreux cas, les jeunes qui sortent de l'école ne sont pas formés aux dernières technologies. La conception de l'éducation en France est trop dépassée. Mais... ce n'est pas parce que ces 3,5 millions de chômeurs seront formés qu'ils retrouveront un emploi. Encore faut-il qu'ils soient employables et compétitifs par rapport à leurs concurrents étrangers. La grève chez Air France illustre clairement le propos. Entre les salariés flexibles de Ryanair ou d'EasyJet et les pilotes revendicatifs d'Air France, on voit bien la différence, et cette différence-là participe aussi du différentiel de compétitivité.

Beaucoup des 3,5 millions de chômeurs français sont éloignés de l'emploi depuis longtemps. Ils baignent dans un monde où on leur explique quotidiennement que la loi les protège et que l'entreprise doit prendre soin d'eux. La notion simple selon laquelle le salaire est la contrepartie non pas d'une présence dans l'entreprise, mais d'un travail commercialisable n'est plus forcément claire pour eux. Cette question du savoir travailler est cruciale pour la compétitivité des entreprises et pour la lutte contre le chômage. Une entreprise normalement constituée préfère employer une main-d'oeuvre moins performante mais plus flexible, qu'une main-d'oeuvre bien formée techniquement mais réticente à se plier au cadre qui l'emploie.

Il n'est pas bien sûr que ce sujet-là soit vu aujourd'hui.

Accessoirement, le problème de la complexité et de l'instabilité réglementaire n'est pas traité aujourd'hui. Les règles, notamment fiscales, changent tout le temps en France. Pour les entreprises, l'absorption de ce choc permanent représente un coût important, notamment en termes de productivité. Sur ce point, la loi Pacte participe du mouvement perpétuel de la réglementation et le premier problème qu'elle pose est d'exister.

A quelle échéance et dans quelle ampleur des résultats pourront-ils être constatés de cet ensemble législatif ?

​Pour avoir parcouru une partie de l'abondante documentation produite sur le sujet, je peux d'ores et déjà affirmer que la loi Pacte ne produira aucun effet sur l'emploi. Pour une raison simple: toute loi qu'un chef d'entreprise est incapable de lire n'a aucun avenir. En l'espèce, Bruno Le Maire se fait plaisir avec cette loi. On l'appelle sans doute la loi Le Maire, et elle sera aussi laborieuse que le programme que le ministre avait présenté à la primaire des Républicains, et qui lui a valu un score groupusculaire. Le Maire ne fait pas une loi pour les entreprises, mais pour faire admirer sa capacité à faire des chinoisieries technocratiques. Quel chef d'entreprise a le temps de se consacrer à ces jeux stériles?

Croire qu'ajouter de la complexité à la complexité est bon pour l'économie française est une déformation professionnelle de fonctionnaire. Dans tous les cas, ce raisonnement est toxique pour les entreprises, pour la prospérité et pour l'intérêt général. 

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