Portrait du terroriste dont les Américains ont vraiment peur<!-- --> | Atlantico.fr
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Ibrahim Al-Asiri a mis au point une technique chirurgicale lui permettant d'implanter une bombe dépourvue de métal dans le corps d'un kamikaze.
Ibrahim Al-Asiri a mis au point une technique chirurgicale lui permettant d'implanter une bombe dépourvue de métal dans le corps d'un kamikaze.
©Reuters

Wanted

Ibrahim Al-Asiri est la figure montante d'Al-Qaïda dans la péninsule arabique. Excellent artificier, il est activement recherché par les Etats-Unis. Ses bombes, implantées directement dans le corps des kamikazes, sont indétectables et laissent craindre le pire.

Mathieu  Guidère

Mathieu Guidère

Mathieu Guidère est islamologue et spécialiste de veille stratégique. Il est  Professeur des Universités et Directeur de Recherches

Grand connaisseur du monde arabe et du terrorisme, il est l'auteur de nombreux ouvrages dont Le Choc des révolutions arabes (Autrement, 2011) et de Les Nouveaux Terroristes (Ed Autrement, sept 2010).

 

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Ibrahim Hassan Al-Asiri est l’artificier en chef d’AQPA (Al-Qaïda dans la Péninsule Arabique) et l’un des chefs les plus dangereux d’Al-Qaïda. Né en 1982 à Riyad en Arabie saoudite, il est issu d’une famille de militaires de la classe moyenne. Après ses études secondaires, il intègre une licence de chimie à l’Université de Riyad, car il projette de devenir ingénieur chimiste et de travailler dans le secteur de l’industrie pétrochimique saoudienne.

Le tournant irakien

Mais en 2003, juste après l’invasion américaine de l’Irak, il décide brusquement d’arrêter ses études supérieures alors qu’il est en dernière année de licence et de partir en Irak pour se battre contre les Américains sous la bannière d’Al-Qaïda en Mésopotamie, à l’époque dirigée par le Jordanien Abou Moussab Al-Zarqawi. Peu de temps après, il est arrêté à la frontière saoudienne et écope d’une peine de trois ans d’emprisonnement.

À sa sortie de prison, il retourne dans la région de sa tribu d’origine, les Asiris, au sud-ouest de l’Arabie saoudite, à la frontière avec le Yémen. Il est accompagné de son plus jeune frère, Abdallah Al-Asiri, à peine âgé de 17 ans à ce moment-là. Les deux hommes disparaissent quelques mois après ce voyage au sud.

Début 2007, ils réapparaissent sur la liste des membres d’Al-Qaïda recherchés par les services de sécurité saoudiens pour un projet d’attentat d’envergure visant plusieurs installations pétrolières du royaume. Le frère aîné, Ibrahim Al-Asiri, figure alors en première position sur cette liste de 83 personnes recherchées ; malgré son jeune âge, son frère Abdallah figure en 40e position. Pourchassés par les services saoudiens, les deux frères traversent clandestinement la frontière yéménite et se cachent dans les zones tribales du sud pendant près deux années.

Le refuge yéménite

Début 2009, l’aîné, Ibrahim Al-Asiri, est célébré sur les forums jihadistes comme membre fondateur de la nouvelle branche d’Al-Qaïda au Yémen, AQPA, sous le nom de guerre d’Abou Saleh (entre temps, il s’était marié avec une yéménite, dont il avait eu un fils, Saleh). Il est d’emblée nommé chef des ateliers d’armement de l’organisation. Pour justifier cette nomination, AQPA mentionne à l’époque le fait qu’Al-Asiri maîtrise aussi bien les armes conventionnelles (entre autres les missiles Sam 7 et Milan) que les explosives de toutes sortes (PETN et explosives liquides notamment).

Mais AQPA est le résultat de la fusion de membres saoudiens et yéménites d’Al-Qaïda, et les yéménites craignent alors d’être infiltrés par les services saoudiens, c’est pourquoi ils exigent des preuves de loyauté et de compétence de la part d’Ibrahim Al-Asiri, pour pouvoir faire valider sa nomination par Ben Laden en personne, qui suit alors de près le développement de cette nouvelle branche de l’organisation. Le chef d’Al-Qaïda, lui-même d’origine yéménite, avait envisagé de s’établir au Yémen avec sa nouvelle épouse yéménite et confié, en attendant, la direction de cette branche de l’organisation à son ancien secrétaire particulier, le yéménite Nasser Al-Wuhayshi (toujours à la tête d’AQPA à ce jour).

Al-Asiri se plie d’une manière inattendue au défi qui lui est lancé par le leadership yéménite. Pour prouver sa loyauté et sa compétence, il décide d’utiliser son propre frère, Abdallah, dans une opération suicide, contre son pays d’origine et avec une nouvelle technique de ciblage.

L’opération est montée dans le plus grand secret. Al-Asiri ne met même pas au courant de ses préparatifs le commandant en chef yéménite d’AQPA, Al-Wuhayshi. Il veut faire une action d’éclat qui lui assure le respect de tous, une fois pour toutes.

Le test saoudien

En août 2009, en plein mois du Ramadan, il renvoie son frère Abdallah en Arabie saoudite et lui demande de feindre le « repentir » (tawba) pour pouvoir approcher le vice-ministre saoudien de l’Intérieur chargé de la lutte anti-terroriste, le prince Mohammed Bin Nayef Bin Abdelaziz. Le jeune frère se présente au palais du prince à Djeddah, un soir après la rupture du jeûne, et insiste pour être reçu par le vice-ministre en personne. Il disait vouloir lui fournir des informations de la plus haute importance sur les projets d’AQPA en Arabie Saoudite et bénéficier ainsi de sa clémence et de ses largesses. Le prince Nayef accepte de le recevoir parmi bien d’autres Saoudiens qui participent, comme le veut la tradition, à la rupture du jeûne avec les membres de la famille royale. Le kamikaze suit la file des invités après avoir été fouillé par le service de sécurité qui ne détectent aucune arme ni explosif. Or, le jeune homme était bien porteur d’une charge explosive qu’il ne tarde pas à faire actionner à quelques mètres du vice-ministre, lequel s’en tire miraculeusement avec seulement quelques blessures...

Les services saoudiens qui pensaient initialement que l’explosif était caché dans le rectum du jeune homme, ce qui explique selon eux le fait qu’il n’ait pas été détecté, vont se rendre compte plus tard qu’il s’agissait, en réalité, d’un nouveau type d’explosif, sans aucun composant métallique, qu’Al-Asiri avait confectionné pour l’occasion et avait dissimulé non pas dans le rectum de son frère mais dans son caleçon.

Depuis cet attentat, tous les services de sécurité savaient qu’Al-Asiri était extrêmement dangereux, car inventif et déterminé, jusqu’à sacrifier son propre frère. Ils ne seront pas déçus.

Du local au global

Quatre mois seulement après cet attentat, l’occasion se présente à Al-Asiri d’expérimenter le même explosif (en poudre) et le même procédé (cousu dans les sous-vêtements) contre une cible internationale. C’est un jeune nigérian de bonne famille, Umar Abdulmuttalab Faruq, étudiant de passage au Yémen, qui sera cette fois-ci le porteur de la charge explosive à bord d’un vol à destination de Detroit aux États-Unis, le jour de Noël, le 25 décembre 2009.

Le jeune homme passe sans encombre les portiques de sécurité, avec la charge explosive cousue dans ses sous-vêtements. Sans un retard dans l’allumage de l’explosif et l’intervention opportune d’un passager, l’avion aurait explosé en plein vol au-dessus de la grande ville américaine. La catastrophe est évitée de justesse.

Un an plus tard environ, en octobre 2010, Al-Asiri expédie le même type d’explosif par la poste – en avion cargo – en dissimulant deux charges à l’intérieur des cartouches d’imprimantes neuves : la première charge est envoyée à bord d’un avion à destination de Dubaï, la deuxième à bord d’un avion à destination de Londres. L’une des bombes explose à l’aéroport de Dubaï faisant des dégâts importants dans l’avion, l’autre est découverte à temps à la faveur d’une fouille de fret. Al-Asiri avait programmé les deux bombes pour exploser au-dessus des deux villes symboles. C’est la panique dans le transport aérien de fret qui n’avait pas été jusque-là la cible d’attaques terroristes.

Le Printemps yéménite

Mais l’artificier en chef d’AQPA ne s’arrête pas là. Il profite des troubles consécutifs au Printemps arabe et à la crise politique au Yémen tout au long de l’année 2011 pour développer des ateliers de production d’explosifs et d’entraînement à leur fabrication au sud du Yémen, aux environs de Zinjibar, ville portuaire qui sera pendant plusieurs mois sous le contrôle des combattants d’Al-Qaïda alors alliés aux tribus opposés au régime du président Saleh. Selon les documents internes à l’organisation, il aurait formé une dizaine d’artificiers yéménites, saoudiens et irakiens à ses nouvelles techniques explosives.

Les services de renseignement profitent également des troubles au Yémen pour tenter d’infiltrer AQPA. Conscients que capturer Al-Asiri vivant était hors de portée, leur objectif prioritaire est alors d’obtenir un échantillon du fameux explosif indétectable qui a prouvé son efficacité. Les Saoudiens sont les plus actifs au Yémen car le prince Nayef cherche, depuis la tentative de son assassinat, à capturer Al-Asiri mort ou vif. Fin 2011, il réussit à infiltrer l’un de ses agents au sein de l’organisation terroriste. Celui-ci, même s’il ne parvient pas à approcher Al-Asiri en personne, réussit à obtenir le fameux explosif, après avoir convaincu le commandement d’AQPA qu’il voulait perpétrer un attentat suicide contre les Américains. En mai 2012, il ramène ce précieux échantillon en Arabie saoudite, laquelle s’empresse de partager son butin et ses renseignements avec les services américains, très reconnaissants pour cet apport significatif. L’attentat n’aura pas lieu mais la presse américaine se fait l’écho de la tentative avortée, et Al-Asiri décide d’inventer un nouveau procédé explosif pour garder une longueur d’avance.

La contribution syrienne

La crise syrienne qui dure depuis mars 2011 va fournir à Al-Asiri un adjoint inattendu en la personne du médecin Ahmed Said Saad. C’est un chirurgien syrien qui rejoint AQPA, en passant par l’Arabie saoudite, dès le début de l’insurrection armée dans son pays pour devenir rapidement médecin en chef au sein de l’organisation en raison de son expérience et de ses compétences. Avant d’être tué en 2012 par un tir de drone américain, il participe activement, pendant plus d’un an, aux expériences d’Al-Asiri qui veut réaliser un implant d’explosif liquide indétectable, d’abord sur des animaux puis sur des humains.

Après plusieurs aléas, les expériences s’avèrent concluantes, et Al-Asiri présente au commandement d’AQPA un mémorandum technique d’une vingtaine de pages expliquant en détail son procédé et le résultat de ses expériences. Mais pour valider cette innovation et les opérations proposées par Al-Asiri, le chef d’AQPA, Al-Wuhayshi, s’en remet au jugement de l’ancien médecin de Ben Laden et désormais numéro 1 d’Al-Qaïda, l’Égyptien Ayman Al-Zawâhiri en raison de ses connaissances dans le domaine médical. Celui-ci est si impressionné par l’innovation et par les résultats cliniques des expérimentations, qu’il nomme immédiatement Al-Asiri numéro 2 d’AQPA et l’intègre officiellement dans le cercle très restreint du Commandant central d’Al-Qaïda (le Conseil consultatif). C’est la reconnaissance ultime pour Al-Asiri mais pas encore le sacre.

Le spectre d’un nouveau 11 septembre

Avec une telle validation, Al-Asiri est impatient de prouver l’efficacité de son procédé. Il presse le chef d’AQPA, Al-Wuhayshi, de proposer au chef d’Al-Qaïda, Al-Zawâhiri, une opération de grande envergure pour venger la mort de Ben Laden à l’approche du douzième anniversaire du 11 septembre. Il suggère de faire appel notamment à certains des membres d’Al-Qaïda qui ont réussi à fuir de prison, un peu partout (Pakistan, Irak, Libye...), au cours des dernières semaines, pour mener une attaque coordonnée à l’échelle planétaire. Le principe d’une telle opération est validé par Al-Zawâhiri début août, et ce sont les préparatifs de cette action terroriste d’envergure qui ont été captés par les renseignements américains au cours des derniers jours du Ramadan 2013, mettant l’ensemble des pays occidentaux en alerte. Mais malgré les mesures de sécurité qui ont été prises pour les représentations diplomatiques, on ne sait toujours pas où, quand et comment Al-Qaïda va frapper avec sa nouvelle arme... Tout le monde craint un nouveau 11 septembre.

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