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Fantasmes, manque de reconnaissance... pourquoi des personnes innocentes avouent-elles parfois des crimes qu'elles n'ont pas commis ?
©Reuters

Non coupable

15 à 25% des condamnations aux Etats-Unis se baseraient sur de faux aveux de personnes en réalité innocentes, selon une enquête américaine. Une réaction rare en France, qui repose sur des mécanismes psychologiques parfois surprenants.

Jean-Pierre Bouchard

Jean-Pierre Bouchard

Jean-Pierre Bouchard est psychologue et criminologue spécialiste des agresseurs et des victimes. 

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Atlantico : 15 à 25% des condamnations aux Etats-Unis se baseraient sur de faux aveux, selon une enquête américaine (voir ici). En France, des personnes innocentes avouent-elles parfois des crimes qu'elles n'ont pas commis ?

Jean-Pierre Bouchard : Oui, cela peut arriver. Mais en France, il faut préciser que c'est tout de même des cas relativement rares, car notre système judiciaire est très protecteur, et évite, sauf dans le cas de personnes particulièrement fragiles ou sensibles, d'obtenir de faux aveux par des pressions psychologiques ou physiques (menaces, tortures, privations de sommeil, expositions incessante au bruit, ect... qui ont encore lieu dans certaines dictatures et très certainement encore à Guantanamo).

Les avocats sont là d'office dès la première heure pour représenter les intérêts des personnes suspectes et veiller à ce que la procédure de l'interrogatoire soit bien exécutée. Certes, le facteur d'épuisement peut jouer dans l'obtention de faux aveux, mais les gardes à vue françaises sont tout de même assez courtes. Les suspects ont aussi droit au cours des garde-à-vue de dormir et de se nourrir, sans compter que selon les statistiques, la plupart sont jeunes, donc assez résistants. Les enquêteurs précisent de plus toujours à l'accusé qu'il n'est pas obligé de parler pendant la garde-à-vue.

Dans quels cas des personnes innocentes peuvent-elles avouer des crimes qu'elles n'ont pas commis ?

En France, je pense que l'on peut éliminer les cas de pression psychologique, physique et le facteur d'épuisement.

Il peut d'abord s'agir de personnes malades mentalement, qui délirent à propos de ce quoi on les accuse.

Il peut aussi s'agir de personnes fragiles psychologiquement, qui finissent par se laisser intimider ou qui se sentent responsables d'autres délits et qui finissent par avouer un crime qu'elles n'ont pas commis pour soulager leur conscience.

Ensuite et même si cela peut paraître paradoxal, il peut s'agir de personnes qui veulent se mettre en avant. Dans les grosses affaires de meurtres ou de viols très médiatisées qui passionnent les foules, de faux aveux mettent ces personnes en manque de reconnaissance au centre des médias et donc de l'attention, même si cela ne dure qu'un temps.

Mais le cas le plus fréquent est sans doute le fait de mentir pour protéger quelqu'un, soit parce qu'on appartient à un système mafieux et que le réseau criminel met la pression sur le suspect pour qu'il avoue des crimes qu'il n'a pas commis afin de protéger un voyou supérieur à lui, soit parce que vous avez des relations affectives ou amoureuses avec la personne réellement coupable et que vous voulez la protéger.

Un fantasme très fort peut donner l'impression à une personne qu'elle est vraiment passée à l'action et avouer un crime qu'elle n'a pas commis. Une détestation très forte envers une personne peut donc amener le suspect à fantasmer sur son assassinat, et à avouer l'avoir tuer, même si elle ne l'a pas fait. Donc en matière de justice, ce mécanisme psychologique implique de connaître la victime, de près ou de loin.

Ces personnes avouant des crimes qu'elles n'ont pas commis ont-elles des chances d'être condamnées par la justice française, comme c'est le cas aux Etats-Unis ?

En France, non, en tout cas je n'ai jamais rencontré ce cas au cours de ma carrière.

Car heureusement, une enquête ne s'arrête pas aux aveux de la personne. Que se soit en correctionnel ou en assise, l’instruction est refaite par le président, à charge ou à décharge. De faux aveux n'arrivent donc pratiquement jamais jusqu'au procès, car ils ne tiennent pas durant la contre-enquête, car soit les personnes finissent par s’emmêler les pinceaux (il est très difficile de maintenir à chaque interrogatoire exactement la même version mensongère de faits que vous n'avez pas commis), soit elles prennent en général conscience à ce moment là du vrai danger qu'elle court en réalité.

Par contre, dans le sens inverse, les personnes mentent très fréquemment sur les crimes qu'elles ont commis, et ce quelque soit le niveau d'infraction.

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