Poitiers 732-733 : simple raid ou tournant de l’histoire ? <!-- --> | Atlantico.fr
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En 1837, Charles de Steuben peignit la bataille de Poitiers sur ordre du roi Louis-Philippe. La peinture montre Charles Martel face à Abd al-Rahman.
En 1837, Charles de Steuben peignit la bataille de Poitiers sur ordre du roi Louis-Philippe. La peinture montre Charles Martel face à  Abd al-Rahman.
©DR

Bonnes feuilles

Isabelle Davion et Béatrice Heuser ont publié « Batailles, une histoire de grands mythes nationaux » aux éditions Belin. Les plus grandes batailles de l'histoire européenne ont engendré des mythes devenus de véritables lieux de mémoire. Du champ de bataille encore fumant, ou des oeuvres d'art, jaillissent des emblèmes, des légendes. Ces interprétations de l'événement historique viennent nourrir un récit national, une propagande ou un imaginaire. Extrait 2/2.

Isabelle Davion

Isabelle Davion

Isabelle Davion est maîtresse de conférences à Sorbonne Université, et intervient également à Saint-Cyr-Coëtquidan et à l'Ecole de guerre. Ses recherches portent sur l'histoire militaire, stratégique et diplomatique du XIXe au XXIe siècle. Sa thèse sur l'Entre-deux-guerres a été récompensée par l'Académie des Sciences Morales et Politiques. Elle vient de publier avec le dessinateur Gaétan Nocq un roman graphique : Le Rapport W. Infiltré à Auschwitz (Daniel Maghen, 2019).

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Béatrice Heuser

Béatrice Heuser

Béatrice Heuser est professeure à l'Université de Glasgow. Ses travaux, internationalement reconnus, s'inscrivent dans le champ des strategic studies et interrogent l'évolution de la guerre. Ils portent plus particulièrement sur la stratégie nucléaire, la théorie stratégique, la culture stratégique, les relations transatlantiques et les politiques étrangères et de défense de la Grande-Bretagne, la France, l'Allemagne et l'Ouest plus généralement. Parmi ses derniers livres : Penser la stratégie de l'Antiquité à nos jours (Picard, 2013) et Brexit in History (Oxford University Press, 2018).

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La bataille qui nous occupe dans ce chapitre est avant tout un fantôme. Les sources contemporaines nous signalent que l’armée du maire du palais mérovingien, Charles, rencontra une armée omeyyade sous le commandement d’Abd al-Rahman, gouverneur général d’al-Andalus. Or nous ne savons ni la date exacte de cette rencontre, ni le lieu où elle s’est déroulée, ce qui amène Jakob Burckhardt à parler, en 1840, du «brouillard le plus épais» entourant le chef d’armée mérovingienne. En réalité, nous savons uniquement que la bataille eut lieu quelque part entre Poitiers et Tours, en octobre 732 ou 733, et que l’armée franque quitta le champ de bataille victorieuse, tandis qu’Abd al-Rahman y mourut.

Or la rareté des sources contemporaines et des connaissances archéologiques propres à cette bataille tranche avec la signification décisive qui lui est traditionnellement attribuée : l’interprétation classique représente la bataille de Poitiers comme un moment clé de l’histoire. Grâce à la victoire de Charles dit «Martel», l’expansion de l’Islam en Europe aurait été arrêtée, et la chrétienté aurait donc été sauvée. «Sans la vaillance de Charles Martel», comme le formule François-René de Chateaubriand en 1797, «nous porterions aujourd’hui le turban». L’historiographie plus récente, néanmoins, conteste une telle importance de la bataille : la rencontre de Poitiers ou Tours y est plutôt réinterprétée comme l’une des nombreuses batailles entre les forces franques et arabes, dont les conséquences, la victoire des Francs, n’étaient pas du tout claires. La bataille de Poitiers trouve donc davantage sa place dans un volume sur les batailles « célèbres et mythiques» que dans une collection consacrée aux batailles «décisives».

CE QUE NOUS SAVONS DE LA BATAILLE

En 730, quatre « groupes» composaient schématiquement le paysage politique. D’abord les Berbères, dont le chef d’armée, Tariq ibn Ziyad, réussit à conquérir une grande partie de la péninsule Ibérique en 711, entraînant l’effondrement du royaume wisigoth, suite à quoi les Berbères continuèrent leur expansion.

Notre deuxième «groupe » politique est représenté par Eudes, le prince, ou plutôt le «duc » d’Aquitaine, comme l’appellent certaines sources, lequel put à peine échapper au siège de Toulouse, en 721, mais réussit ensuite à repousser les assaillants. Dans une lettre envoyée au pape Grégoire II après cette victoire à Toulouse, il se vanta d’avoir tué 375 000 ennemis, et de n’avoir perdu que 1 500 hommes, ce qui est sans doute exagéré. En théorie, Eudes dépendait du roi franc. L’Aquitaine était cependant encore fortement sous l’influence romaine et ses habitants avaient leur propre identité ; dans les sources contemporaines, ils étaient appelés romani. Malgré sa victoire à Toulouse, les forces berbères continuèrent leur politique agressive et conquirent Carcassonne et Nîmes en 721. Eudes donna alors sa fille en mariage à Uthman ibn Naissa, un prince berbère historiquement peu saisissable, également nommé Munuza. La fortune se tourna néanmoins contre Eudes et son allié ; en raison des tensions entre Berbères et Arabes, Munuza se rebella contre le gouverneur omeyyade du calife en Espagne, Abd al-Rahman. La rébellion fut toutefois rapidement réprimée et Munuza se suicida. Sa femme, la fille d’Eudes, fut emmenée, prisonnière, au calife à Damas.

Les forces arabes regroupées sous Abd al-Rahman, que nous considérons comme le troisième « groupe » politique, se retournèrent contre Eudes, défait à la Garonne en 732. L’armée musulmane continua d’avancer, prit Bordeaux, puis Poitiers, pillant les églises. Eudes n’avait plus d’autre choix que de demander de l’aide à Charles Martel, son ancien adversaire.

Né en 691, Charles, qui figure le quatrième «groupe», était le fils de Pépin de Herstal, un des maires du palais du roi mérovingien. Au fil du temps, les maires du palais, les plus hauts dignitaires de la cour chargés d’assurer le pouvoir royal localement, devenaient plus puissants que les rois, qui n’étaient plus que leurs marionnettes. Quand Pépin mourut en 714, sa succession n’était pas claire : ses fils aînés étaient morts avant lui et sa femme, Plectrude, soutenait ses petits-fils plutôt que Charles, qu’elle considérait comme illégitime, parce que né d’une autre femme, Alpaïde. Eudes utilisa cette vacance du pouvoir pour s’emparer de Poitiers, Tours et Clermont en 714. Afin de consolider sa position de maire du palais, Charles installa un nouveau roi, Clotaire IV, contre Chilpéric II, soutenu par ses adversaires. Eudes, le « duc » d’Aquitaine, prit le parti de Chilpéric, mais fut vaincu en 719 par Charles à Soissons, et dut livrer «son» roi. Charles réussit ainsi à prévaloir sur ses adversaires par sa compétence militaire.

Le liber historae Francorum nous raconte qu’après la victoire de Charles sur Eudes, les deux hommes formèrent une alliance. Cependant, la relation entre Charles et Eudes ne fut pas sans conflits. Faisant allusion à l’alliance de mariage d’Eudes avec le prince des Berbères, un chroniqueur qui vers 750 continua la Chronique dite « de Frédégaire » et qui fut plutôt hostile à Eudes, lui reprocha d’avoir invité les ennemis des Francs en Gaule, bien que cette alliance fût plutôt défensive. L’historiographie carolingienne représente Eudes comme étant en écart de loyauté pour mieux légitimer les guerres que Charles commença à mener contre l’Aquitaine. Si Charles put réagir si vite quand Eudes lui demanda de l’aide en 732, c’est qu’il était déjà en Aquitaine pour faire la guerre à Eudes! Pour le continuateur de Frédégaire, le véritable ennemi de Charles était donc Eudes et non pas l’armée d’Abd al-Rahman.

Après qu’Eudes et Charles eurent formé une alliance, Charles essaya d’intercepter l’armée adverse et alla vers Poitiers pour couper la route à Abd al-Rahman, qui cherchait probablement à piller Tours. Dans un endroit aujourd’hui inconnu sur la vieille route romaine entre Poitiers et Tours, les armées se rencontrèrent. La majorité des sources indiquent le lieu comme ad Pectavis (« à Poitiers»), raison pour laquelle il semble raisonnable de parler de la «bataille de Poitiers». C’est seulement après sept jours d’attente, durant lesquels les deux armées se trouvèrent face à face, que les Francs lancèrent l’assaut, un samedi d’octobre. La majorité des historiens situent la bataille en 732, quand d’autres argumentent pour 733. Elle semble avoir duré jusqu’au soir, et le chef militaire arabe, Abd al-Rahman, resta mort sur le champ de bataille. Le lendemain matin, les Francs trouvèrent le camp adverse vide et désert. Ils ne poursuivirent pas leurs ennemis, mais se consacrèrent à la distribution du butin. Le reste de l’armée arabe se retira probablement à Narbonne, et continua de piller et dévaster le Limousin.

Pour comprendre la bataille et sa signification, il convient dans un premier temps d’étudier les sources contemporaines et leur évaluation des événements. La continuation de la Chronique de Frédégaire (pour les années 643-736 et 736-751), déjà évoquée, accorde beaucoup d’espace à la bataille et décrit avant tout Eudes comme un traître. Le chroniqueur ne caractérise donc pas la bataille comme un combat entre religions. Plusieurs annales qui mentionnent brièvement la bataille suivent d’ailleurs ce modèle. Vers 754 à Tolède, un chroniqueur inconnu poursuit l’Histoire des Goths d’Isidore de Séville et nous donne une image plutôt sobre de la bataille. Il souligne les pertes considérables des Francs dans les luttes précédentes et suppose que les Arabes visaient à détruire la cité de Tours. La victoire des Francs est donc célébrée par les chroniqueurs, mais ceux-ci ne qualifient pas la bataille de décisive. Une seule source décrit par ailleurs les Arabes comme des opposants aux « chrétiens».

En somme, peu de sources contemporaines soulignent l’importance de la bataille ou la décrivent en termes religieux. De fait, la bataille de Poitiers s’inscrit davantage dans les nombreux combats entre Arabes et Francs entre 678 et 739. Néanmoins, les adversaires s’affrontèrent dans des coalitions politiques ou militaires variables, entre les Berbères et une partie des Francs, entre différents clans des Francs contre les Arabes, entre des rebelles provençaux et des Arabes contre le maire du palais franc (en 736 et 739). La religion n’était alors qu’un critère de différence parmi d’autres.

LA CHRÉTIENTÉ « SAUVÉE » ? LA BATAILLE COMME TOURNANT DE L’HISTOIRE MONDIALE

Le «mythe » de la bataille de Poitiers est rétrospectif, alors que d’autres batailles se voient consacrées sur-le-champ. La bataille est traditionnellement représentée comme un tournant dans l’histoire, dans la mesure où elle aurait mis un terme à l’expansion de l’Islam en Europe et à la menace qu’elle aurait représenté pour la chrétienté.

Cette miniature d’une chronique du XIVe siècle montre la bataille de Poitiers selon les conventions médiévales : deux armées se rencontrent, sans que la bataille soit chargée d’une façon politique ou religieuse.

La formation de ce mythe commence peu après la bataille et demeure directement liée à la renommée de Charles en tant que guerrier. Or au Moyen Âge, l’étendue d’une victoire résidait tout particulièrement dans le nombre d’ennemis vaincus ou tués. L’auteur bénédictin lombard Paul Diacre († 799), par exemple, met en valeur la victoire de Charles en lui attribuant le nombre immense de 375 000 morts du côté des Sarrasins, face à seulement 1 500 guerriers francs tués. Bien que l’auteur ait mal compris la source dont il adopte les nombres, le Liber Pontificalis, sa version constitua une tradition propre, et ses chiffres furent copiés, transmis et même augmentés à plusieurs reprises par différents auteurs.

Hormis les pertes, la signification historique de la bataille est déjà soulignée pour la première fois au Moyen Âge. Le chroniqueur bénédictin Sigebert de Gembloux († 1112) rend hommage à la puissance et à la performance de Charles, après avoir décrit ses victoires contre les Arabes: «Ainsi, Charles, avec l’aide de Dieu, grâce à ses talents et au courage des Francs, ôta tout espoir d’envahir la Gaule aux Sarrasins, eux qui avaient envahi presque toute l’Asie, la Libye tout entière et une grande partie de l’Europe.» L’évocation d’une Europe menacée par des assaillants, souvent non chrétiens, devint une figure de style courante au XIIe et surtout au XIIIe siècle : l’Europe était présentée comme le dernier refuge du christianisme. Les autres chroniqueurs du XIIe siècle suivent en effet plutôt les modèles traditionnels, et soulignent avant tout le nombre immense de musulmans tués dans la bataille.

Au XVIe siècle, deux interprétations principales dominent le discours: la première explique la bataille plutôt objectivement, tandis que la seconde, celle des bollandistes, représente la victoire des Francs comme un «miracle ». De plus, un schéma narratif devient dès lors visible dans les récits. Par exemple, en 1548, Paul Émile de Vérone attribue à Charles un discours que celui-ci aurait tenu devant ses troupes, dans lequel il leur promit de défendre la cause de la chrétienté. Ce niveau d’interprétation est reflété par la suite de cet épisode : d’après Paul Émile, toute la chrétienté eut fêté la victoire après la bataille. L’écrivain et historien François Eudes de Mézeray adopte en 1643 l’image sombre dessinée par le chroniqueur Paul Diacre plus de cinq siècles plus tôt: la «malheureuse Espagne tomba sous le joug des Infidelles, & par sa chute attira la ruine presque de toute l’Europe ». Au travers d’une harangue, Charles aurait motivé ses troupes en leur déclarant qu’ils pourraient être les défenseurs «non pas de la France, mais du Christianisme, & les Liberateurs du genre humain».

L’importance de la bataille n’est dès lors plus mise en question. Certes, en 1788, l’historien anglais Edward Gibbon doute du nombre immense de victimes rapporté par les sources, mais il semble convaincu que la victoire de Charles a «sauvé nos ancêtres de la Grande-Bretagne et nos voisins de la Gaule du joug civil et religieux du Coran». Alors que l’Islam fut vaincu à l’Est, en 717, devant Constantinople par Léon III l’Isaurien, l’Ouest, c’est-à-dire la Gaule, était encore menacé. Dans ce contexte, la bataille de Poitiers présente pour Gibbon l’estocade portée à l’expansion islamique. Un nouveau schéma d’interprétation émerge ainsi, dans lequel Charles apparaît comme «le sauveur de la chrétienté».

C’est ce modèle explicatif d’une confrontation des systèmes religieux, représentant des valeurs culturelles, qui domine également les textes du XIXe siècle : l’armée arabe d’Abd al-Rahman menace l’ensemble de la chrétienté, voire de l’Europe. Par conséquent, l’historien et romancier français Henri Martin met l’accent sur l’unité des Européens face à la menace de l’Islam. Martin reprend littéralement le chroniqueur hispanique médiéval, qui décrit l’armée de Charles comme composée d’Européens:

«Cette armée détruite, la terre était à Mahomet», qui ainsi obtient le rôle fictif de l’infanticide de la jeune civilisation européenne. D’après Martin, la culture chrétienne européenne seule garantit un «bon» développement de l’humanité ; un argument qu’il souligne par des déclarations anti-islamiques.

Dans la rhétorique du XVIIe au XIXe siècle, la question se pose de manière récurrente de savoir « ce qui serait advenu, si…». Gibbon présume que si les Arabes avaient été victorieux, «l’interprétation du Coran serait maintenant enseignée dans les écoles d’Oxford et ses maîtres pouvaient démontrer à un peuple circoncis la sainteté et la vérité de la révélation de Mahomet. La chrétienté a été délivrée de telles calamités par le génie et la fortune d’un seul homme ». Quelques années plus tard, en 1797, François-René de Chateaubriand présume que Chartes Martel «nous» sauva tous de porter un turban, c’est-à-dire de devenir musulmans. Dans ces textes, les prémisses incontestées d’une hypothétique victoire de l’armée arabe sont avant tout la répression du christianisme et l’islamisation de l’Europe. Cette islamisation aurait été inscrite d’une manière symbolique dans l’image familière du milieu de vie des lecteurs, que les auteurs transforment et aliènent délibérément: on évoque les drapeaux du Prophète soufflant sur les tours de France, la France couverte par des mosquées ou simplement un monde devenu entièrement musulman.

Avec le XIXe siècle, la bataille de Poitiers n’est plus seulement interprétée comme une confrontation religieuse, mais aussi comme un combat entre nations. La recherche des racines historiques des différentes nations implique que certains acteurs et actions soient présentés comme des événements fondamentaux et fondateurs de l’histoire nationale. Au milieu du XIXe siècle, Charles Martel est ainsi imaginé par des historiens allemands comme un champion germanique qui aurait lutté également contre la menace de l’Islam et du paganisme, ou loué comme le «héros de l’Occident», qui aurait donné « à l’Empire germanique une position mondiale durable et magnifique ». Du côté français, Charles est également utilisé comme une figure fondatrice : en 1897, un cuirassé a même été nommé d’après lui.

C’est également au XIXe  siècle que des approches critiques apparaissent. Les auteurs cessent de développer les images, cauchemardesques pour leurs lecteurs, d’une victoire islamique, mais visent plutôt à chercher les causes et effets différenciés de la bataille. Le reproche déjà contemporain adressé à Charles d’avoir aliéné massivement les biens de l’Église est repris par les historiens: avec les biens pillés, Charles aurait payé son armée de sorte que les biens de l’Église devinrent «l’instrument de la délivrance de l’Europe, et de la victoire de l’Évangile sur le Coran». D’autres auteurs élargissent également la vue sur le monde islamique et font référence aux conflits internes entre les forces musulmanes, c’est-à-dire aux tensions entre les Berbères et les Arabes. Mais ce point de vue différent ne change pas la conviction générale que «l’Europe» était menacée par l’Islam.

Par ce raisonnement plutôt critique et sceptique, un changement de paradigme est néanmoins initié, reconsidérant les effets de grande portée de la bataille. L’historiographie de la seconde moitié du XXe siècle est caractérisée par cette approche sceptique, remettant en question le caractère décisif de la bataille pour le sort de l’Europe ou de la chrétienté. Dans les années 1960 et 1970, les premières considérations pro-islamiques surgissent. Certains auteurs se demandent alors même si une victoire islamique aurait vraiment été si mauvaise. Il est frappant de constater que si cette approche réévalue d’un côté les acquis culturels de l’Islam, elle ne laisse cependant de l’autre aucun doute sur l’importance primordiale de la bataille de Poitiers. Celle-ci n’est relativisée qu’au cours des dernières années de l’interprétation sceptique et critique de la bataille.

Or, entre-temps, la bataille a pris son essor dans la représentation populaire, une représentation politiquement chargée. Au travers du mythe de Poitiers, Charles Martel est devenu progressivement un symbole de ralliement de l’extrême droite et des partis xénophobes. Entre 1973 et 1991, une organisation terroriste française se donne le nom de « groupe Charles-Martel» et mène des attaques principalement contre la propriété des Français d’origine algérienne ou contre les mosquées. Le Front national utilise le maire du palais mérovingien comme une figure publicitaire pour son programme politique, par exemple en 2002, avec le slogan «Martel 732 – Le Pen 2002». Depuis lors, un grand nombre de campagnes politiques ont moins récupéré la bataille elle-même que la figure de Charles Martel, stylisée comme le défenseur d’une Europe imaginée chrétienne et culturellement homogène. Pour ces groupes, Charles Martel est jusqu’à aujourd’hui le symbole d’un homme politique délibérément anti-arabe ou anti-islamique, un combattant pour ce qui est considéré comme véritablement « européen». En ce sens, Charles est malheureusement aussi un témoin de l’écart dans l’interprétation d’une figure historique entre une frange de la société et la recherche historique.

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Extrait du livre d’Isabelle Davion et Béatrice Heuser, « Batailles, Une histoire de grands mythes nationaux », publié aux éditions Belin.

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