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Sommes nous à la veille d'une nouvelle révolution industrielle ?
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Jamais 2 sans 3

C'est ce qu'affirme l'essayiste américain Jeremy Rifkin, dans son nouveau livre intitulé "La Troisième révolution industrielle. Comment le pouvoir latéral va transformer l’énergie, l’économie et le monde"...

Hubert Bonin

Hubert Bonin

Professeur d'histoire économique à Sciences Po Bordeaux.

Chercheur au Groupe de recherche en économie théorique et appliquée du CNRS de Bordeaux.

 

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Un modeste professeur de province ne saurait contester les hypothèses de Jeremy Rifkin, brillant publiciste américain, qui vient de publier un livre tonitruant : La Troisième révolution industrielle. Comment le pouvoir latéral va transformer l’énergie, l’économie et le monde… Chaque économiste ou essayiste à succès lance des théories et assertions qui pèsent fortement dans une opinion et parmi des journalistes prompts à écouter les oracles et gourous académiques avec admiration. Pourtant, les historiens ont bel et bien forgé un calendrier bien solide et reconnu depuis des lustres, qui comporte trois révolutions industrielles ou mouvements de croissance !

La première, des années 1780 aux années 1880, et la deuxième, jusqu’aux années 1970, ont été bien cernées et étudiées, par exemple par François Caron, l’historien de la Sorbonne, hélas cantonné dans notre cercle académique. La troisième a démarré au milieu des années 1970, et, comme ses prédécesseurs, a comporté plusieurs étapes.

Toute révolution industrielle manifeste une « crise » de recomposition du « système productif ». Bien entendu, les activités dominantes jusqu’alors ne disparaissent pas d’un coup de baguette magique – par exemple, en héritage de la première révolution industrielle, on utilise le charbon dans les trains en Inde et dans beaucoup de centrales thermiques, et laine et coton restent des textiles importants. Mais leur part s’amoindrit face à la percée de nouvelles productions portées par des révolutions technologiques.

« Notre » révolution présente a consacré, on le sait bien, la pénétration du système électronique ou numérique dans l’ensemble du système productif : c’est là le cœur de la troisième révolution industrielle ! Elle a poussé à un énorme gain de productivité des industries devenues « anciennes » : robotisation dans l’automobile, automatisation et électronisation de fonctions dans les transports, machines-outils ou métiers à tisser à commande numérique, etc. Elle a bâti ex nihilo des systèmes de gestion informatisés qui ont bouleversé le mode de production (gestion comptable, gestion des moyens de payement, gestion des bases de données, etc.) et la vie quotidienne – jusqu’à pouvoir introduire un système de télécommunication internet et mobile qui a bouleversé les télécommunications classiques de la révolution précédente (câbles, fax, téléphone fixe, etc.), et même jusqu’à créer une économie de l’information (sites internet, livre numérique, etc.). Les professions de finance ont quitté l’écrit pour les données numériques, et la « banque de marché » est apparue à partir du milieu des années 1980 – et on a en senti l’exacerbation pendant le boum des années 1995-2006, d’autant plus que la mondialisation a élargi la dimension du marché des changes et des financements structurés au service des « grands projets » internationaux. La pharmacie et l’agriculture (semences ogm) se sont ouvertes aux biotechnologies. Cela explique l’irrésistible compression des effectifs, à cause des énormes gains de productivité, dans l’industrie surtout. Dans le même temps, ces bouleversements de la production industrielle ont suscité un premier boum des services.

La deuxième révolution industrielle avait vu se constituer l’organisation de firme » de la grande entreprise, comme l’a analysé Arthur Chandler (Stratégie et structure). Notre révolution des « contenus » a été accompagnée par une mutation du mode de gestion des sociétés, avec le « toyotisme » (zéro stock) : externalisation maximale des productions intermédiaires au profit de réseaux de sous-traitants et fournisseurs, avec des entreprises « sans usines » et des industries travaillant à façon (Foxcomm, etc.), sur place (Europe, Amérique du Nord, Japon) ou au loin (délocalisation). La compression drastique des coûts de production au nom de l’entreprise « agile » (lean management) a bouleversé les « rapports de production » au nom de la flexibilité, en brisant la classe ouvrière classique et les liens de « fidélité » qui avaient caractérisé le (seul) noyau dur de l’industrie, en favorisant l’intérim, par exemple. Cette flexibilité a été rendue possible par la révolution logistique, pour alimenter le « juste à temps : elle comprend la révolution de l’aviation (Boeing, Airbus), des pôles relais aéronautiques (hubs), du fret aérien ; celle des flux de camions transcontinentaux ; celle des circuits mondiaux de porte-conteneurs – tout cela contribuant au boum des services au service des industries.

Enfin, cette troisième révolution industrielle a stimulé une révolution de « l’immatériel ». – et c’est ce seul aspect sur quoi insiste J. Rifkin, identifie cette étape des mutations à cette révolution. Le système productif lui-même n’aurait pu évoluer sans d’énormes investissements pour former une main-d’œuvre adaptée (ingénieurs, cadres de tout niveau, techniciens, etc.) – et l’on sait l’ampleur de cette mutation dans les pays émergents ! Le « capital immatériel » des firmes (partie du fameux knowledge management) s’est diversifié vers la gestion de leurs « systèmes d’information », pour traiter ou faire circuler les données en interne ou en externe. Mais ce système productif lui-même a élargi son assise grâce à la croissance du niveau de vie. Certes, « la grande crise » a tué des dizaines de millions d’emplois, des « pays noirs » et régions industrielles, multiplié des récessions et le chômage, ouvert les vannes à une dramatique crise de « l’employabilité » de demandeurs d’emploi mal adaptés aux mutations structurelles du marché du travail.

Pourtant, jamais le pouvoir d’achat global des « pays riches » (classes supérieures et moyennes) n’a autant augmenté, et, surtout, nombre de pays émergents ont rejoint la société de consommation. L’argent disponible a nourri le boum de la société des loisirs (entertainment) au sens large, co-substantielle de notre révolution industrielle, d’autant plus que les gains de productivité ont permis de « libérer » du travail, d’abaisser sa durée, en particulier. Cette révolution des services de loisirs a soutenu le boum de l’aéronautique, de l’immobilier touristique, du tourisme culturel, des sports ou de la consommation de spectacles sportifs, de l’audiovisuel (entre trois et cinq heures de télé, par exemple, chaque jour), de l’informatique de loisir et des jeux vidéo, des parcs d’attraction (Disneyland et ses émules), etc.

Cette troisième révolution industrielle a été également marquée par trois étapes d’évolution de la géographie productive : élargissement et approfondissement des espaces intégrés classique (Europe de l’Ouest, Amérique du Nord et centrale) ; puis intégration de leurs marges (Europe centrale et orientale, à la chute du communisme ; Amérique latine, par les accords commerciaux comme l’Alena) ; enfin, mondialisation, avec la création d’un « monde unique » (Chine, Asie du Sud-Est, Moyen Orient des hydrocarbures, notamment). Tout d’abord, ce mouvement d’ouverture a paru soutenir la sortie de « la grande crise » des années 1974-1995 ; puis son intensification a déclenché une crise de compétitivité dans les « pays vieux », tant les entreprises ont dû « globaliser » leur gestion, se déstructurer à l’échelle mondiale, on l’a dit plus haut, en s’adaptant aux nouveaux critères de la division internationale du travail. Il faut attendre maintenant que cette intégration mondialiste crée des débouchés encore plus amples dans les pays émergents (comme c’est le cas pour les activités de luxe-haut de gamme, le vin de Bordeaux et le cognac, etc.).

Bref, on n’avait pas attendu J. Rifkin pour analyser et même enseigner ces mutations des systèmes productifs, des modes de production, des modes d’apprentissage, des modes de loisirs. Mais réjouissons-nous qu’un essayiste à succès permette de déployer le savoir académique dans de nouveaux espaces d’information et de formation !

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