Objectif “vaste rassemblement” et “campagne sobriété” : ce que le Sarkozy 2014 peut gagner et perdre à être moins clivant que le Sarkozy 2007<!-- --> | Atlantico.fr
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Nicolas Sarkozy
Nicolas Sarkozy
©Reuters

Le rassemblement, c'est maintenant

A l'heure où Nicolas Sarkozy évoque le besoin d'un "vaste rassemblement" dans sa tribune publiée vendredi sur Facebook annonçant son retour, et où le candidat à la présidence de l'UMP misera sur la "sobriété" pendant sa campagne, selon les informations de l'Express, l'ancien chef de l'Etat semble avoir évolué. Au risque de perdre sa capacité de clivage ?

Yves-Marie Cann

Yves-Marie Cann

Yves-Marie Cann est Directeur en charge des études d'opinion de l'Institut CSA.
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Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : Les Français reconnaissent en Nicolas Sarkozy sa capacité à transgresser. Malgré son bilan politique, en quoi peut-on dire qu’il conserve tout de même sa force d’attraction auprès d’une partie de l’opinion publique ? Qui sont les Français satisfaits de cette force de transgression, et ceux qui ne l’apprécient pas ?

Yves-Marie Cann : Lorsque que l’on regarde l’image de Nicolas Sarkozy auprès de l’ensemble des Français on constate au CSA que début septembre 39% des Français déclaraient avoir une image positive de lui. Deux ans et demi après son départ de l’Elysée, son image reste donc négative. On voit que la personnalité de Nicolas Sarkozy reste très clivante et que les choses n’ont pas changé depuis qu’il a quitté la présidence de la République.

79% des sympathisants UMP déclarent avoir une bonne image soit 40 % de plus que la population. Chez les sympathisants du PS Nicolas Sarkozy ne récolte que 21 % d’image positive. On voit que l’image de Nicolas Sarkozy est restée clivante mais dans le même temps il garde une cote de popularité très élevée auprès des sympathisants l’UMP qui expriment une nostalgie renforcée par la crise de leadership que connaît le parti. Par ailleurs Nicolas Sarkozy a auprès des sympathisants socialistes un capital de sympathie meilleur que celui de François Hollande auprès des sympathisants de l’UMP.

Christophe Bouillaud :Son bilan politique diffère bien sûr beaucoup selon l’opinion qu’on peut avoir sur le déroulé de sa présidence : il y a effectivement une minorité de Français qui constituent si j’ose dire son "fan-club" et qui considèrent qu’il présente au total un bon bilan vu les circonstances. Il s’agit d’une bonne part de l’électorat de la droite française. En effet, les batailles au sein de l’UMP entre candidats à la personnalité pour s’assurer en vain la prééminence ont conservé à Nicolas Sarkozy cet aura de chef que ses rivaux n’ont pas eu du coup le temps de construire. Le psychodrame Fillon-Copé aura vraiment été son ticket gagnant pour un retour en politique. En effet, le grand avantage de Nicolas Sarkozy auprès de la droite, c’est qu’il peut incarner le chef, le leader, ce que vous appelez  sa "capacité à transgresser", c’est-à-dire à exercer un charisme de situation. C’est en fait surtout le côté bonapartiste ou gaulliste de la droite qui peut se reconnaître en lui. Par contre, dès qu’on s’éloigne de ce cœur-là de la droite, le jugement sur la personne de Nicolas Sarkozy se trouve bien plus mitigé. Une partie de la droite libérale lui reprochera toujours de ne pas avoir fait les réformes libérales en temps et heure, ces mêmes réformes que réclament Bruxelles et Berlin aujourd’hui. Une partie de la droite centriste ne va pas apprécier ses "transgressions" en matière d’immigration et de minorités. Inversement, j’ai quelque doute que l’électorat "frontiste" se laisse de nouveau illusionner sur ce point. Quant à l’électorat de gauche, il n’est sans doute pas près d’être séduit par le personnage : sa "capacité de transgression" y sera lue plutôt comme son irrespect fondamental des règles de vivre-ensemble républicaines, et toutes les "affaires" qui entourent l’ancien Président ne feront que renforcer leurs solides préjugés contre le personnage. Il n’y a qu’à voir la une du magazine Marianne de cette semaine. Il n’y a qu’à prendre en compte les remarques de François Hollande lors de sa conférence de presse : rien de mieux qu’un Nicolas Sarkozy pour convaincre un électeur de gauche sans doute fort dépité par ce quinquennat d’aller voter quand même François Hollande en 2017.

A l’heure où Nicolas Sarkozy revient en politique en voulant dépasser le clivage droite-gauche, sortir du clivage peut-il vraiment être pertinent du point de vue politique ? Qu’est-ce que l’ancien chef d’Etat a à gagner et à perdre en voulant changer son image ?

Yves-Marie Cann : Nicolas Sarkozy cherche à dépasser les clivages qu’il suscite lui-même auprès de la population française. Tout l’enjeu est de dépasser le clivage qu’il a lui-même sans doute renforcé à la fin de son mandat et la campagne menée en 2012. Il doit trouver un positionnement plus équilibré que le sien par le passé pour reconquérir l’électorat de centre-droit qui lui avait fait défaut lors de la dernière présidentielle et qui reste très en retrait de Nicolas Sarkozy. Auprès des sympathisants l’UDI, il récolte seulement 27 % d’image positive, et moins de 16 % auprès du MoDem. Nicolas Sarkozy a pourtant besoin de s’attirer du soutien d’une proportion plus importante d’électeurs centristes pour qu’ils n’aillent pas rejoindre une personnalité de gauche au positionnement modéré.

Christophe Bouillaud :Le dépassement du clivage droite-gauche est devenu un poncif des discours politiques depuis quelques décennies. Déjà le Général de Gaulle prétendait dépasser ce clivage. François Mitterrand en 1988 s’adressa à "tous les Français". François Bayrou en a fait son thème de campagne favori lors de ses deux dernières candidatures aux présidentielles. Actuellement, Marine Le Pen ne cesse de clamer qu’elle n’est ni de droite ni de gauche, mais simplement une patriote visant à rassembler tous les patriotes. Pour quelqu’un qui envisage de gagner une élection présidentielle, c’est un discours presque obligatoire que de se présenter comme étant au-delà de la droite et de la gauche, pour espérer gagner quelques voix au centre et parmi les moins politisés de nos concitoyens, mais c’est un discours particulièrement fallacieux et en fait fort bien décodé par les électeurs eux-mêmes. Comme l’a montré la dernière présidentielle, l’électorat reste structuré sur des oppositions gauche-droite. Nicolas Sarkozy avait fini sa campagne de 2012 en se positionnant au second tour assez à droite tout de même, il lui faut pour l’instant se recentrer pour effacer cette impression et regagner des électeurs au centre-droit, mais quoiqu’il dise ou fasse, il aura beaucoup de mal à effacer le passé. Avec Internet, tout ce que vous avez dit en public peut être ressorti facilement. Dans le cas de Nicolas Sarkozy, il sera confronté à son propre "mythe" au sens de Roland Barthes. Quoiqu’il dise ou fasse, il va être renvoyé à ce qu’il a déjà été – en bien pour ses partisans, en mal pour ses adversaires.

Alors que notre système politique est à bout de souffle, les électeurs ont-ils vraiment besoin de "normalité" et de personnalités politiques qui proposent une politique similaire notamment en matière économique, comme François Hollande et Alain Juppé ?

Yves-Marie Cann : La personnalité et le programme politique sont deux choses différentes mais le programme renvoie aussi à la personnalité. On voit aujourd’hui que la société française aspire à un exercice du pouvoir plus apaisé qu’il ne l‘a été sous Nicolas Sarkozy.C’était valable en 2012 je pense que ça l’est toujours mais le vote et l’appréciation portée une personnalité politique ne se résument pas aux candidats en présence mais aussi aux promesses et à la ligne politique. Aujourd’hui ce qui fait défaut à François Hollande et Nicolas Sarkozy c’est aussi le bilan… Ce bilan est  jugé positivement par beaucoup de sympathisants de droite. Il y a sans doute toutefois une relecture critique à faire par Nicolas Sarkozy pour identifier les leçons tirées du passé et voir quelles en sont les conséquences tirées en termes de promesses. Cela concerne le mode d’exercice du pouvoir, la ligne et le programme économique dans un contexte difficile et où les Français sont en attente de résultats.

Christophe Bouillaud : La réponse à une telle question dépend bien sûr de l’opinion que l’on se fait de l’avenir désirable du pays, mais aussi des options en matière de valeurs démocratiques que l’on défend. Si l’on pense qu’avoir le choix – comme vient de le montrer par exemple le référendum écossais – constitue une valeur fondamentale de la démocratie, le fait que des politiciens de bords opposés en principe proposent des options très similaires en matière de politique économique et sociale n’est sans doute pas souhaitable. Par ailleurs, si sur un sujet donné, les citoyens n’ont en réalité aucune latitude de choix du fait des engagements européens ou internationaux du pays, il me semble important de ne plus leur faire croire qu’ils auraient le choix, il est alors même inutile de perdre son temps à discuter de ces sujets à l’échelle nationale : si les choix économiques ne dépendent plus de la France, le minimum serait en effet de prévenir clairement les citoyens de la situation. Après tout, un maire pour se faire élire ne dit pas qu’il va rétablir la peine de mort dans sa commune pour lutter contre la délinquance, ce n’est d’évidence pas de son ressort, et les électeurs le savent. Par ailleurs, du point de vue de la stabilité d’un système politique, il est toujours mieux de pouvoir changer, si nécessaire, des options erronées que de persister dans l’erreur jusqu’à être emporté par quelque catastrophe, d’avoir en quelque sorte une élite de réserve avec d’autres options disponibles. C’est en quelque sorte comme pour une armée en échec, il vaut mieux avoir quelques chefs en disgrâce à disposition pour tenter de sauver la situation en les rappelant au moment opportun.

Si Nicolas Sarkozy n’est plus capable de cliver, existe-t-il un risque que le candidat à la présidence de l’UMP soit exclu du second tour de la présidentielle en 2017, comme l’a évoqué Jean-Marie Le Pen vendredi ?

Yves-Marie Cann :Il faut poser un préalable : un Nicolas Sarkozy qui cliverait moins ne peut se le permettre qu’à condition d’avoir autour de lui l’ensemble de la famille politique réunie et unie autour de sa personne. Le fait de lisser son positionnement et d’avoir une ligne politique plus équilibrée ne peut venir qu’au préalable d’avoir rassemblé sa famille. Dans ce cas, ça lui fera déjà un socle particulièrement fort. Nicolas Sarkozy est dans la logique qu’une compétition électorale se gagne par la capacité à fédérer au-delà de ses soutiens traditionnels. C’est une contrainte de capter des voix au-delà. Je pense que dans le contexte actuel et s’il était amené à perdurer, le risque que le candidat de l’UMP soit éliminé au premier tour me semble extrêmement faible… Le risque concerne plutôt le candidat de gauche. 

Christophe Bouillaud : Si Nicolas Sarkozy revient en politique, je doute qu’il ne soit pas capable de "cliver" ! Le vrai risque pour lui est au contraire de trop diviser son camp : si l’on prend les résultats des élections municipales et européennes de 2014 comme indicateurs des rapports de force partisans dans le pays, la droite alliée au centre arrive sans problème en tête, devant un FN isolé et une gauche plus ou moins rassemblée. Tout le défi de Nicolas Sarkozy est de réussir à se rallier tout cet espace de la droite et du centre. Il n’est pas sûr que ses rivaux de l’actuelle UMP le laissent faire. La bataille pour la présidence de l’UMP sera sans doute intéressante à observer. Quelles garanties Nicolas Sarkozy va-t-il donner – ou non – à ses rivaux (François Fillon, Alain Juppé, Xavier Bertrand, etc.) que son élection à la présidence de l’UMP ne signifie pas la fin de leurs espérances de pouvoir participer à une primaire ouverte de la droite sur le modèle de celle organisée par le PS en 2011 ? Quelles garanties donnera-t-il que son retour ne signifie pas la "sarkoisation" de l’UMP ?

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