Pourquoi la droite aurait bien tort de surfer sur la peur de l’argent magique<!-- --> | Atlantico.fr
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banque centrale européenne euro
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©Arne Dedert / dpa / AFP

N’ayez pas peur

Face à la crise monétaire, les critiques sont nombreuses contre les initiatives des banques centrales. A chaque fois que la réponse monétaire a été tardive et timide, l’Etat a pu intervenir à sa guise par des voies qui ont souvent aggravé le mal avec des déficits, des réglementations, des nationalisations ou du protectionnisme.

Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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A chaque moment fort de la crise monétaire que nous vivons depuis 2007, une crise déflationniste, des voix s’élèvent pour critiquer les initiatives des banques centrales (achats d’actifs, taux négatifs) ou les propositions de détente monétaire plus radicales (monnaie hélicoptère, remise des dettes dans le bilan de la banque centrale) sous l’angle des « apprentis sorciers » ou de la « monnaie magique ». Ces voix sont particulièrement fortes du coté de la droite modérée, des personnes âgées qui lisent « Le point ». Non seulement ils se trompent, mais en plus ils poussent sans le savoir au keynésianisme le plus sordide (comme on commence à le voir avec la déferlante de plans de relance budgétaires), et même demain, peut-être, au communisme :

Quand on parle de magie, c’est qu’on ne comprend pas comment ça apparait, et comment ça disparait :

  • Comment ça apparait : pas plus de 300 personnes sur ce continent comprennent le mécanisme de la création monétaire, et font à peu près la part des choses entre les responsabilités des banques commerciales et les responsabilités des banquiers centraux, et comprennent qu’on peut avoir une déflation dans une phase où l’offre de monnaie progresse (si, dans le même temps, la demande de monnaie progresse), comme en 2008 ou en 2020 par exemple. Vous n’y comprenez rien ? c’est normal, les magiciens de la monnaie ne sont pas payés pour vous donner leurs secrets !

  • Comment ça disparait : à chaque fois qu’on voit du désendettement, ou des faillites, ou des go-gos qui achètent de l’or, ou des doutes sur la qualité de tel ou tel instrument financier jusque là considéré comme de quasi-monnaie : c’est de la destruction monétaire. A chaque fois que les gens sont craintifs, qu’ils accumulent une épargne de précaution au lieu de consommer ou d’investir, c’est une baisse de la vélocité de la monnaie, une monnaie qui circule moins donc qui se démonétise un peu. A chaque fois que l’on fait des déficits, c’est de la monnaie qui sort, et en zone euro cela se dirige vers le bloc germanique. Attention à ne pas tomber dans le piège d’éléphant depuis 2007 consistant à comptabiliser toutes les créations monétaires (réelles ou supposées), sans jamais mesurer la monnaie détruite ou congelée ! 

Dès qu’on y réfléchit un peu, la monnaie-papier est magique. Ce n’est pas un problème, il faut juste s’assurer que ce soit de la magie blanche, pas de la magie noire.

Vous ne voyez pas la magie ? Vous l’avez pourtant dans la poche, ou plutôt dans la tête. Le billet de 100 euros qui, vous en êtes certain, vaut 100 euros de pouvoir d’achat, a coûté 8 centimes à peine à la BCE (et encore, parce qu’elle est très inefficiente). En théorie, cela fait partie de la base monétaire, mais puisque la base monétaire n’a pas vocation à être remboursée, cela ne fait pas de sens de la considérer comme un passif de la banque centrale (bien qu’elle soit considérée comme un actif pour ses détenteurs). Une pure convention, pour faire croire que le bilan de la banque centrale pourrait s’analyser un peu comme un bilan d’entreprise ordinaire. Même fiction du côté de l’actif : on nous fait croire que la FED et la BCE font de la création monétaire en achetant des titres de dettes, pas du tout (c’est un simple swap entre des titres et des réserves), et on nous induit en erreur en parlant d’actif car ces titres sont congelés (vous imaginez la FED remettre un jour sur le marché les 4000 milliards de dollars qu’elle vient d’avaler ? franchement ? les MBS achetés fin 2008 y sont toujours !).

Fiction des deux côtés, à tous les étages, et partout : retenez que le capital de la Banque du Japon (qui a acheté à des taux très bas près de la moitié de la dette souveraine du pays, soit 120% de la 3e économie mondiale) correspond au prix d’un appart de 80 m2 dans Paris ; autrement dit, les banques centrales n’ont pas de vrais fonds propres (et pourquoi en auraient-elles, elles ne vont pas investir dans des usines ! et pourquoi rémunéreraient-elles ces fonds propres, ce sont des entités publiques !), et tout le monde s’en fout, elles vivent avec des leviers de 62 (BCE) ou de 700 (FED) tout en interdisant avec raison aux autres acteurs de l’économie de faire de même, et tout le monde s’en fout, elles n’ont même pas de procédures en cas de risque de banqueroute (autrement dit, aucun organisme n’est chargé de dire à quel niveau de pertes il faudrait commencer à prévoir de les recapitaliser, si elles ne veulent pas se recapitaliser elles-mêmes par création monétaire), et tout le monde s’en fout, elles pourraient fonctionner durablement en valeur nette négative comme  le fait sans que personne ne trouve à y redire, et…  je pourrais continuer longtemps.

Pourtant, la création monétaire pure (celle que la BCE refuse depuis toujours) est forcément archi-puissante : quand on imprime et que l’on distribue aux ménages, on crée un pseudo-passif sans actif correspondant ; une hausse continue de la base monétaire sans contrepartie. Du point de vue de la banque centrale, cette monnaie est comme une obligation qui ne mature jamais et qui ne paye pas d’intérêts. Par définition, une telle obligation a pour elle une valeur présente de 0. Dans la perspective du ménage qui reçoit, un billet d’un euro a une valeur présente de un euro. On a donc crée de la richesse à partir de rien : le passage de 0 à 1 est la définition de la création. Mais ce n’est pas ce que l’on fait depuis 2008 : on empile des actifs dans le bilan des banques centrales, on tripatouille les taux d’intérêt et on assure la liquidité pour les banques, on ne crée pas directement de la monnaie, on ne cède pas à la tentation qu’il y aurait à utiliser une arme puissante qui n’ajoute rien à la dette nationale ; nous allons crever mais dans les règles (ou, de façon plus réaliste, nous allons encore arroser la population par la politique budgétaire, qui crée de l’irréversibilité et qui ne marche pas, que ce soit à l’échelle nationale ou européenne) (cf les plans de relance japonais des années 90 et 2000).

Alors, on pourrait alors aller encore plus loin dans la passivité monétaire, me direz-vous si vous ne souhaitez nullement revoir une inflation à 2%/an et des taux d’intérêt positifs ; il suffirait de se passer du magicien, ou de lui lier les mains : revenir à l’étalon-or (où les banques centrales ne sont que des country clubs), par exemple. Pas de bol, vous ne voudriez pas longtemps de ce genre de régime. En fait, il aurait sauté en moins de 3 semaines de pandémie cette année. Ce régime monétaire ne peut se maintenir en effet qu’avec une totale liberté du travail, comme à la fin du 19e siècle : renoncez donc à l’Etat providence, aux CDI et aux pratiques de rigidité des salaires, aux retraites par répartition, aux frontières, au code du travail, etc. Personne ne votera pour un tel programme, et bon courage pour l’imposer en catimini sans provoquer des révolutions (il y a 130 ans, on tirait sur la foule, c’était plus pratique). Bien entendu que cette revendication de l’étalon-or est infantile, anachronique et inconséquente. Bien entendu qu’il n’a duré à peine 40 ans, et encore, avec plein de crises et plein d’eau dans son vin. Bien entendu que les argentins ont essayé ce genre de discipline dans les années 90 à travers un currency board, et ça s’est mal terminé. Bien entendu que nous sommes tous contents que les banques centrales avalent des subprimes, du LTCM, du AIG, du Areva ou du Dexia indirectement, des Cajas et des Landesbanken indirectement, des dettes étudiantes aux USA et des titres bancaires chez nous : parce que, sans cela, je ne vous raconte pas les hausses d’impôts que nous devrions accepter. Bien entendu que la monnaie est aussi faite pour cela, ce n’est pas tant une réserve de valeur qu’un moyen bien commode d’apurer les créances, et d’oublier bien des fautes. Bien entendu tous les grands experts de la monnaie vont dans le sens du pragmatisme et non dans le sens de la Bundesbank, que ce soit Irving Fisher qui demandait à Roosevelt de tout monétiser, Milton Friedman qui proposait le plan de Chicago, et la monnaie hélico, ou Jacques Rueff qui organisa nos deux grandes reprises au XXe siècle par les deux grandes dévaluations de 1928 et de 1959.

Je suis radical en matière monétaire comme ces grands auteurs parce que je suis comme eux conservateur et libéral en matière politique : le meilleur moyen d’éviter le socialisme est de prévenir ou au moins de corriger les grandes fluctuations cycliques déstabilisantes, sans état d’âme, par la politique monétaire. A chaque fois que la réponse monétaire a été tardive et timide, l’Etat a pu intervenir à sa guise par des voies qui ont souvent aggravé le mal : déficits c’est à dire impôts, réglementations, nationalisations, protectionnisme, crédit administré, etc. Et si j’ai raison de penser que la réponse monétaire en 2020 est très insuffisante comme depuis 2008, évasive et désinvolte, alors nous allons tout droit vers un socialisme soft et peut-être même hard. En zone euro plus qu’aux USA : certes les keynésiens sont partout au pouvoir et dépensent à tout va, ils « relancent » comme ils disent, crée des fonctionnaires et des secteurs subventionnés, mais les keynésiens Américains ont ceci de plus malin qu’ils nous refourguent à chaque crise un durcissement monétaire passif via les taux de changes (la montée de l’euro, à rebours de toute la macroéconomie de 2020 !) : la FED a agit plus vite et plus fort que la BCE, et nous voilà comme en 2008 sans protection, sans flexibilité du facteur travail et sans flexibilité monétaire pour compenser.  

Toutes les actions de politique monétaire (ou de politique budgétaire, ou de n’importe quelle action dans la vie) comportent des coûts, des risques ; mais les effets de l’inaction doivent être pris en compte : en l’occurrence, les conséquences d’une japonisation en phase terminale, sur un continent divisé qui n’a pas la cohésion sociale du Japon, c'est-à-dire la montée des dettes (sans collatéraux), les tentations malthusiennes et le défaitisme. Pour maitriser les risques, il faut demander des comptes au magicien, s’assurer de sa non-indépendance, lui imposer des règles (une cible de croissance du PIB nominal !), développer une culture monétaire suffisante pour que le grand public ne se laisse pas trop berner par des prestidigitations qui sont surtout des disculpations, des techniques de diffraction du blâme : quand Francfort vous dit qu’il existe aussi une inflation par les coûts, ou dans le même ordre d’idée qu’ils n’ont pas eu de chance 9 années de suite dans leur cible ratée d’inflation à 2%/an, ça marche parce que vous êtes trop naïfs, pas bien formés en politique monétaire. Mais tant que vous lisez « Le Point » et que vous ne relisez pas Friedman ou Rueff, il existera un risque que ces choses magiques que vous ne maitrisez pas finissent en magie noire.

Nous pourrions remettre des dettes, nous pourrions envoyer des chèques aux ménages, nous pourrions proposer une cible qui fasse sens pour la politique monétaire, en bref nous pourrions prévenir et atténuer les cycles économiques sans les méga-plans de relance, mais bien entendu c’est « de la magie », Adam Posen est un nouveau Majax, Scott Sumner et Christina Romer des Garcimore… alors que nos opposants sont des gens si sérieux, si rationnels, si propres sur eux, ils prévoient de l’inflation depuis 30 ans, ils luttent contre les bulles et contre les GAFA et contre ceux qui voudraient faire du ski en Suisse cet hiver, ils investissent dans l’hydrogène et prient pour un ministre des finances de la zone euro, ce sont des visionnaires.      

Pauvre droite modérée à la française. Devenue keynésienne sans le savoir. Plus effrayée des gilets jaunes sur des ronds-points que des chantages de la BCE à l’échelle macroéconomique. Incapable de changer de logiciel sur l’inflation bien qu’elle ait disparue partout depuis longtemps. Vaguement nostalgique du gaullisme mais soumise à un ordre monétaire étranger et oublieuse de la participation. Plus mobilisée sur la souffrance animale que sur l’euro trop cher depuis dix-sept ans. Encore un petit effort et elle disparaitra de l’histoire, ce qui est bien dommage pour le scénario d’un retour des contre-pouvoirs, du Parlement et du débat public pluraliste.  

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