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Plus efficace que la dissuasion de la perpétuité réelle, la politique du carreau cassé appliquée à la lutte contre le terrorisme ?
©Reuters

Vraies solutions

Suite aux attentats de Paris en novembre 2015 et de Bruxelles le 22 mars dernier, les appels à l'application de peines de prison à perpétuité, et même parfois au rétablissement de la peine de mort, se sont multipliés. Mais c'est surtout sur les premiers délits commis par les délinquants devenus terroristes qu'il faut agir avec fermeté pour obtenir des résultats.

Béatrice Brugère

Béatrice Brugère

Béatrice Brugère est magistrate et secrétaire générale du syndicat Unité-Magistrats FO. 

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Atlantico : La lutte contre le terrorisme a réactivé le débat sur les peines de prison à perpétuité et même sur la peine de mort. N'est-ce pas excessif ? Selon vous, ce type de débat est-il pertinent ou lié à l'émotion du moment ? 

Béatrice Brugère : La question des peines de prison revient à chaque fois dans le débat public à l'occasion de la révélation de crimes graves qui émeuvent la société. En ce sens les crimes terroristes non seulement n'échappent pas à cette règle, mais au contraire exacerbent le débat, car ils sont dans l'imaginaire collectif un des crimes par excellence dans l'échelle de l'horreur. L'enjeu principal du questionnement est la neutralisation quasi définitive de celui qui s'inscrit  en rupture de la société.

Le débat sur la peine de mort ou la perpétuité réelle traduit cette angoisse de la récidive pour une société toute entière mobilisée par l'émotion suscitée par le crime. Au-delà de cette émotion bien compréhensible, il me semble néanmoins que le débat qui doit être posé n'est pas tant celui des peines exemplaires que celui de la réalité des peines effectuées, car la critique porte davantage sur ce qui semble être des " ratés " de la justice.

En effet, l'incompréhension, voire l'indignation, vient du manque de lisibilité pour les citoyens de notre système d'application des peines complexe et dont la doctrine principale est l' aménagement de peine fondé sur la réinsertion sociale, la prison devant rester l'exception. Or, comment comprendre, par exemple, qu' une personne en exécution d'un crime à caractère terroriste puisse se retrouver en liberté en aménagement de peine, ou alors puisse être libérée avant sa fin de peine de manière significative.Le vrai problème est alors l'incertitude pour le citoyen qui résulte de la différence entre la peine prononcée et  la peine exécutée.La question n'est-elle pas alors moins celle de l'augmentation des peines que de ses modalités d'exécution et de sa philosophie: chaque criminel peut-il bénéficier du même traitement d'aménagement et de réduction de peine automatique, qu'il soit délinquant de droit commun ou qu'il soit un terroriste ou un grand criminel?

La dernière loi pénale dite loi sur la contrainte pénale de Christiane Taubira votée en 2014 finira d'achever l'alignement  quasi complet sur un régime unique de traitement des délinquants en ne différenciant plus les primo délinquants des récidivistes. Cette loi nie la réalité criminologique pour ne s'intéresser qu à l'individu à réinsérer. Concernant les terroristes, il me semble que le débat autour de la peine mérite néanmoins d’être posé pour deux raisons : l'échelle des peines reste faible concernant les personnes jugées pour association de malfaiteurs en vue de commettre des actes terroristes qui encourt 10 ans maximum, et il semble important de réfléchir à des peines spécifiques incluant sans doute un suivi post-pénal approprié à ces profils. Quant à la perpétuité réelle, la CEDH nous a condamné pour traitement inhumain ou dégradant. La question est donc assez encadrée et reste politique.

Au regard du profil des terroristes impliqués dans les récents attentats (Charlie Hebdo, 13 novembre, Bruxelles), il est frappant de voir que très souvent, il s'agit d'individus ayant un passé de petit délinquant. Ne faudrait-il pas agir davantage en amont, dès que les premiers petits délits sont commis, voire dès les premiers signes de comportements déviants à l'école pour empêcher la dérive terroriste ? 

La question des profils terroristes est une question complexe car, d'une part, il ne semble pas exister  de profil type, et d'autre part, en France, à la différence de nos voisins européens, nous nous sommes privés d'analyses criminologiques dans nos universités par idéologie. Il est donc difficile de donner des profils affinés et donc des réponses claires.

Tous les petits délinquants ou les élèves turbulents ne sont pas destinés à être des futurs terroristes, il n'y a pas d automatismes. En revanche, ce qui semble de plus en plus évident, c'est qu il existe une porosité entre les milieux terroristes et les milieux de délinquants  de criminalité organisée concernant  les armes, la drogue et la traite des êtres humains. Ces deux mondes, s’ils ne se confondent pas , ne s'ignorent pas. Là encore, nous devons rattraper notre retard pour avoir des outils d'analyse criminologique pour mieux appréhender les phénomènes et les combattre à leur racine.

Notre arsenal législatif est-il suffisant et adapté à la lutte contre le terrorisme ? Sinon, sur quels leviers existants devrait-on agir de manière ferme pour obtenir des résultats à long terme ? 

Notre arsenal législatif ne cesse d’être réformé et une nouvelle loi est en train d'être examinée devant le Parlement pour lutter contre le terrorisme et le crime organisé qui tend à normaliser l'état d'urgence en transférant principalement sur les parquets les pouvoirs d'investigation des juges d'instruction au détriment de ces derniers.  A chaque attentat, nous faisons évoluer notre arsenal et le problème est que nous n'évaluons jamais l'existant avant de le modifier. Il y a également en cours une commission d'enquête sur les moyens accordés à la justice depuis les attentats de Charlie Hebdo. Si notre arsenal législatif semble déjà bien opérationnel, le terrorisme reste un crime qui doit occuper notre politique pénale, mais la réponse restera néanmoins beaucoup plus globale à la fois politique, juridique sociale et géopolitique.

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