Plus d'un milliard de catholiques dans le monde : les lignes de fracture, les points d'ancrage <!-- --> | Atlantico.fr
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Il y a plus d'un milliard de catholiques dans le monde.
Il y a plus d'un milliard de catholiques dans le monde.
©Reuters

Buenos días

Le pape François, qui a été élu mercredi, prend la tête d'une communauté catholique qui a profondément changé depuis le XXe siècle. De l'Argentine à l'Inde, les nouveaux représentants de la foi romaine pourraient apporter un élan novateur à une religion pourtant séculaire.

Charles Delhez

Charles Delhez

Charles Delhez est sociologue de formation et a été ordonné prêtre en 1982.

Il a travaillé notamment pendant cinq ans au Congo (Kinshasa)

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Atlantico : Les catholiques dans le monde comptent désormais avec une forte population africaine et sud-américaine, et sont en croissance en Asie. Faut-il en déduire que l’Eglise Romaine a changé de visage ?

Charles Delhez : Je dirais plutôt qu’elle est occupée à changer de visage, mais qu’elle n’a pas encore véritablement changé. On peut dire néanmoins que l’élection toute récente du pape François représente un réel tournant dans le sens où elle bouleverse les habitudes de l’Eglise telle qu’on la connait. La coutume a été jusque-là d’établir des ponts partants de l’Europe pour aller vers les autres cultures mais il serait aujourd’hui salutaire, pour nous catholiques européens, d’apprendre à fonctionner dans le sens inverse. Le centre de gravité de l’Eglise Romaine change, et l’Europe n’est à terme plus appelée autant qu’auparavant à incarner ce rôle. En religion comme ailleurs, on peut dire de manière objective que le Vieux Continent perd son leadership. Bien que M. Bergoglio soit italien par ses origines, la papauté "échappe" aujourd’hui à une Europe qui ne peut plus rester éternellement le modèle référent du christianisme. Cette ouverture aux autres cultures qui ne ce que l’on appelle "l’évidence de Dieu" pourrait de plus nous permettre de sortir du "désenchantement" occidental.

Les sociologues américains s’étonnent ainsi souvent de "l’exception européenne" sur le point de vue religieux, de par son caractère fortement laïque, et sa capacité à parfois nier le fait religieux qui a pourtant toute sa place au XXIe siècle. La question est de savoir si nous, Européens, sommes prêts à accepter ce changement pour une autre forme de perception. Je pense à titre personnel que notre civilisation a été trop loin dans le désenchantement et la question de la place de "l’invisible" et de la spiritualité mérite d’être justement débattue.

Sans tomber dans le cliché de la "modernisation de l’Eglise", est-il possible de dire que cette nouvelle donne peut influencer les valeurs du monde catholique ? Comment ?

Je dirais pour commencer que la définition de la modernisation reste floue et ambigüe. On trouve dans la modernité du bon et du moins bon. Ainsi je ne suis pas sûr que la dignité de l’Homme soit réellement et constamment garantie de nos jours.  

Je dirais que l’étape la plus importante concerne la "décentralisation" d’une l’Eglise latino-romaine qui fonctionne encore beaucoup sur le système pyramidal. Accepter d’entrer dans le concert des cultures et tolérer le fait que chacune d’entre elles fonctionnent à son rythme n’est en effet pas impensable. Par exemple la question de l’ordination des femmes, sur laquelle je n’émets pas d’avis particulier, pourrait très bien être traitée dans un premier temps en Europe, où l’on est plus ouvert qu’ailleurs à ce type de sujet, sans être forcément abordé dans le reste du monde catholique. L’Eglise est elle aussi touchée par la mondialisation et elle se doit d’être sensible aux entités non occidentales pour éviter tout affaiblissement des cultures qui sont en son sein. J’estime en conséquence que l’élection d’un pape argentin va dans le bon sens.

Peut-on imaginer l’instauration, si l’expression est la bonne, d’un "christianisme fédéral" ?

Le mot fédéral est un terme davantage politique que je ne reprendrais pas. Je parlerais plutôt d’une valorisation de ce que l’on appelle en théologie la "collégialité" (principe qui estime que tous les évêques doivent être responsables des affaires de l’Eglise). Ainsi le système de patriarcats (régions répondant à l’autorité d’un patriarche), tel qu'il fonctionnait dans les premiers siècles, pourrait être une source d’inspiration. Il garantissait une autonomie relative à chaque "Eglise locale" (Constantinope, Alexandrie...) et permettait d’éviter toute uniformisation. En prenant un exemple plus moderne, on pourrait tout à fait assumer l’idée que le CELAM (Conférence des Evêques Latinos Américains) ainsi que d'autres organisations locales, aient une plus grande autonomie vis-à-vis de Rome. Cela ne signifie pas pour autant qu’il faut couper tout lien avec la ville des Papes mais bien de mettre fin à une forme de leadership très hiérarchisée.

La famille, concept central du christianisme, ne se définit pas de la même manière dans les différentes régions du monde. Cette diversité anthropologique peut-elle avoir un impact sur la vision séculaire de l’Eglise dans le domaine ?

C’est là une vaste question. Il est vrai que l’Eglise a une vision à la fois théologique et anthropologique dans le sens où elle a bâti une vision de l’Homme. Cette vision n’est effectivement pas compatible de manière automatique avec la vision que peuvent avoir les pays africains ou sud-américains, mais je pense que c’est une belle difficulté à relever. La solution d’une uniformisation sur le modèle gréco-latin serait injustifiée et expéditive. Il serait louable en conséquence de mettre en place une « inter fécondation » des cultures tout en conservant cet « étalon-or » que sont les principes de l’Evangile. Il s’agit simplement de rappeler que le Christianisme peut effectivement transformer les cultures, comme ce fût le cas avec les barbares européens du Ve siècle, mais que les cultures peuvent elles aussi transformer la manière dont nous vivons le christianisme.

Propos recueillis par Théophile Sourdille

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