Pourquoi Angela Merkel a tout fait pour essayer d’étouffer en Allemagne le scandale de l’espionnage des Européens par les Américains<!-- --> | Atlantico.fr
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L'affaire des écoutes américaines est le cadet des soucis de la chancelière allemande.
L'affaire des écoutes américaines est le cadet des soucis de la chancelière allemande.
©Reuters

La technique de l'autruche

Le cas Snowden et les révélations sur l'espionnage de l'Allemagne par les services américains peuvent mettre en danger politiquement Angela Merkel. L'opposition allemande la soupçonne d'avoir été au courant des écoutes et d'avoir laissé faire.

Wolf  Richter

Wolf Richter

Wolf Richter a dirigé pendant une décennie un grand concessionnaire Ford et ses filiales, expérience qui lui a inspiré son roman Testosterone Pit, une fiction humoristique sur le monde des commerciaux et de leurs managers. Après 20 ans d'expérience dans la finance à des postes de direction, il a tout quitté pour faire le tour du monde. Il tient le blog Testosterone Pit.

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La victoire aux élections du 22 septembre prochain semble déjà acquise pour la chancelière allemande Angela Merkel et sa coalition –  à moins qu’une débâcle majeure ne vienne entachée cette prédiction. Tous les dossiers épineux ont été repoussés au-delà des élections. La crise de la dette dans la zone euro, la Grèce et Chypre, les faillites bancaires, les craintes au sujet de ce qui pourrait se produire en Italie ou en Espagne, les magouilles de la BCE– aucun fiasco n’est permis jusqu’aux élections. Mais ce week-end, un drame est survenu.

Der Spiegel, le plus important magazine allemand, a pu “voir et analyser” certains des documents qu’Edward Snowden a dérobé à la NSA. Et maintenant, le monde entier sait que les services secrets américains considèrent encore l’Allemagne, ainsi que l’Union européenne, la France et d’autres pays, comme des opposants du temps de la Guerre froide.

Même le président français a tenté de taper du poing sur la table en affirmant, délicatement comme à son habitude, au milieu des protestations de la gauche et de la droite : “Nous demandons à ce que cela cesse immédiatement”.

Mais pas Merkel. Elle s’évertue furieusement à repousser le traitement de cette affaire au-delà des élections de septembre prochain. Au moment de la visite du président Obama à Berlin, elle a emboîté le pas aux propos du président américain selon lesquels les révélations relatives aux programmes d’espionnage ont permis de démanteler un certain nombre d’attaques terroristes dans des localités allemandes tenues secrètes. Ces programmes de renseignement ont paru nécessaires afin de défendre les Américains, mais également les Allemands, contre le terrorisme. Hélas, les nouvelles révélations montrent que l’argument terroriste ne représente qu’une composante de ces programmes – qui, en réalité, ciblaient tout et tout le monde, que se soient les entreprises, les fonctionnaires, les diplomates et les élus politiques.

La NSA a collecté des données provenant de près de 500 millions d’appels téléphoniques, d’emails et de sms émis chaque mois rien qu’en Allemagne, révèle Der Spiegel – de loin le pays le plus surveillé du continent européen. En France, ce sont près de 60 millions de communications qui étaient écoutées chaque mois, un chiffre dérisoire en comparaison.

Les craintes exprimées par Berlin depuis longtemps se sont confirmées: avec la bénédiction de la Maison Blanche, les services de renseignements américains ont consciencieusement espionné les Allemands, les entreprises allemandes et le gouvernement fédéral allemand, et ce jusqu’aux plus hautes sphères. La nouveauté réside dans l’étendue de ces programmes de renseignements – et la probabilité, comme l’exprime Der Spiegel, d’une "surveillance totale".

Dans les pays occidentaux, la plupart des services de renseignements ne sont pas autorisés à espionner leurs citoyens sans autorisation judiciaire préalable. Sont ainsi concernés la NSA aux États-Unis, le Bundesnachrichtendienst (BND) en Allemagne et  le Government Communications Headquarters (GCHQ) en Grande-Bretagne. Or, le BND et le GCHQ peuvent surveiller les citoyens américains, comme la NSA peut mettre sur écoute les citoyens allemands et américains. Quelle sera la prochaine étape ?

Les documents révèlent que les services de renseignements collaborent ensemble, que le BND et le GCHQ “assistent” la NSA dans ses activités de surveillance d’Internet et des communications téléphoniques, allant jusqu’à s’échanger des données – le BND et le GCHQ partageant des informations sur des citoyens américains avec la NSA, et la NSA communiquant des informations au BND et au GCHQ sur des citoyens de leur pays. Par conséquent, les agences de renseignements peuvent contourner les restrictions d’écoute de leurs propres citoyens. De cette façon, tous les citoyens, peu importe où ils sont, peuvent être surveillés par n’importe quel gouvernement, y compris le leur, sans qu’aucun contrôle ne soit exercé. Une surveillance totale donc.

Alors que Der Spiegel a décidé de ne pas révéler certains détails qui pourraient menacer la vie de certains agents de la NSA, sa démarche visant à dévoiler le fonctionnement de tout un système est à l’opposé. Il s’avère que la NSA a placé des micros de surveillance dans les bureaux de la représentation diplomatique européenne à Washington DC et a pénétré son système informatique interne, selon un document daté de 2010. Ceci a permis à la NSA d’avoir accès aux mails, conversations et autres documents internes. Infiltration totale !  

La mission européenne auprès des Nations Unies à New York a été espionnée de la même manière. Les documents révèlent également que la NSA a attaqué le système téléphonique d’un immeuble bruxellois abritant le Conseil des ministres et le Conseil européen. Ces attaques provenaient d’agents de la NSA œuvrant depuis le quartier général de l’OTAN à Bruxelles.

Un autre document explique comment la NSA s’est alliée à 80 multinationales investies d’une double mission– défendre les réseaux américains et espionner les autres réseaux. Parmi ces multinationales se trouvaient des compagnies de télécommunications, des entreprises spécialisées dans l’équipement réseau et les logiciels, ainsi que des compagnies de sécurité, toutes identifiables grâce à des noms de code. Une situation embarrassante pour ces entreprises. Ces dernières ont pourtant assuré à leurs clients que leurs données étaient totalement sécurisées alors que, dans le même temps, celles-ci étaient communiquées à la NSA.

Les Européens ont été offenses. Tout particulièrement les Allemands. Ils n’ont pas apprécié d’être qualifies de “cibles” sur l’un des documents révélés, faisant ainsi écho aux protestations d’Obama et de Merkel selon lesquelles seuls les terroristes étaient la "cible" de ces programmes de surveillance.

“Une réminiscence des méthodes utilisées contre leurs ennemis pendant la Guerre froide” a lance la ministre de la Justice, Sabine Leutheusser-Schnarrenberger, membre de la coalition de Merkel avec ses partenaires du FDP. Elle n’a cessé de faire des bonds au sujet de ces scandales d’espionnage, y compris depuis les révélations du programme Prism. 

"L’espionnage a atteint des proportions que je pensais impossible dans un pays démocratique" a affirmé Elmar Brok, membre du parti de Merkel, la CDU, et président du comité des Affaires étrangères au Parlement européen. Les Etats-Unis, anciennement le pays de la liberté, ont "souffert d’un syndrome sécuritaire" a-t-il ajouté. “L’oeuvre de George Orwell (1984) n’est en rien comparable”.

“Un État démocratique qui a recours à des méthodes dignes de la Stasi perd toute crédibilité en tant qu’autorité morale”, a affirmé à Die WeltMarkus Ferber, membre du parti de la chancelière et du Parlement européen.

Les officiels allemands et européens, dans leur ensemble, ont appelé les médias à calmer le jeu. Pendant ce temps, Merkel, qui a débuté sa carrière politique en Allemagne de l’Est rompue aux  “méthodes de la Stasi” et qui est incroyablement populaire, est demeurée silencieuse. Cet animal politique accompli qu’est la chancelière n’a pas de temps à perdre avec de genre d’affaire. Elle préfère essayer de trouver par quel moyen elle peut repousser la gestion de cette affaire au-delà de l’échéance électorale.

Mais l’opposition essaye par tous les moyens d’amener cette affaire au cœur du débat électoral. Peer Steinbrück, le candidat du SPD qui affrontera la chancelière lors des élections du 22 septembre, a demandé à ce qu’elle ouvre une enquête. Le président du SPD, Sigmar Gabriel, a émis l’hypothèse selon laquelle Merkel aurait été au courant de ces écoutes et auraient laissé faire – demandant à ce qu’elle s’explique sur le sujet. Merkel a balayé cette demande d’un lourd silence.

Pendant ce temps, une folle ruée a lieu dans les bureaux de l’Union européenne partout à travers le monde pour un passage au crible des immeubles afin de déceler tous les moyens de mise sur écoute. Le service des Affaires étrangères allemand souhaite mettre à jour ses technologies de communication. Le ministère de l’Intérieur inspecte ses réseaux internes. Et le porte-parole de la chancelière est celui qui a eu de loin les mots officiels les plus durs : “Surveiller ses amis est inacceptable,” a-t-il affirmé. “La Guerre froide est finie.”

Merkel a traversé l’affaire, indemne. Dans les médias allemands, l’affaire est en train de se déporter en direction de la Russie où Snowden a apparemment demandé l’asile politique.

La surveillance outrepasse Internet et les communications. Une technologie qui s’empare furtivement des données de millions d’individus dans la rue, les combinant à d’autres données et les exploitant  l’infini ? Aux Etats-Unis, les agences locales et fédérales adorent cela. Ces technologies sont de plus en plus sophistiquées et de plus en plus accessibles. Elles se répandent à toute vitesse. Tout ceci a conduit un professeur de l’Académie militaire américaine de West Point à prévenir: “Nous n’avons aucune police étatique dans ce pays, mais nous avons la technologie.”

Ce texte a été initialement publié sur le blog Testosterone Pit

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