Pauvres petits internautes riches : l'envol des fétichismes extrêmes de l'alimentation<!-- --> | Atlantico.fr
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Coréenne qui mange devant sa webcam
Coréenne qui mange devant sa webcam
©YouTube

Web XXL

Une jeune Coréenne fait le buzz et gagne l'équivalent de 7 000 euros par mois en engloutissant des milliers de calories devant sa webcam.

Atlantico : Une jeune Coréenne fait actuellement le buzz sur internet en engloutissant des quantités astronomiques de nourriture face à sa webcam, et en chattant avec ses fans en même temps. Cette dernière touche près de 7.000 euros par mois de la part de ses spectateurs pour qu'elle continue de se filmer en train de manger. Que révèle ce phénomène de notre relation à la nourriture ?

Jean-Daniel Lalau : Sans être "psy", mais pour avoir été déjà confronté avec des collègues psychologues à ce type de problème, je puis tout de même dire que ce phénomène révèle une perturbation majeure de la relation à l’aliment, et aussi de la relation à autrui.

Valérie Orsoni : Le phénomène des "extreme eaters" ou mangeurs extrêmes n'est pas vraiment nouveau. Cela fait des années en effet, des centaines pour certains coins du globe, que des concours de nourriture ont lieu.

Néanmoins, avec le développement d'internet, nous sommes confrontés à des individus qui utilisent la nourriture comme aimant social et comme source de revenus en s'exposant en train de dévorer des quantités astronomiques ou des aliments "interdits" ou choquants (insectes, reptiles, nourriture crue, etc...).

Avec l'avènement de la société de consommation, de la disponibilité de produits alimentaires dans les pays occidentaux, et de l'augmentation du taux d'obésité, la nourriture est passée d'amie salvatrice à l'ennemi dont il faut se méfier.

Et comme tout interdit, l'homme aime les transgresser. Et quoi de mieux que la provoc pour cela ?

Existe-t-il un fétichisme de l'alimentation ? Comment s'illustre-t-il ? Quelles en sont les causes ?

Jean-Daniel Lalau : Oui, il existe bien un fétichisme de l’alimentation, avec des pratiques diverses et variées souvent avec connotation sexuelle (l’alimentation est dite « érotisée »), et donc souvent dans un échange physique avec un partenaire. Dans le cas présent, je pense plutôt à une boulimie, qui passez-moi l’expression mais c’est tout de même ça le problème, « nourrit le buzz ». Il est vrai que les personnes boulimiques se cachent souvent pour manger, tant la culpabilité (des crises) est forte ; mais le paradoxe n’est peut-être qu’apparent, car l’ordinateur fait… écran, au sens où le contact (avec autrui) n’est pas direct. Tout cela alors en miroir de vidéos « valorisant » l’anorexie sur le Net.

Valérie Orsoni : Comme son pendant sexuel, il existe un fétichisme alimentaire, qui peut être lié, selon certains psychologues, au stade freudien de notre développement dit "oral".

Ce fétichisme, caractérisé par des jeux utilisant la nourriture, se manifeste de façons différentes : sitophilie quand la nourriture est utilisée comme objet sexuel, ou vorarephilie, dans le cas de notre jeune coréenne, quand l'excitation est provoquée par l'action de manger.

Ce genre de fétichisme implique d'ingurgiter des aliments dits interdits ou en de très grandes quantités, allant ainsi à l'encontre de la bienséance: 18 000 calories en un repas, ou bien 43 ailes de poulets en 5 minutes, etc. Il peut se vivre seul, devant une caméra ou bien en groupe, lors de compétitions comme celle organisée chaque année à Las Vegas intitulée Las Vegas Wing Bowl, où l'objectif est d'ingurgiter le plus grand nombre d'ailes de poulet sans vomir. La championne 2013 (oui, une femme, la seule face à plus de 30 hommes), a réussi l'exploit d'avaler 143 ailes de poulet, remportant ainsi le prix de 2 000 dollars.Les causes en sont multiples : une envie indécente de braver les interdits principalement, un désir de provocation sociale, mais contrairement à ce que certains articles pourraient laisser penser, rarement uniquement l'envie de gagner sa vie via ces excès.

Quelle excitation peut-on ressentir à regarder une personne en train de manger ? A quels fantasmes cette vision nous renvoie-t-elle ?

Valérie Orsoni : Regarder une personne (spécifiquement une femme) ingurgiter de la nourriture peut exciter principalement une communauté d'hommes, de par la référence clairement sexuelle du geste. Peu de femmes sont attirées par ce genre d'exploit. Celles qui le sont auront vraisemblablement un problème de comportement alimentaire, pro-ana, boulimique, anorexique, etc.

Cette vision renvoie aux fantasmes de l'interdit, du choquant dans notre société formatée et à l'incapacité que la majorité d'entre nous a à braver les interdits, qu'ils soient bien-fondés ou non. Nous vivons une vie rangée tandis que "eux" non. Ils créent l'admiration par l'action indécente. 

Jean-Daniel Lalau : De l’autre côté de l’écran, je pense que l’on est intéressé de regarder ce type de scène dans deux cas de figure : la scène pour la scène, pour sa singularité, et donc pour le buzz ; et la scène de nutrition en particulier, parce que l’on présente soi-même une problématique avec l’alimentation. 

Peut-on parler de voyeurisme à propos de ceux qui regardent avec plaisir une personne en train de manger ?

Jean-Daniel Lalau : En regard des deux cas de figure que je viens de présenter, il y aurait un niveau de relation, malsain, effectivement d’exhibitionnisme/voyeurisme ; et un autre niveau renvoyant, lui, à une addiction alimentaire réciproque.

Valérie Orsoni : On peut parler de voyeurisme puisque celui-ci se caractérise par une non-intéraction avec le sujet observé.

Épier un individu s'adonnant à un acte dérangeant et hors-norme tel que le "competitive eating" et en retirer du plaisir, correspond ainsi à cette description. Si l'on se base sur la définition psycho-analytique du voyeurisme, celui-ci serait causé par un refus d'acceptation de l'angoisse de la castration et donc de l'identification au père, ce qui explique qu'un grand nombre de voyeurs sexuels ou alimentaires soient des hommes.

Le phénomène coréen est virtuel. Peut-on retrouver cette tendance dans le monde réel ? Quels sont les dangers de ce phénomène ?

Jean-Daniel Lalau : Le mot « virtuel » me gêne dans votre question, car poser en icône à l’écran, c’est établir une relation en grande partie virtuelle, faire vivre une Grande Bouffe par procuration. Sinon, pour ce qui nous concerne, nous nutritionnistes, ce type de scène est le résumé de tous les dangers en nutrition, de la relation perturbée à l’aliment et en définitive à soi : le déséquilibre majeur ; le contrôle, ou la perte de contrôle ; l’immédiateté (les images filant à la vitesse de l’électron) ; le manque de partage véritable ; le rôle délétère de l’environnement.

Plus encore : le risque est de ne pas bien comprendre ce qui se passe. Le film La Grande Bouffe que j’ai évoqué (Marco Ferreri, 1973) était bien sûr à prendre au second degré, comme une critique féroce de la société de consommation ; dans le cas présent, on est plutôt au 36ème dessous. Rien ne serait grave toutefois si cette image de déliquescence devait demeurer isolée.

Valérie Orsoni : Le danger principal de ce phénomène coréen est l'inspiration que des adolescents ou personnes en danger psychologique pourraient en retirer avec tous les risques que cela implique.

En effet, le phénomène coréen n'est que le haut de l'iceberg et cette tendance a fait son entrée dans les médias people. D'ailleurs, cette semaine, Closer en Angleterre, publie un article entier sur Miki Sudo, la championne du monde du "competitive eating" (il existe même une fédération régissant ces concours, la IFOCE, International Federation of Competitive Eating). Ce petit bout de femme, mince, qui pèse 54 kg pour 1m68, est capable d'ingurgiter 18 000 calories en 10 min, 109 œufs durs ou 4 kg de kebab pendant une compétition. Elle se prépare comme une championne, avec jours de jeûne, sport intense, etc. et prétend qu'elle est capable de garder la ligne en se privant pendant des jours entiers et en s'adonnant ensuite à ces concours de l'extrême.

Seules 4 autres femmes dans le monde participent au circuit du competitive eating. Malgré les risques à court-terme comme une inflammation de l'estomac ou de l’œsophage, et les risques à long-terme au niveau cardio-vasculaire et santé en général, Miki est motivée : en effet, elle économise tous ses prix pour s'offrir la maison de ses rêves, et pour un jour, peut-être trouver un mari qui pourra manger autant qu'elle.

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