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Petites (et intéressantes) leçons politiques de 2020
©DR / Getty Images

Ce qu'on a appris

Acceptation des restrictions de libertés pour lutter contre l'épidémie de Covid-19, confiance en l'Union européenne en hausse et méfiance plus importante vis-à-vis de la Chine... L'année qui vient de s'achever aura été riche d'enseignements.

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Atlantico : La crise sanitaire survenue cette année a bouleversé notre façon de vivre mais a surtout été révélatrice de nos failles et tempérament en tant que population. Les Français que l’on disait indisciplinés ont pourtant tout accepté en termes de restrictions de liberté, est-ce uniquement dû au caractère exceptionnel de la pandémie ? Y a-t-il d'autres surprises ? 

Vincent Tournier : Il ne faut pas exagérer l’indiscipline des Français. L’image du Français frondeur et réfractaire vient du fait que la France a connu de nombreuses révolutions, et que les manifestations ou les grèves sont assez fréquentes. Mais ces événements doivent beaucoup à des minorités actives et à des contextes bien particuliers. En temps ordinaire, les Français sont assez civiques. D’ailleurs, s’ils ne l’étaient pas, l’épidémie serait certainement beaucoup plus développée. Certes, la peur du gendarme joue aussi, mais ce n’est pas un facteur suffisant puisque le gouvernement a manifestement du mal à faire cesser une fête de 2500 personnes en Bretagne. Donc, si les gens avaient vraiment voulu sortir en masse pour faire la fête, le pouvoir aurait-il vraiment pu s’y opposer ?

Face à l’épidémie, les gens ont bien compris qu’il fallait accepter certaines contraintes. Ils le comprennent d’autant mieux qu’ils voient bien que nous ne sommes pas les seuls à avoir des problèmes. Cela dit, c’est ce retour en grâce des contraintes qui risque d’avoir le plus d’implication pour l’avenir. Car d’une certaine façon, la crise sanitaire a marqué une rupture. Jusqu’à présent, nous étions plutôt dans une phase de mise en retrait de l’Etat et d’accroissement des libertés individuelles, le tout sous la supervision de tribunaux de plus en plus envahissants. Or, l’épidémie a fragilisé cette dynamique. D’une certaine façon, elle a réhabilité le rôle de d'Etat et donné un nouveau souffle à certains principaux qui avaient été quelque peu oubliés : l’impératif de sécurité, le contrôle des frontières, l’autarcie agricole et industrielle, la centralisation du pouvoir. Même la lutte contre le terrorisme islamiste n’a pas su provoquer un tel bouleversement.

Certes, il est possible que la crise sanitaire ne soit qu’une simple parenthèse vite oubliée et que les choses reprennent rapidement leur cours. Mais il est également possible que l’épidémie marque le début d’un nouveau cycle car la question des libertés individuelles ne peut plus être abordées de la même façon, surtout en sachant que les épidémies risquent de devenir chroniques.

Suite à la sortie du Royaume-Uni de l’Union Européenne, la part des adultes britanniques ayant une opinion favorable de l’UE a atteint son niveau le plus élevé jamais enregistré. L’opinion des Français envers l’UE a-t-elle évolué pendant cette année ? 

L’image de l’Europe s’améliore auprès des Britanniques depuis que ces derniers savent qu’ils vont la quitter. C’est donc une évolution difficile à interpréter : est-ce le signe d’un regret ou juste l’expression d’un soulagement ? Quand un couple divorce, les qualités du conjoint apparaissent plus évidentes, mais cela tient simplement au fait que les conflits appartiennent au passé. Si le couple vient à se reformer, les rancœurs risquent fort de ressurgir rapidement. Il en va de même pour le Brexit, qui n’est pas un simple caprice : il s’agit d’un mouvement de fond, qui prend appui sur des critiques sérieuses à l’encontre de l’Union européenne, critiques que les médias français préfèrent mettre sous le tapis.

Concernant les Français, l’image de l’Europe reste assez stable. L’Europe bénéficie d’un soutient assez important, mais qui n’est pas majoritaire car les opposants sont minoritaires et que beaucoup de gens (un tiers environ) n’ont pas vraiment d’avis. Le Brexit n’a rien changé. Il n’a pas eu d’effet d’entraînement, contrairement à ce que redoutaient les gouvernements. On observe au contraire une légère amélioration de l’image de l’UE en France depuis 2016. Cela ne veut pas dire que l’avenir de l’Europe s’annonce radieux car le soutien populaire est limité. Il n’y a jamais eu de véritable enthousiasme pour l’Europe. La cause européenne risque de connaître quelques difficultés à l’avenir car le Brexit accroît mécaniquement le poids de l’Allemagne, ce qui n’est pas forcément une bonne nouvelle pour la France. En fait, on se retrouve un peu dans la situation d’avant 1973, lorsque le Royaume-Uni n’avait pas encore adhéré, avec deux différences majeures : d’une part l’Europe des Six est passée à Vingt-Sept, ce qui la rend quasiment ingouvernable ; d’autre part l’Allemagne s’est réunifiée. La France perd donc de son influence et va avoir de mal à faire triompher sa vision, notamment en matière géopolitique et militaire. Pour rééquilibrer le mastodonte allemand, il faudrait que la France trouve des partenaires. Il se pourrait alors qu’elle ait besoin de pays comme la Pologne ou la Hongrie, ce qui risque d’être compliqué à expliquer puisque ces pays sont aujourd’hui présentés comme les vilains petits canards de l’Europe.

Dans une majorité des pays, les populations expriment des opinions négatives à l’encontre de la Chine surtout sur sa gestion de la Covid-19. La France est-elle atteinte elle aussi d’une défiance importante par rapport à l’empire du milieu depuis ce début d’année ?

Quand on regarde les chiffres du Pew Research Center, il est en effet frappant de voir à quel point l’image de la Chine s’est effondrée brutalement dans beaucoup de pays occidentaux, sauf éventuellement en Italie où cette image était mauvaise depuis longtemps. En France, par exemple, la proportion de gens qui jugent défavorablement la Chine est passée en gros de 50% à 70%.

L’épidémie de coronavirus a vraisemblablement contribué à ce déclin : d’une part la Chine est tenue pour responsable de cette crise, d’autre part l’opacité de son système a été mise au grand jour. Mais plus largement, c’est toute une image qui change : la Chine n’est plus vue comme un pays inoffensif avec lequel on peut développer le commerce, elle commence à apparaître comme une puissance impérialiste qui ambitionne de dominer le monde. C’est l’autre effet de la crise sanitaire : elle a démontré que les pays occidentaux étaient devenus très dépendants à l’égard de la Chine.

S’ajoute à cela un autre élément : le traitement par les autorités chinoises de la minorité musulmane ouïghoure. Or, les Européens sont très sensibles sur ce point, comme on a pu le vérifier récemment lorsque le footballeur Antoine Griezmann a décidé de rompre son partenariat avec Huawei. Cette sensibilité pro-islam crée un paradoxe qui mérite d’être relevé : malgré les attentats et les difficultés, il existe en Europe une sympathie pour la cause de l’islam qui est très marquée, et c’est cette sympathie qui conduit maintenant à voir dans la Chine l’ennemi de l’Europe, quitte à se retrouver sur la ligne de Donald Trump puisque c’est lui qui a engagé une politique visant à contenir la Chine.

Aux États-Unis, une grande majorité d’adultes expriment dans un sondage qu’il y a un ensemble de leçons que l’humanité peut tirer de l’épidémie de coronavirus. Dans notre pays, y a-t-il des actions que la classe politique puisse faire pour répondre aux enseignements que les Français ont tiré de 2020 ? 

Il y a toujours des leçons à tirer d’une crise, le problème est de savoir lesquelles. Dans le sondage que vous citez, une partie importante des Américains considèrent que les leçons de l’épidémie ont été « envoyées par Dieu » (35%). Même si on prend au sérieux ce postulat d’un message divin, il n’est guère évident de savoir ce que Dieu a voulu nous dire. Seuls les islamistes sont convaincus que l’épidémie a été envoyée pour punir l’Occident. Pourtant, les musulmans ne sont pas plus immunisés contre le virus que les autres populations, et ils seront certainement très heureux de pouvoir bénéficier du vaccin qui a été mis au point par des laboratoires occidentaux.

Pour que l’on puisse tirer les leçons d’une crise, encore faut-il qu’il existe un relatif consensus sur la nature de celle-ci : quelles en sont les causes et les effets ? quels sont les problèmes qu’elle a révélés ? Quels sont nos points forts et nos points faibles ? Obtenir un consensus est délicat car la perception de la crise diffère vraisemblablement selon de nombreux critères : la gauche et la droite, les jeunes et les vieux, les malades et les bien-portants, les salariés en télétravail et les livreurs précaires, etc. Même les hommes et les femmes sont susceptibles d’avoir des avis différents puisque la mortalité masculine s’est avérée plus élevée que celle des femmes.

Le problème à ce stade est qu’on ne voit pas vraiment émerger un discours cohérent sur la crise. C’est pourtant là que se situe le principal enjeu dans les mois à venir. Il s’agit de donner du sens à l’épidémie : pourquoi un tel événement a-t-il pu se produire ? Pourquoi s’est-on retrouvé dans une telle situation de vulnérabilité ? Pourquoi l’Etat a-t-il été parfois incapable de prendre des décisions claires et cohérentes ? Le confinement était-il la meilleure option ? Que doit-on faire pour éviter que cela ne se reproduise ? Quels sont les bons investissements à prévoir, et donc aussi les secteurs à sacrifier ?

Ce sont ces questions qui doivent désormais être abordées, notamment en vue des prochaines échéances électorales de 2022. Ce n’est pas facile car les grands sujets de préoccupation ont tendance à se porter sur des points secondaires. Comment se fait-il par exemple que nous parlions autant des violences policières, que nous passions autant de temps à compter la proportion de femmes ou de « non-blancs » à la télé alors que le pays est dans une situation si difficile ?

Ce décalage confirme que nous sommes entrés dans une zone de turbulence où les grilles de lecture habituelles sont en grande partie obsolètes, comme le montrent d’ailleurs les difficultés que rencontrent les partis politiques traditionnels pour parler aux électeurs. Ce problème de déphasage se pose également à Emmanuel Macron car celui-ci va difficilement pouvoir ressortir le même discours qu’en 2017. Il ne sera pas évident pour lui d’expliquer en quoi son projet est compatible avec la double menace que représentent le séparatisme islamiste et le virus.

Or, dans les deux cas, les enjeux sont de taille, même s’ils sont de nature différente. Le séparatisme islamiste fait partie des problèmes dont on parle en réalité depuis très longtemps et pour lequel tous les éléments sont déjà sur la table. Seule manque la volonté d’agir. Ce n’est pas le cas de l’épidémie, laquelle a pris tout le monde au dépourvu. Dans notre malheur, nous avons eu de la chance : si le virus avait été plus dangereux, où en serions-nous aujourd’hui ? Il semble d’ailleurs que, en mars dernier, nous ne sommes pas passés loin d’une rupture dans l’approvisionnement alimentaire puisque l’hypothèse d’un rationnement a été examinée. Qui a envisagé que la France puisse être confrontée à une telle difficulté ?

Bref, les scénarios les plus pessimistes doivent désormais être pris au sérieux. Cela suppose de laisser de côté les approches idéologiques qui nous empoisonnent depuis trop longtemps et d’aborder les problèmes avec humilité tant notre aptitude à anticiper l’avenir est limitée.

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