Pourquoi la gauche-PS s’aveugle en se frottant les mains à l’idée d’une victoire de François Fillon<!-- --> | Atlantico.fr
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En résumé, le PS est confronté à une vraie contradiction indépassable pour la présidentielle de 2017 : "se trahir ou périr".
En résumé, le PS est confronté à une vraie contradiction indépassable pour la présidentielle de 2017 : "se trahir ou périr".
©REUTERS/Yiorgos Karahalis

Billard à trois bandes

Si pour beaucoup d'observateurs, la gauche bénéficierait plus d'une victoire de François Fillon que d'Alain Juppé à la primaire de la droite et du centre, pas sûr cependant que le PS soit si gagnant dans l'histoire.

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : Alors que les positions de François Fillon semblent parler à une partie de l'électorat potentiel du FN (catholiques, anti-mariage pour tous, pro-Russes, etc.), une victoire de ce dernier à la primaire LR devrait pousser le FN à jouer davantage la "ligne Philippot" de protection des classes moyennes et populaires face à la mondialisation. Jean-Luc Mélenchon occupant également ce créneau, le PS pourra-t-il vraiment jouer la carte de la protection du modèle social français ? En quoi le risque "d'embouteillage" à prévoir entre le FN, le PS et Jean-Luc Mélenchon pourrait-il desservir une candidature socialiste sur ces questions ?

Jean Petaux : Si le PS ne devait être desservi dans la prochaine présidentielle que par votre scénario ce serait le "paradis" pour ce parti… Mon point de vue c’est que le PS est desservi par tout ce qui se passe en ce moment. Son image partisane est tellement accolée à celle du président de la République (et c’est bien la moindre des choses) qu’il fait l’objet du même "bashing" que François Hollande et de la même désaffection profonde de la part de l’électorat. Il est, peu ou prou, dans la situation qu’il a connu en 1993 : quoi que ses dirigeants (voire les candidats qui portent cette étiquette) disent, ils sont inaudibles et désavoués. On peut même, sans risque, concevoir que si le PS proposait une mesure clairement à droite elle serait, elle aussi, rejetée. C’est par exemple ce qui est arrivé à François Hollande quand il a proposé la déchéance de nationalité pour les binationaux coupables d’actes terroristes : mesure de droite, inutile et inepte, il a quand même été critiqué par une très grande majorité de Français, même ceux de droite).

Reste que vous avez raison : Fillon est le pire des candidats pour le FN. D’où le grand silence du parti lepéniste depuis dimanche soir. Les deux lignes du parti d’extrême-droite auxquelles vous faites allusion, la ligne Marion Maréchal-Le Pen et la ligne Philippot, qui trouvent une synthèse dans la "cheftaine" Marine Le Pen, s’affrontent effectivement sans relâche depuis des mois. On peut concevoir que Florian Philippot, seul sur les plateaux télés dimanche dernier pour commenter les résultats, va trouver, par principe de différenciation, un surcroît d’arguments dans la probable victoire de François Fillon, prenant ainsi l’avantage sur sa jeune rivale et concurrente. Compte tenu des relations assez exécrables entre la tante et la nièce, la présidente du FN ne devrait avoir aucun mal à soutenir les positions de l’ancien énarque Florian Philippot, diplômé d’HEC, haut-fonctionnaire (profil qui l’autorise sans doute à critiquer "le système"… dont il est un pur produit) contre Marion Maréchal.

Dans quelle mesure le PS pourrait-il être amené à aborder d'autres thèmes comme la réforme économique du pays ? Pour se démarquer d'un Jean-Luc Mélenchon et d'un FN crédibles aux yeux des électeurs pour protéger leurs droits sociaux (un récent sondage montrait que le FN était le premier parti dans la population active), le PS devra-t-il, par la force des choses, se focaliser sur une offre centriste ?

Le PS pourrait même proposer la réduction du travail à 3 jours par semaine (une surenchère sur le programme de Pierre Larrouturou) ; la culture des pommes de terre sur la Lune (plus fort que le programme "New Frontier" de Kennedy en 1960) et le remboursement du cannabis par la Sécurité Sociale, il n’aurait guère plus d’audience qu’aujourd’hui… Si le PS veut faire une offre politique positionnée au centre il va "coller" à Macron (voire à Bayrou qui risque de "sortir du bois" en cas de victoire de Fillon dimanche prochain) ; s’il se positionne "à gauche toute", sur une ligne Montebourg il va chasser sur les terres de Mélenchon, par définition, bien plus crédible que les cadres de la "rue de Solférino" au motif qu’il est de constante situation que les électeurs préfèrent toujours "l’original" à une "pâle copie".

En d’autres termes : le PS est confronté à une vraie contradiction indépassable pour la présidentielle de 2017 : "se trahir ou périr".

Les ténors socialistes ont d'ores et déjà donné la tonalité de leur discours de campagne, notamment François Hollande lors de son discours de Wagram au cours de la rentrée 2016 avec un procès en libéralisme fait à la droite. Mais assumer le bilan socio-économique du quinquennat Hollande (et justifier les mesures de baisse des dépenses publiques ainsi que celles de la politique de l'offre en matière économique) tout en se démarquant du libéralisme qu'ils dénoncent dans l'opposition ne s'apparente-t-il pas également à un exercice périlleux ?

J’ai qualifié cette situation de "contradiction indépassable" dans ma réponse précédente. On peut la nommer autrement comme, par exemple, une "injonction paradoxale" voire une "aporie". Mais pour faire simple, on appellera ce cas de figure : "un grand écart avec fort risque de claquage".

Au regard du bilan socio-économique de François Hollande lors de ce quinquennat (CICE, Pacte de compétitivité, Loi El Khomri…), qui du PS, du FN ou de Jean-Luc Mélenchon serait le plus à même de convaincre les électeurs français sur ces thématiques de protection face à la mondialisation, qui s'annoncent importantes pour la campagne à venir ? Le PS, qui a perdu par exemple une grande partie de ses électeurs de la fonction publique (avec une montée déroutante du FN chez les enseignants : lire ici), ne risque-t-il pas de pâtir d'une "prime à l'anti-système" ?

Celui qui est le mieux à même de défendre aujourd’hui les thèmes que vous développez c’est incontestablement le FN, en tous les cas c’est ce parti qui est le plus "cru" ou, si l’on préfère, celui qui inspire le plus confiance pour défendre les Français contre les méfaits de la mondialisation tels que vous les énumérez. Jean-Luc Mélenchon tend aussi à "surfer" sur cette vague "anti-système".

Autrement dit les "protecteurs" (pour être plus précis : ceux qui sont perçus ou se revendiquent comme tels) ont un avenir politique et social prometteur en ce moment et dans les semaines à venir. 

C’est sans doute ce qui a convaincu la très large majorité des électeurs qui ont voté Fillon dimanche : ils ont choisi celui qui, à leurs yeux, est le plus protecteur des "valeurs chrétiennes" de la France. Même si son programme est tout sauf protecteur pour les fonctionnaires par exemple (qui sont de toute façon détestés des Français depuis le XIXème siècle par envie, jalousie et ingratitude), Fillon a été ressenti comme un protecteur serein, calme et fiable…. L’anti-Sarkozy en somme. Peu importe que cela soit "vrai" ou "faux" (le "vrai" n’existe pas en politique) ce qui compte c’est la perception qu’inspire l’ancien "collaborateur" de Nicolas Sarkozy aux électeurs de droite.

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