Pour les chefs d’entreprise, le mythe des 100 jours qui s’impose aux politiques est une aberration managériale<!-- --> | Atlantico.fr
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Le Premier ministre Gabriel Attal vient de passer le cap des 100 jours.
Le Premier ministre Gabriel Attal vient de passer le cap des 100 jours.
©Ludovic MARIN / POOL / AFP

Atlantico Business

Gabriel Attal avait donc 100 jours pour s’installer, tout comme Emmanuel Macron. Pour les chefs d’entreprise, ce mythe des 100 jours est une aberration managériale, voire même une stupidité. Les conditions d’exercice du pouvoir se préparent bien avant et délivrent les promesses bien après.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Les cent jours appartiennent au rituel politique. Et Gabriel Attal n’y a pas échappé. La tradition veut que l'on puisse juger de la capacité à gouverner après les premiers cent jours d’exercice du pouvoir. Il a donc célébré les premiers 100 jours de présence à Matignon encore plus que ce qu’auront fait les présidents de la République.

Pour les responsables politiques, c’est l’occasion de faire un premier bilan, de prouver qu'ils se sont installés sur les rails et que les promesses de campagne seront tenues. Jamais les chefs d’entreprise sérieux n'auront l'idée, le besoin ou l'envie de célébrer les premiers cent jours de leur pouvoir, ce serait assez ridicule. Les actionnaires, les salariés, les banquiers, les fournisseurs et les clients examineront le premier bilan annuel, certes, mais ils éviteront de juger les premiers pas.

Ce rituel des 100 jours, célébré la semaine dernière, est une tradition dans les cercles du pouvoir qui remonte à Napoléon quand il revint en France après l'île d’Elbe le 20 mars 1815, pour essayer de récupérer le pouvoir. Beaucoup ont vu , en lui, le sauveur de la France, mais l'opération se termina par un fiasco. Le « vol de l'aigle impérial » le conduisit à Paris, mais s'arrêta à Waterloo puis à l’île d’Aix d'où les Anglais l'emmenèrent à Sainte-Hélène. Néanmoins, cet épisode qui aura duré 100 jours va s’inscrire au cœur de la légende.

Ce qui est assez paradoxal, car ces cent jours, que vont raconter les survivants de la Garde, vont traverser toutes les révolutions et les pouvoirs. Les « cent jours » vont devenir un épisode incontournable du spectacle politique et le marqueur de la présidentialisation du régime principalement dans les démocraties libérales. Le suffrage universel exprime la légitimité du pouvoir, mais le bilan des premiers cent jours de ce pouvoir renforce cette légitimité en permettant de prouver que l'action politique a bien un contenu et pas seulement une promesse.

Tout cela appartient à une sorte de liturgie du pouvoir démocratique mise en scène et présentée par les médias. Gabriel Attal est sans doute le premier des premiers ministres à célébrer autant l'événement. Il s’est déplacé le matin à Viry-Châtillon là où est mort un adolescent de 15 ans, puis le soir, il s’est offert plus de deux heures de télévision sur BFM TV pour expliquer ce qu'il avait déjà fait afin de bien montrer ce qu'il voulait faire.

L’exercice est assez original, car dans l’histoire politique française, ce sont les présidents de la République qui se pliaient au rituel des 100 jours, et quelque part, la démarche se justifiait par la nécessité de conforter la légitimité de leur élection. Gabriel Attal n’a pas été élu. Il tient son pouvoir du président de la République. À la limite, il n’a de compte à rendre qu’au président. Cela dit, sa demande d’un soutien public à son action dès le départ signifie peut-être qu’il veut s’affranchir de la légitimité attaquée du président pour construire une légitimité qui lui soit propre. L’exercice est difficile. Tous les premiers ministres qui se sont essayés à l’exercice ont échoué; le meilleur exemple est sans doute celui de Jacques Chaban-Delmas qui voulait offrir une nouvelle société. Le président Pompidou n’en voulait pas.

Tous les présidents de la Ve République sont passés par ce rituel, car ils étaient élus de la nation. Georges Pompidou, Valéry Giscard d'Estaing, François Mitterrand, Jacques Chirac, François Hollande et Emmanuel Macron. Ils en ont tous profité pour soulignerqu'ils avaient déjà réalisé une partie de leur programme dans les 100 premiers jours, notamment celle qui était peut-être la plus courageuse, parce que la plus dérangeante pour l’opinion publique. VGE va abaisser le droit de vote à 18 ans dès son arrivée au pouvoir, car il sait que l'opinion est contre. François Mitterrand abolit la peine de mort dès le début de son premier septennat pour la même raison. Les États-Unis ont eux aussi utilisé la formule. Roosevelt va lancer le New Deal dès les premiers cent jours, car il y a urgence à sortir de la crise de 1929. Il demande donc à son peuple d’attendre cent jours pour le juger. John Kennedy aussi va profiter d’un état de grâce pour s’attaquer au racisme de la société américaine.

Ce rituel des cent jours permet de réactiver la personnalisation du pouvoir qui, en politique, a tendance à se fatiguer. Tous les sondages montrent que l’adhésion au pouvoir baisse, il faut donc la renforcer. Ces procédures sont propres aux démocraties libérales. Dans les régimes autoritaires, n’en parlons pas. L'opinion existe bien sûr, mais elle ne s’exprime ni dans les urnes, ni dans la rue, sinon cela tourne à l’épreuve de force. Vladimir Poutine ou Xi Jinping ne se préoccupent que du risque de l’épreuve de force qu’ils doivent mater pour garder le pouvoir.

Pour les dirigeants d’entreprise qui arrivent au pouvoir, le rituel des cent jours n’existe pas, c’est même une épreuve assez incongrue. Christophe de Margerie, qui fut l’un des plus grands PDG de TOTAL, disait très souvent : « les cent jours oui, mais ça se termine très mal, non ? ça se termine à Sainte-Hélène. » Aucun PDG ne se pliera à cette contrainte des cent jours, pour deux raisons très simples.

La première, c’est qu'il n'arrive pas au pouvoir de son entreprise par hasard. Il s’y est préparé ou on l’a préparé. Il a été sélectionné pour cela au terme d’une savante combinaison entre l’expertise, l'intelligence sociale et l'ambition personnelle. Il a été choisi, il est allé à l’école pour cela, il est souvent passé par tous les échelons de la hiérarchie. Il faut analyser le pedigree et l’expérience des plus grands patrons d’entreprise de ce demi-siècle : chez L’Oréal, chez Stellantis, chez Danone ou Essilor. Le patron d’un grand groupe est devenu patron du groupe parce qu’il a créé le groupe lui-même (c’est évidemment le cas de Bernard Arnault chez LVMH ou de François Pinault pour Kering) ou alors il a été choisi au terme d’un consensus entre les salariés, le management et les syndicats qui ont, quoi qu'on dise, leur mot à dire.

La deuxième raison, c’est que le patron ne joue pas son mandat dans les premiers cent jours. Il est jugé tous les ans lors des résultats ou plus souvent tous les 5 ans. En fait, le patron qui réussit n’a aucune raison de quitter son poste. Il a du temps pour développer une stratégie et prouver que sa vision est la bonne. Contrairement au responsable politique qui est à la merci d’un sondage, d’un monde médiatique ou d’une conjoncture internationale qu'il ne maîtrise pas. Mais attention, le dirigeant a du temps, mais il a intérêt à faire le moins d’erreurs possible dans les premiers jours. Il doit déjouer les pièges et créer la confiance nécessaire chez ses actionnaires et ses salariés. La plupart des grandes entreprises qui dominent le monde des affaires ont mis du temps à émerger et à s’imposer. Apple, Google, Amazon, Microsoft, toutes ces entreprises ont démarré dans des garages ou des chambres de bonne, comme on aime à le rappeler dans les séries Netflix. Mais c’est très vrai. La durée de gestation peut durer plus de dix ans, dix ans de galère avant d’obtenir des résultats.

L’entreprise politique ne dispose pas de tout ce temps. La plupart ont 100 jours pour montrer ce qu'ils peuvent faire, d'où le caractère incontournable et rituel de ces 100 jours dont dispose tout responsable politique.

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