Ocean Viking : l’Europe dans la spirale infernale de ses hypocrisies<!-- --> | Atlantico.fr
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Des migrants sur le pont du navire Ocean Viking de l'organisation "SOS Méditerranée" dans le golfe de Catane en mer Méditerranée, le 6 novembre 2022.
Des migrants sur le pont du navire Ocean Viking de l'organisation "SOS Méditerranée" dans le golfe de Catane en mer Méditerranée, le 6 novembre 2022.
©VINCENZO CIRCOSTA / AFP

Immigration

Paris et Rome se renvoient la balle sur le sort de l'Ocean Viking, un bateau humanitaire de l'ONG SOS Méditerranée. Le navire est bloqué en mer avec 234 migrants à bord.

Rodrigo Ballester

Rodrigo Ballester

Rodrigo Ballester dirige le Centre d’Etudes Européennes du Mathias Corvinus Collegium (MCC) à Budapest. Ancien fonctionnaire européen issu du Collège d’Europe, il a notamment été membre de cabinet du Commissaire à l’Éducation et à la Culture de 2014 à 2019. Il a enseigné à Sciences-Po Paris (Campus de Dijon) de 2008 à 2022. Twitter : @rodballester 



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Atlantico : Depuis 18 jours, l’Ocean Viking cherche un port dans lequel débarquer. La France et l’Italie se renvoient la balle sur le sujet. Quelle est  la part d’hypocrisie dans la posture des gouvernements ?

Rodrigo Ballester : Hyprocisie, signalement vertueux, impuissance, feuilleton médiatique, passage en force des ONGs, tout y est, et pourtant, absolument rien de nouveau. L’Ocean Viking est l’énième épisode de l’échec collectif du contrôle des frontières européennes. Cela fait une bonne dizaine d’années que les activités des ONGs en Méditerrannée font polémique et révèlent l’incapacité de l’UE.  Le cas le plus paradigmatique fut celui de l’Aquarius en 2018, interdit d’accoster par Matteo Salvini, alors Ministre décrié de l’Intérieur et homme fort du gouvernement italien, et finalement reçu dans une pompe médiatique qui frisait l’obscénité, par un Pedro Sánchez fraîchement arrivé au pouvoir. Quatre ans plus tard, ce même Sánchez ne trouvait rien à redire à l’intervention sanglante de la gendarmerie marocaine qui  laissa plusieurs dizaine de morts après l’entrée en force massive de milliers de sub-Sahariens. Du signallement vertueux au « circulez, rien à voir », un cas symptomatique de cette hyprocrisie éhontée.

Dans le cas actuel, le nouveau gouvernement italien est tout à fait cohérent. La lutte contre l’immigration irrégulière est une de ses promesses électorales et Meloni ne fait que s’y tenir. La France, quand à elle, n’a juridiquement pas l’obligation d’accueillir les migrants (et potentiels demandeurs d’asile, pour certains) du Viking Ocean mais est prête à le faire. Pour débloquer la situation, par pur esprit humanitaire, par récupération politique ? Difficile à dire, mais rappelons tout de même que les tensions entre Paris et Rome au sujet de la migration ne datent pas de hier. Depuis 2018, l’Italie accuse la France de refouler des migrants entre Menton et Vintimille et Paris reproche à Rome son incapacité à tenir sa frontière maritime.

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Et en parlant d’hyprocrisie, soyons honnêtes et n’oublions pas le cynisme de certaines ONGs qui utilisent plus qu’elles ne servent les migrants à des fins militantes et qui, de manière volontaire ou involontaire, font le jeu des traffiquants.

L’Europe retombe-t-elle systématiquement dans ce travers quand la situation se présente ? Comment l’expliquer ?

Oui, sans aucun doute, les polémiques migratoires se suivent et se ressemblent et cet épisode particulier n’est que le pic de l’iceberg d’un échec continu avec, en toile de fond, deux questions récurrentes : l’UE (y compris les gouvernements nationaux) ont-ils les moyens juridiques mais surtout la volonté politique de contrôler leurs frontières ?

Juridiquement, le labyrinthe de conventions internationales, directives européennes et jurisprudencse diverses jette un flou énorme sur la gestion des frontières. L’exemple paradigmatique étant le principe de non-refoulement, notion issue de la Convention de Genève sur le droit d’asile mais dont l’invocation abusive paralyse en grande partie la politique migratoire en considérant toute personne franchissant illégalement une frontière comme un demandeur d’asile potentiel. Comment contrôler une frontière avec cette épée de Damoclès sur la tête de gardes-frontières qui ont l’impression que faire leur travail est en soi une infraction ?

Autre question cruciale : la zone grise entre sauvetage de personnes en détresse et contrôle des frontières. Secourir est un devoir moral et une obligation juridique. Mais cela signifie-t-il de faire débarquer des migrants recueillis près des côtes africaines en Europe ? Non, mais c’est pourtant ce qui arrive, encore une fois en vertu d’un principe de non-refoulement totalement dénaturé. Des manœuvres que certains gouvernements perçoivent comme un chantage auquel ils ne veulent plus céder. Et une situation qui, encore une fois, pointe du doigt le rôle très controversé des ONGs.

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Finalement, la question politique : il y a-t-il une franche volonté de contrôler les frontières ? Certains gouvernement ayant une frontière exterieure (Hongrie, Pologne, Lithuanie, dans une certaine mesure l’Espagne) le font sans ambages. D’autres, sont beaucoup plus hésitants.  Mais, à mon avis, c’est au niveau européen que se situe le véritable problème. Poussée par un Parlement Européen qui est surtout une caisse de résonnance des positions de la « société civile » plus qu’une assemblée représentant l’opinion publique européenne, la Commission européenne se montre très timorée en la matière. La polémique récente sur la démission du Directeur de Frontex en est la preuve : sous la pression médiatique et politique, il a jeté l’éponge, reprochant à certains de vouloir saborder cette agence (la seule ayant une vocation régalienne) de l’intérieur. En somme, ne plus aider les Etats membres à surveiller leurs frontières, mais plutôt les contrôler quand ils le font.

En essayant de concilier posture humaniste et fermeté sur les enjeux migratoires, les européens ne finissent-ils pas par mécontenter tout le monde ?

Et ils finissent surtout par s’embourber dans la cacophonie, les tensions internes et le manque de résultats au grand dam de l’opinion publique. C’est un aveu d’impuissance, un manque de clairvoyance et un reflexe un peu lâche de se réfugier dans des postures morales aux échos médiatiques pour ne pas gouverner. C’est très grave, d’une part car l’opinion publique attend ses gouvernants au tournant sur ces sujets. L’émotion suscitée en France par l’assassinat de Lola et l’incapacité à faire appliquer les ordres de quitter le territoire en est le parfait exemple. D’autre part, ces atermoiements menacent l’un des acquis les plus tangibles de l’Europe : la libre circulation des citoyens européens dans un espace sans frontières. Schengen et le contrôle de frontières sont les deux faces de la même médaille. Si l’Europe dans son ensemble refuse de contrôler ses frontières externes comme il se doit, cerains Etats membres seront de plus en plus tentés de contrôler les frontières internes entre eux. 

L’Europe devrait-elle assumer des positions plus tranchées sur le sujet et sortir de l’hypocrisie ?

Oui, bien sûr, il est impératif qu’elle assume une politique migratoire plus ferme, géopolitique, basée sur la défense de ses intérêt bien plus que sur des « valeurs » incantatoires. Mais elle n’y arrive pas. Elle est incapable de s’accorder sur un dénominateur commun et de dégager un consensus. En outre, trop d’acteurs en Europe restent les otages d’une approche plus émotionnelle et moralisatrice que géopolitique et pragmatique. Du coup, trop d’acteurs (gouvernements, institutions européennes)  se réfugient dans une posture timorée, virtueuse de façade, sans se donner les moyens d’être efficace sur des sujets cruciaux qui sont au cœur des préoccupations de l’opinion publique de nombreux pays. En outre, l’Europe a très bon dos quand certains gouvernements nationaux souhaitent se dédouaner de leur propre incapacité. Résultat : l’Europe dans son ensemble fait du sur place, comme le démontre l’impasse du Pacte Migratoire proposé par la Commission en 2020 et dont l’adoption législative avance peu, et mal.  

Je pense sincèrement que le temps est venu de se poser la question du rapatriement au niveau national de certaines compétences en matière de migration, notamment concernant le contrôle des frontières. Si l’échelon européen n’est pas efficace, alors il faut se tourner vers l’échelon national. Cela s’appelle la subsidiarité, un principe aussi cardinal que négligé.

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