Pourquoi la case Révolution industrielle peut être zappée par les pays émergents<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Pourquoi la case Révolution 
industrielle peut être zappée 
par les pays émergents
©

BRIC à brac !

Chaque région du monde suit son propre cheminement. La variété de cultures qui existent à travers le monde ne permet pas de penser l'évolution d'un pays en la comparant à celle passée d'une autre nation.

Hubert Bonin

Hubert Bonin

Professeur d'histoire économique à Sciences Po Bordeaux.

Chercheur au Groupe de recherche en économie théorique et appliquée du CNRS de Bordeaux.

 

Voir la bio »

Les historiens économistes ont depuis un demi-siècle débattu des notions de « retard » (Alexander Gerschenkron), de « rattrapage » et de la diversité des « voies du développement ».

On sait, par analyse et raisonnement comparatif que, tout au long des deux premières révolutions industrielles, chaque aire de développement (Europe de l’Ouest, Europe rhénane et danubienne, Russie, aire nord-américaine, Shanghaï, Japon, etc.) a suivi son propre « modèle de développement ». On ne peut concevoir par conséquent que la troisième révolution industrielle, qui a pris corps depuis le milieu des années 1970, tranche avec cet état de fait, et on insiste d’ailleurs bien, depuis une douzaine d’années, sur « la variété des capitalismes » !

Bien sûr, le socle de la croissance, dans chaque aire, s’appuie sur des ressorts communs, les techniques et les produits textiles notamment, ou l’agroalimentaire, dont le corpus a glissé : on parle désormais d’« essaimage » (formation de colonies) de l’Europe vers le Japon, Shanghaï et le Nord-Est américain, ainsi que dans les pays en voie de développement. Des processus d’« imitation » spontanée se sont toujours déployés, autour de technologies et modes de production basiques, en particulier pour les branches productives mobilisant une masse de main-d’œuvre bon marché. Et l’on retrouve cela aujourd’hui dans l’automobile, la pétrochimie ou les biens de consommation audiovisuels.

On n’échappe donc jamais à ce « mimétisme » (processus conduisant à l'imitation), nourri non seulement par la recomposition permanente de la division internationale du travail, à l’échelle « régionale » ou mondiale, et par l’ouverture de nouveaux marchés de consommation qui « nourrissent » le décollage d’industries ou de services locaux, avec ou sans protection douanière pour encourager la « substitution » aux importations (comme le recommandait Friedrich List au XIXe siècle).

Cela dit, on peut penser que des processus de « différenciation » se structurent en parallèle. Des économistes ont parlé du « saut » qui permet à des pays émergents de bondir directement de l’état de sous-développement à celui d’économie compétitive grâce à l’absorption immédiate (sur plusieurs lustres !) des technologies les plus modernes, donc sans passer par l’étape intermédiaire de la copie ou de la transplantation des « modèles de croissance » déjà mûrs dans les « vieux pays ».

C’est le pari qu’a fait le Brésil dans l’aéronautique, l’industrie pétrolière (au son du canon !) ou même l’économie de « l’entertainment » (économie audiovisuelle, économie du sport, en sus de l’économie du tourisme classique), donc en s’insérant en direct dans les champs de la troisième révolution industrielle. C’est aussi la stratégie choisie avec éclat par des plates-formes comme Dubaï ou Singapour, alors que Hong Kong est d’abord passé par la case « classique » du textile dans les années 1950-1970 : tout de suite, ces cités-ports brassent les plus hautes technologies, grâce à leurs capitaux énormes (leurs fonds souverains, notamment), qu’elles appliquent à des industries (pétrochimie, aluminium,énergie, etc.) dont elles peuvent révolutionner les processus en « sautant » directement vers la métamorphose permise par de l’ingénierie de haute productivité ou l’électronique de gestion.

Chaque aire régionale ou chaque pays (grand ou petit) ne peut de toute façon pas « imiter » les prédécesseurs ou les concurrents, puisque le « niveau de développement structurel » est fondamentalement différent. Suivre un rythme fort de croissance diversifiée  comme l'a fait le Japon à partir des années 1950-1960, autour de ses keiretsu, ou la Corée du Sud à partir des années 1960-1970, autour de ses chaebols - exige d’intenses investissements dans un système scolaire mêlant alphabétisation et formation technique, dans des écoles d’ingénieurs, dans la promotion des femmes.

Et, surtout, ces pays émergents doivent investir dans des pôles de recherche et développement (R&D), brassant capitaux publics (ce fut le cas du Japon, ne l’oublions pas, autour des universités et du fameux MITI, le ministère de l’industrie, de la recherche et du commerce) et fonds d’entreprise. Chaque pays doit batailler pour lui aussi concevoir des aires d’osmose entre innovation et technologie, le modèle des « rues technologiques » ou de « valleys », popularisé par la Silicon Valley. Le président russe Dimitri Medvedev vient ainsi de parrainer la mise en place d’un vaste pôle d’incubation de R&D, public et privé. La Chine tente de « monter en gamme » en édifiant des centres académiques mêlant université, recherche et ingénierie, ici et là d’ailleurs en partenariat avec de grandes écoles d’ingénieurs occidentales.

Pourtant, si cela laisserait faussement croire que le « rattrapage » pourrait se faire « à l’identique » des pays occidentaux, ce serait une perception fallacieuse. En effet, chaque pays « neuf » ne peut que suivre son propre cheminement, sur ces terrains, car on ne peut surimposer un modèle « intellectuel » uniforme ou « universel ». Il faut en effet tenir compte de la culture régionale ou des cultures, des corpus de mentalités, etc. La « culture indienne » (au sens large) et la « culture occidentale » (gestion du temps, etc.) doivent ainsi se trouver des points de convergence dans la célèbre région de Bangalore, où s’entremêlent désormais les cultures technologiques mondiales.

L’historien économiste ne peut qu’en appeler à la vigilance quant aux raccourcis trompeurs, qui pourraient contraindre les faits historiques et économiques à entrer dans un moule commun : tout au long des trois révolutions industrielles successives - réalité reconnue même si nombre d’Anglo-saxons parlent d’une seule « industrial revolution »… -, des « modèles dominants » ont servi de levier à des processus de rattrapage et d’imitation, mais à chaque fois, chaque grand pays émergent ou chaque aire d’émergence a tissé ses propres habits de culture technique, de culture de gestion, de rapport aux hommes, au monde, à la modernité. Parler de « variétés du capitalisme » ne suffit pas, puisqu’il faut aussi scruter les « variétés de culture » au cœur même de ce fameux « esprit d’entreprise » qui sert de levier à l’éclosion, puis à la croissance organique des sociétés et des grandes firmes.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !