Pourquoi l’histoire de l’attentat de la rue Copernic est aussi celle d’une gigantesque manipulation de l’opinion publique <!-- --> | Atlantico.fr
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Un inspecteur sur le site de l'attentat à la bombe, le 03 octobre 1980, à la synagogue de la rue Copernic à Paris.
Un inspecteur sur le site de l'attentat à la bombe, le 03 octobre 1980, à la synagogue de la rue Copernic à Paris.
©GEORGES GOBET / AFP

Bonnes feuilles

Clément Weill-Raynal publie « Rue Copernic L'Enquête sabotée 1980 2023 » aux Editions de l’Artilleur. Le 3 octobre 1980, une bombe d’une très forte puissance explosait devant la synagogue de la rue Copernic à Paris. Quatre personnes furent tuées, des dizaines d’autres blessées. Cet attentat antisémite a suscité une émotion considérable. Pourquoi, plus de quarante ans après l’attentat, l’affaire n’est toujours pas jugée ? Comment expliquer un tel manque d’empressement et de tels errements dans l’une des plus graves affaires de terrorisme que la France a connue ? Extrait 1/2.

Clément Weill-Raynal

Clément Weill-Raynal

Clément Weill-Raynal est journaliste, spécialiste des affaires judiciaires et auteur d’un document remarqué, Le fusillé du mur des cons. Il est l'auteur de la vidéo du "mur des cons" filmée au siège du Syndicat de la magistrature.

 

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Cette interrogation dépasse largement le cadre de l’institution judiciaire et concerne la société française dans son ensemble. J’ai moi-même été témoin de l’émotion suscitée par l’attentat. J’avais 20 ans, j’habitais Paris et pour avoir assisté au déchaînement de l’hystérie collective dans les jours et les semaines qui ont suivi, je sais combien l’affaire de la rue Copernic charrie de mauvaise conscience et embarrasse encore aujourd’hui les mémoires. Dès le soir de l’attentat, l’événement a été marqué du sceau du mensonge politique et de la manipulation de l’opinion publique. Les chroniqueurs ne retiennent aujourd’hui de ces semaines troublées que « la petite phrase » – la gaffe – du Premier ministre de l’époque. Raymond Barre avait déploré que cet attentat qui visait des juifs allant prier à la synagogue ait finalement touché des « Français innocents » qui passaient dans la rue. Lapsus révélateur ou déclaration maladroite ? Le chef du gouvernement s’en était expliqué.

L’essentiel n’est pas là. Certains l’ont peut-être oublié ou ne l’ont jamais su : l’attentat contre la synagogue de la rue Copernic a été l’occasion d’une fantastique opération de désinformation dont les effets perdurent encore aujourd’hui. Dès le soir de l’attentat, un invraisemblable mot d’ordre a été lancé et répété comme un mantra : « Ce sont des nazis qui ont posé la bombe ! » Cette accusation ne reposant sur aucun fondement s’est répandue comme une traînée de poudre. Toute la France l’a reprise en chœur. Tous ! Journalistes, politiques, syndicalistes, intellectuels, responsables associatifs, prêtres, anciens combattants, francs-maçons, autorités morales, se levèrent d’un seul homme pour appeler le pays à réagir contre la menace de milices néonazies aussi fantomatiques qu’imaginaires. Des manifestations monstres contre « la montée du nazisme » eurent lieu à Paris et dans les grandes villes de France. Chacun y alla de sa condamnation solennelle, de son exhortation à combattre « la bête immonde », de son analyse personnelle visant à comprendre par quels manquements, par quel aveuglement la société française avait laissé l’hydre nazie réinstaller ses réseaux occultes sur notre territoire. Il faut relire la presse d’octobre 1980 et des mois qui ont suivi pour, avec quarante ans de recul, prendre la pleine mesure du délire collectif qui s’est emparé de la France entière.

Très vite l’enquête policière a pourtant mis « les nazis » hors du coup. À l’aube de ces années 1980, la mouvance néonazie française n’était en réalité constituée que de deux ou trois groupuscules réunissant de bien maigres troupes, quelques dizaines au grand maximum de militants désœuvrés, dont beaucoup relevaient plus du centre médico-pédagogique que de la défunte Cour de sûreté de l’État. Leurs principaux faits d’armes se limitaient à l’impression de bulletins ronéotypés à la gloire du Troisième Reich et à des réunions confidentielles dans des caves ou autre locaux exigus. Les perquisitions, effectuées dans les jours qui ont suivi l’attentat et lors desquelles aucune arme ou explosif n’ont été saisis, ont confirmé que ces groupuscules étaient bien incapables, à supposer qu’ils en aient eu le projet, de fabriquer une bombe de la puissance de celle qui avait dévasté la rue Copernic. Quelques jours après l’attentat, les investigations policières ont en revanche très vite identifié une piste moyen-orientale qui devait conduire ultérieurement à un groupe terroriste palestinien.

La fantasmagorie antinazie qui s’est emparée de la société française à partir du 3 octobre 1980 n’était pas mue par la seule naïveté collective. Elle n’était pas que le résultat de gros titres de la presse à sensation et des supputations de médias peu rigoureux, prompts à relayer les thèses les plus extravagantes. Lorsque des indiscrétions sur les premiers résultats de l’enquête policière privilégiant une piste palestinienne ont filtré dans la presse, de puissants relais d’opinion ont persévéré dans leur volonté d’accréditer la thèse d’un complot ourdi par des groupes d’extrême droite européens. Qui donnait le ton ? Qui menait le bal ? Pour l’essentiel, les partis et organisations de gauche au premier rang desquels le Parti communiste français (PCF), inféodé à l’époque à l’URSS, et ses associations satellites qui ont profité des circonstances pour faire circuler l’une des bonnes vieilles fables de la propagande soviétique : celle d’une menace nazie persistante sur la France et l’Europe.

Dès le soir de l’attentat, c’est le MRAP, le Mouvement contre le racisme et l’amitié entre les peuples, qui a lancé sans le moindre début de preuve l’accusation que la bombe avait été posée par des nazis et qui a pris l’initiative d’une grande manifestation populaire de protestation. Dans les jours et les semaines qui ont suivi, des responsables de syndicats de policiers très nettement marqués à gauche ont mis en cause l’institution policière en affirmant que celle-ci était elle-même infiltrée par des réseaux nazis occultes. Pourquoi une grande partie de l’opinion est-elle à ce point tombée dans le panneau ? Je l’ignore, je ne suis pas un spécialiste de la psychologie des foules. Ce qui est certain et admis par de nombreux observateurs de la vie politique, c’est que l’émotion suscitée par l’attentat de la rue Copernic et la crise de confiance qui en a résulté ont joué un rôle déterminant dans la défaite de Valéry Giscard d’Estaing lors de l’élection présidentielle du 10 mai 1981 et la victoire du premier président socialiste de la Ve République François Mitterrand.

L’affaire de l’attentat de la rue Copernic est imprégnée de non-dits et de sujets tabous. S’y entremêlent le terrorisme international et la vie politique française. Elle touche aux questions du racisme et de l’antisémitisme, du nazisme et de la collaboration. Et aussi, bien sûr, au conflit israélo-palestinien. Voilà pourquoi il s’agit d’un dossier empoisonné. Il y a quarante ans, la fausse piste nazie arrangeait finalement beaucoup de monde.

Descendre dans la rue pour crier « Non au nazisme ! » offrait à tout un chacun l’occasion de s’acheter pour pas cher un brevet d’héroïsme et, sans trop de courage, une médaille de la résistance. En France, on adore les croisades à contretemps. Comme il est bon de convoquer l’histoire juste pour une promenade en ville, comme il est exaltant de brandir une banderole au slogan anachronique mais qui vous donne bonne conscience !

Les pavés parisiens résonnaient encore du pas des manifestants bien résolus à ne pas laisser le fascisme passer, que les soupçons des enquêteurs se portaient déjà sur un groupe terroriste palestinien. Là, il y a eu moins de résistants pour s’indigner, moins de tribunes dans Le Monde pour s’interroger : pourquoi donc un groupe terroriste palestinien a-t-il envoyé un commando déposer une bombe devant une synagogue d’un quartier huppé de Paris ? Pourquoi des Palestiniens chercheraient-ils à tuer des citoyens français de confession juive à plus de trois mille kilomètres de la terre dont ils se considèrent dépossédés ? Autant de questions gênantes qui viennent brouiller l’image positive entretenue en France de la cause palestinienne et mettre à mal le bel ordonnancement du récit servi par une propagande simpliste. Dans de nombreux milieux, en particulier à gauche, la Palestine demeure une cause sacrée. Elle incarne la dernière version du romantisme révolutionnaire, après l’échec des précédentes. La cause palestinienne permet de s’opposer aux juifs – pardon aux « sionistes » – en évitant d’être soupçonné d’antisémitisme. Voilà pourquoi, dès le soir de l’attentat, des partis et des organisations aux positions anti[1]israéliennes notoires ont vendu à l’opinion l’histoire d’un Fantomas nazi insaisissable.

Mais en coulisses, à la même époque, les autorités françaises passaient un accord officieux avec des organisations terroristes arabes, leur permettant d’utiliser la France comme base arrière ou zone de transit en échange de leur engagement à ne commettre des attentats que dans d’autres pays. Ce pacte honteux est aujourd’hui un fait établi. Peut-être certains considèrent que, quarante ans après, la vérité doit céder le pas au silence et à l’oubli ? 

Extrait du livre de Clément Weill-Raynal, «  Rue Copernic L'Enquête sabotée 1980 2023 », publié aux Editions de l’Artilleur

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