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Pourquoi la baisse des tarifs des professions réglementées pourrait moins profiter aux Français qu’ils ne l'espèrent
©Pixabay/Hans

Pas si simple

Alors qu'un décret d'application de la loi Macron et des arrêtés ministériels publiés au Journal Officiel ont entériné la baisse des tarifs de certaines professions juridiques réglementées comme les notaires, cette mesure n'est pas totalement une bonne nouvelle pour tous les Français.

Pierre-Luc Vogel

Pierre-Luc Vogel

Pierre-Luc Vogel est notaire à Saint-Malo et est Président du Conseil supérieur du notariat depuis octobre 2014.

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Atlantico : Un décret d'application de la loi Macron publié au Journal Officiel ce week-end entérine de nouveaux tarifs pour les professions juridiques réglementées, comme les notaires ou les huissiers. On parle ainsi d'une baisse de 2,5% des tarifs des notaires. Quels sont les actes ou services concernés par cette baisse ? Existe-t-il d'autres prestations qui ne sont pas affectées par cette mesure ?

Pierre-Luc Vogel : La totalité des actes sont concernés par la baisse, mais pas tous de la même manière. Tous les actes sont concernés par une baisse homogène de 1,4% et tous les prix vont baisser sur cette base-là. Pour ce qui est du delta entre 1,4 et les fameux 2,5% (à savoir 1,1%), cette baisse est concentrée sur les petits actes portant sur des prix de moins de 10 000 euros. Pour ces actes, le montant des émoluments est plafonné à 10% des capitaux traités, avec un minimum de 90 euros. Concrètement, cela signifie qu'une vente sur une parcelle de terre de 2000 euros sera rémunérée à hauteur de 200 euros pour le notaire.

Si cette baisse des tarifs entraîne forcément un manque à gagner pour la profession, et en considérant que l'ensemble des prestations ne sont pas concernées de la même manière, quels en seront les effets réels pour le consommateur ? 

Il y a cette baisse homothétique d'1,4% que nous venons d'évoquer, et la baisse différenciée ciblée sur les petits actes. Cette dernière n'est pas une bonne nouvelle pour nos clients, car elle va toucher principalement les offices situés en secteur rural, là où il y a encore un notaire alors qu'il n'y a plus de Poste depuis un certain temps et qu'il n'y a jamais eu d'avocat… Ces offices seront particulièrement touchés car ils reçoivent une grande part de ces petits actes, en l'occurrence 18% de leurs actes qui portent sur des capitaux inférieurs à 10 000 euros. Il y a une menace sur les offices  en secteur rural, et cela ne facilitera donc pas l'accès aux droits pour les Français.

Pour continuer de faire tourner leur office, les notaires ne devront-ils pas compenser ce manque à gagner d'une manière ou d'une autre ?

Désormais, l'heure va être à la diversification et à la mutualisation pour compenser cette perte. Mais nous ne sommes pas tous à égalité : un confrère installé dans une zone rurale me disait récemment que les possibilités de diversification dans ces secteurs à très faible potentiel économique sont extrêmement limitées. Souvent, ils se sont déjà diversifiés, avec par exemple une activité de négociation immobilière. Pour eux, les marges de manœuvres sont restreintes. En zone urbaine ou semi-urbaine, il y aura des possibilités d'évolution, de diversification et d'optimisation de gestion pour compenser cette baisse des tarifs. Par optimisation, j'entends une amélioration de la productivité, de la mutualisation et une automatisation de certaines productions, peut-être aussi une implication un peu plus forte du client dans l'élaboration de son dossier. On peut tout à fait imaginer en début de dossier que la fourniture de certaines informations soit effectuée par le client lui-même.

Y aura-t-il des répercussions sur d'autres services ou prestations rendus par l'office notarial ?

Je ne pense pas, d'ailleurs la structure des tarifs des notaires n'a pas changé en elle-même, il n'y a donc pas de raison qu'il y ait de répercussions. Peut-être que dans les secteurs les plus difficiles, ce qui était gratuit avant ne le restera pas. Je pense aux consultations qui pouvaient être données. Il y aura sans doute une évolution, car il faudra bien que ces offices puissent  maintenir leur équilibre économique et préserver les emplois dont ils sont garants. 

Au-delà de la baisse de 2,5% des tarifs des notaires, quels sont les autres effets bénéfiques à attendre pour les clients avec cette loi ? Les acquéreurs d’un bien immobilier de plus de 150 000 euros, notamment, auront droit à une remise pouvant aller jusqu'à 10%...

Je comprends que les clients puissent se réjouir de la baisse de 2,5% des tarifs, mais très franchement, nous avons suffisamment dénoncé cette loi pour ne pas lui trouver objectivement d'autres avantages. En ce qui concerne la remise de 10%, c'est vrai mais il faut bien comprendre la portée de cette disposition. En effet, cette remise n'est possible que sur la fraction des émoluments qui correspond au prix supérieur à 150 000 euros. Très concrètement, il n'y a pas de remise possible à 150 000 euros, et elle sera de l'ordre de 40 euros pour un bien d'une valeur de 200 000 euros. Vous avez aussi le plafonnement à 10% des capitaux traités pour les actes concernant les propriétés plus modestes. On constate que ces actes de vente, même s'ils portent sur une petite parcelle de terre, nécessitent environ une vingtaine d'heures de travail. On arrive donc à une rémunération de l'ordre de 4,50 euros de l'heure, ce qui est inacceptable.

Quels sont concrètement les actes les plus concernés par cette baisse, et que peut-on en déduire sur les principaux bénéficiaires de cette mesure ? Certains Français seront-ils plus bénéficiaires que d'autres ?

C'est clairement les Français qui vont faire réaliser des actes portant sur des petits prix qui seront les bénéficiaires. Eux vont profiter de ce plafonnement de 10%. C'est sur ces actes-là que l'effort sera le plus important. Je regrette vraiment que cet effort doive être supporté par les offices les plus fragiles, et ceux qui sont situés dans les secteurs où ils rendent quelque part un service aux Français alors que les services publics sont de plus en plus rares. Cela dénote une vision très parisienne de Bercy, qui ne connaît pas et ne comprend pas cette France-là. 

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