Peut-on lutter efficacement contre les violences faites aux femmes dans une société qui laisse se développer les autres ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Des femmes lors d'un rassemblement pour dénoncer les féminicides en France.
Des femmes lors d'un rassemblement pour dénoncer les féminicides en France.
©ZAKARIA ABDELKAFI / AFP

Volonté politique

Emmanuel Macron effectue ce vendredi à Dijon un déplacement consacré à cette lutte à l’occasion de la journée internationale pour l'élimination des violences faites aux femmes.

Louise El Yafi

Louise El Yafi

Louise El Yafi est Juriste et essayiste (Lettre à ma génération, La jeunesse face aux extrêmes, éditions de l'Observatoire).

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Atlantico : Emmanuel Macron effectue ce vendredi à Dijon un déplacement consacré à cette lutte à l’occasion de la journée internationale pour l'élimination des violences faites aux femmes. Comment lutter efficacement contre ces violences dans le contexte actuel ?

Louise El Yafi : On n’attaque jamais quelqu’un que l’on considère comme son égal ou que l’on croit plus fort que soi. Ainsi, au départ de toute violence faite à une femme existe l’idée selon laquelle celle-ci est l’inférieure de l’homme. Tout individu qui se rend coupable d’une infraction de nature sexiste et/ou sexuelle possède au départ un état d’esprit nourri par une idéologie patriarcale. C’est en cela qu’il ne sert à rien de vouloir lutter contre les violences si on ne change pas les esprits en amont.

Changer les esprits est néanmoins devenu un exercice délicat qui consiste à entraîner chacun à l’égalité entre les sexes en passant par la critique de certains comportements ou discours sans passer par la censure comme certaines militantes le prônent. 

Cela passe par l’éducation bien sûr. Celle des garçons à qui l’on doit apprendre à accepter le « non » mais aussi celle des filles à qui l’on doit apprendre à le dire. Cela doit se faire assez tôt car la cour de récréation est souvent la meilleure machine à inégalités : les garçons sont conditionnés très tôt à prendre plus de place dans l’espace commun pour se défouler et faire des sports dont ils interdisent souvent l’accès aux filles. Cela conditionne fortement ces dernières à toujours se faire « petites », ce qui les rendra encore plus vulnérables dans l’espace public plus tard. Il ne s’agit pas là de gommer les sexes mais d’influer très tôt dans les esprits des enfants qu’ils sont égaux malgré leurs différences biologiques.

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Dans une société qui est en proie à une violence croissante, au sens large, peut-on véritablement espérer pouvoir provoquer une baisse des violences faites aux femmes ?

Il faut sanctionner plus et mieux. Il existe en France un paradoxe extraordinaire : la loi réprime de plus en plus sévèrement les violences faites aux femmes mais les peines prononcées contre les agresseurs n’augmentent pas. 

Certaines militantes hurlent à la fameuse « Justice sexiste », or ce n’est pas si simple. Les peines sont rarement lourdes, quelle que soit l’infraction et qu’elle soit faite envers une femme ou un homme, moins par laxisme que par manque de budget. Il n’y a pas assez de personnel de justice comme les magistrats ou les greffiers qui sont donc surchargés et ne disposent que de très peu de moyens, les délais de procédure sont donc extrêmement longs ce qui augmente le risque de disparition des preuves.

Par ailleurs, les prisons en France qui sont bondées, sont dans un état déplorable, nous nous faisons régulièrement condamner à ce sujet par la CEDH. 

Il est par ailleurs toujours cocasse d’entendre certains se moquer de la condition des prisons et de ne jamais vouloir augmenter les dépenses publiques en la matière alors même qu’ils sont les premiers à réclamer plus de sécurité. Augmentez le budget de la justice et vous améliorerez les sanctions, quantitativement et qualitativement. 

Certaines tendances lourdes de la société française risquent-elles de complexifier la lutte contre les violences faites aux femmes ?

Des forces politiques prétendant défendre les intérêts des femmes cherchent aujourd'hui à penser les violences à leur égard à travers une grille de lecture identitaire. L’on se retrouve alors dans un « féminisme sélectif », qui n’a de féministe que le nom et qui sélectionnera les bourreaux à montrer du doigt et les victimes à défendre selon l’origine, la couleur de peau ou la religion de ces derniers. 

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Pourtant, même si cela est terrible à admettre, il n’y a en réalité pas plus universel que les violences faites aux femmes. Peu importe qu’une femme soit riche, pauvre, blanche, noire, catholique, musulmane, juive, athée, hétérosexuelle ou lesbienne, elle risquera de se faire agresser simplement parce qu’elle est femme. Or à problème universel, on ne peut répondre que par des solutions universalistes. 

Quelle est la part de responsabilité politique dans cette situation ? 

Dans un contexte où le sentiment d’insécurité augmente et où celui-ci influe fortement sur le vote réactionnaire, les pouvoirs publics ont le devoir d’apporter des réponses. Aujourd’hui, des atteintes à l’intégrité physique, des violences, des viols ou des agressions sexuelles sont par exemple souvent moins punies que des infractions financières. Cela n’est pas compréhensible dans un Etat de droit censé protéger sa population. Et les femmes en constituent la moitié. 

Or non seulement les chiffres des violences faites aux femmes sont accablants, le nombre de femmes âgées de 18 à 75 ans qui au cours d’une année sont victimes de viols et/ou de tentatives de viol est estimé à 94 000 femmes et 81% des femmes ont déjà été victimes de harcèlement sexuel dans la rue, mais ceux concernant la confiance des femmes en la Justice le sont aussi. 51% des Françaises n’ont pas confiance en la justiceet à la suite des viols ou tentatives de viol qu’elles ont subi, seules 12 % des victimes ont porté plainte.

Comment les femmes pourraient-elles avoir confiance ennotre système judiciaire lorsqu’à titre d’exemple, en 2020, sur 102 femmes tuées par leur partenaire 67% avaient déposé une plainte ? 

Comment leur confiance en la justice ? Et bien en ayant une justice digne de ce nom. 

En matière de violences faites aux femmes, il faut plus de téléphones mis à la disposition des femmes dont le conjoint a été violent par le passé, un renforcement du recours aux bracelets anti-rapprochement, accroitre la surveillance des auteurs de violence conjugale, coordonner ces informations entre toutes les structures judiciaires et policières au niveau national et surtout augmenter le budget de la justice pour que les plaintes soient traitées le plus rapidement possible afin d’éviter la dissémination des preuves notamment en matière de violences sexuelles. 

Certaines militantes prétendument féministes enjoignent encore plus les victimes à ne pas porter plainte en expliquant, à tort, que leur plainte ne sera pas enregistrée, que leur parole ne sera pas entendue et que l’agresseur ne sera pas condamné. C’est un boulevard pour les agresseurs justement ! Rappelons tout de même que si #NousToutes, considéré comme ayant une position hégémonique sur la question des violences faites aux femmes, a été fondé par Caroline de Haas qui considère qu’aller porter plainte ne sert à rien, que les peines sont déjà très lourdes (sic !) et qu’il faudrait abolir la prison. 

Ce discours extrêmement dangereux perdurera sans améliorations concrètes. Si la justice est défaillante, il faut la réformer. C’est l’histoire même du féminisme du siècle dernier.

Louise El Yafi est Juriste et essayiste (Lettre à ma génération, La jeunesse face aux extrêmes, éditions de l'Observatoire).

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