Pourquoi la droite change si souvent de nom alors que le PS n'en a pas changé depuis 1969<!-- --> | Atlantico.fr
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Depuis son retour à la tête de l'UMP, Nicolas Sarkozy a souhaité changer le nom du parti
Depuis son retour à la tête de l'UMP, Nicolas Sarkozy a souhaité changer le nom du parti
©Reuters

Etat-civil

Depuis son retour à la tête de l'UMP, Nicolas Sarkozy a souhaité changer le nom du parti, passant d'UMP à "Les républicains". Ce sera la 5ème fois que la droite se rebaptise depuis la Seconde Guerre mondiale contre seulement une fois pour le Parti Socialiste.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : Pourquoi à droite change-t-on plus volontiers le nom du parti qu'à gauche?

Christophe Bouillaud : L’identité de la droite française, tout particulièrement dans sa composante gaulliste, est intrinsèquement liée à la personne de son chef du moment. Le nom du parti peut changer facilement tant que le chef reste le même, ou, inversement, quand on change de leadership, il faut changer de nom au parti. Par exemple, la montée en puissance de Jacques Chirac au sein de la droite gaulliste aboutit à la création du RPR. Cette tendance à la personnalisation du parti principal de la droite, déjà visible dans le cas du RPF à la fin des années 1940, a en plus tendu à contaminer les autres partis de droite et du centre. En effet, ces derniers ont eu tendance eux aussi à vouloir changer de nom, sans afficher sur la longue durée un nom unique résumant leur idéologie (démocrate-chrétienne, ou libérale  par exemple). Il se trouve que les partis de droite et du centre sont dès les années 1960 sensibles à l’apport du marketing pour améliorer leurs scores électoraux. Or le changement de nom est une stratégie bien connue de renouvellement d’un produit, et elle peut valoir aussi pour un parti.  En revanche, les partis de gauche se réfèrent historiquement avant tout à une idéologie, à une doctrine partagée par les militants. Celle-ci est résumée dans le nom même du parti. Les changements de nom de parti à gauche sont de ce fait plus difficiles, car ils supposent un changement de ligne politique. Ils doivent en plus être avalisés par les militants qui prétendent avoir voix au chapitre à cette occasion.

Les militants de droite et de gauche appréhendent-ils de la même façon le changement du nom du parti?

Je ne crois pas. Les militants de droite sont avant tout attachés à un leader "charismatique" qui incarne l’autorité qu’ils réclament pour le pays. Le nom du parti est finalement très accessoire. Il est d’ailleurs typique que les noms des partis de droite en France soient souvent vide d’un sens précis, comme celui, caricatural, d’UMP, "Union pour un Mouvement populaire". Ces noms vides (rassemblement, union, etc.) ne disent qu’une chose : l’idée du regroupement autour d’une bannière. Les militants de gauche peuvent aussi ressentir bien sûr de l’attachement pour leur leader du moment, mais ils sont aussi attachés au collectif humain idéologisé que représente le nom du parti. D’une certaine façon, les militants de gauche prennent beaucoup plus au sérieux le nom de l’organisation à laquelle ils s’enorgueillissent d’appartenir. Et ils croient au moins pour une partie d’entre eux, sans doute pour la partie la plus éloignée du carriérisme politique, à la promesse incluse dans ce nom même du parti. Ainsi, malgré la belle constance du Parti socialiste à chaque fois qu’il arrive au pouvoir depuis 1981 à démentir crânement toute prétention à incarner l’idée socialiste au sens historique du terme, il reste que le fait même qu’il s’agisse tout de même du "Parti socialiste" permet à certains militants ou électeurs de rester dans l’illusion qu’il s’agit bien  par quelque côté de "socialisme". L’effet d’illusion sur les militants et les électeurs n’aurait pas été le même si  le PS s’était appelé dès 1984, après le célèbre "tournant de la rigueur" et l’invention de "SOS Racisme",  par exemple, le "Parti social-libéral pour une France européenne" ou le "Parti social-libéral-libertaire pour une société multiculturelle et paritaire".  De même, le PCF n’a pas abandonné son nom historique, parce que cela aurait supposé une révolte de certains militants contre cette trahison de l’Idée communiste. Même la LCR (Ligue communiste révolutionnaire) a eu un mal fou à devenir le NPA (Nouveau parti anticapitaliste).

Dans les changements de nom de parti précédents, a-t-on observé en parallèle un changement de ligne politique ?

A droite et au centre, les changements de nom ne correspondent que rarement à des changements d’idéologie, mais le plus souvent à l’avènement de nouveaux leaders ou au nouveau positionnement d’un leader au sein du système d’alliance de la droite et du centre. Lorsqu’au début des années 1980, le RPR de J. Chirac se convertit au libéralisme économique pur et dur, il ne change pas de nom, ce n’est pas nécessaire, puisqu’il n’a pas changé de leader. Inversement, quand F. Bayrou essaye de rendre le centre de nouveau indépendant de la droite, il change de nom à ce qui reste de l’UDF et crée le Modem. Ce n’est pas là l’expression d’une idéologie nouvelle (F. Bayrou reste un chrétien-démocrate modéré), mais d’une stratégie nouvelle (et ratée par ailleurs) d’accès au pouvoir.

L'UMP ne sera bientôt plus. Depuis son retour à la tête de l'UMP, Nicolas Sarkozy souhaite changer le nom du parti. "Les républicains" semble avoir la préférence de l'ancien chef de l'Etat et l'annonce de la nouvelle appellation du parti de droite ne devrait pas tarder. Ce sera la 5ème fois que la droite se rebaptise depuis la Seconde Guerre mondiale contre seulement une fois pour le Parti Socialiste.

Les changements de nom de parti à droite ont été les plus nombreux sous de Gaulle, quelles en sont les raisons ?

Il me semble qu’il s’agissait là de l’expression des contradictions du gaullisme face aux partis. De Gaulle était contre "le régime des partis", et pourtant il crée en 1947 ce qu’il faut bien appeler un parti, le RPF, pour le combattre. Une fois revenu au pouvoir après 1958,  il se trouve dans la même contradiction : il est devenu le chef d’une démocratie qui reste parlementaire, il lui faut donc un soutien au Parlement pour gouverner, il lui faut un parti majoritaire, mais ce parti ne doit pas être vraiment un parti à l’image de ce que sont alors la SFIO ou le PCF, il faut que ces partis de soutien soient, au moins fictivement, un mouvement de fond du peuple français en faveur de De Gaulle, d’où la recherche d’une certaine fluidité dans les termes choisis pour nommer ce parti et l’adaptation du nom de ce dernier aux circonstances fluctuantes des années 1958-69. Par ailleurs, ces changements de nom permettront d’élargir progressivement le périmètre du gaullisme. Il y eut par exemple des "gaullistes de gauche" qui se rallièrent lentement au parti principal et qu’il fallait ménager.

A l'étranger, les noms de parti de droite (CDU en Allemagne, Républicains aux Etats-Unis, Parti Conservateur au Royaume-Uni) changent très peu. Est-ce une spécificité française ?

Parmi les vieilles démocraties, cette tendance de la droite française à changer de nom rapidement est bien connue des comparatistes. Elle fait d’ailleurs un peu leur désespoir, car elle rend assez difficile la construction de tableaux historiques cohérents. Par contre, cette tendance au changement de nom des partis s’avère typique des pays où les partis sont très personnalisés autour d’un leader, sont finalement peu institutionnalisés, et jouissent d’une très faible considération auprès du public. L’Italie de ce point de vue depuis le début des années 1990 est tout à fait sur un registre comparable à la France. Elle fait même pire d’ailleurs, avec les différents changements de nom qui contaminent presque tout l’échiquier politique. Les changements de nom de partis y ont pris par ailleurs une tournure bien particulière : changer de nom pour un grand parti italien devient l’une des tactiques privilégiées pour essayer de faire croire aux malheureux électeurs de la Péninsule qu’on fera enfin quelque chose d’un peu sérieux pour eux et qu’on s’efforcera de les voler un peu moins désormais en présentant moins de corrompus aux élections à venir. Ces promesses sont à chaque fois démentie par les faits, mais cela anime la vie politique…

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