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Jean-Luc Mélenchon et des membres de La France insoumise lors d'une conférence de presse.
Jean-Luc Mélenchon et des membres de La France insoumise lors d'une conférence de presse.
©GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP

La Révolution dévore ses enfants

Accusations de racisme, trolls, intimidations… jusqu’où pourrait aller la course à la radicalité dans les rangs du Nouveau Front Populaire ?

Patrice Gueniffey

Patrice Gueniffey

Patrice Gueniffey est historien et spécialiste de la Révolution française.

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Olivier Vial

Olivier Vial

Olivier Vial est Directeur du CERU, le laboratoire d’idées universitaire en charge du programme de recherche sur les radicalités.

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Atlantico : Comment les dynamiques internes et les mécanismes révolutionnaires au sein des mouvements de gauche, comme celles observées récemment au sein de LFI, résonnent-elles avec les schémas historiques de la gauche radicale ? Les mouvements les plus radicaux ne suivent-ils pas des schémas similaires et ne s’imposent-ils pas toujours dans les révolutions ? Est-ce lié à la dérive lambertiste au sein de LFI ?

Patrice Gueniffey : Il existe toujours une dynamique de surenchère interne, qui nécessite une conjoncture favorable. Cela peut être soit une situation révolutionnaire, soit, comme actuellement, un contexte de décomposition politique. L'extrême-gauche n'émerge sur le devant de la scène de gauche qu'à la faveur de l'écroulement de la gauche de gouvernement. Depuis sept ans, nous assistons à la quasi-disparition de la gauche héritière du Parti socialiste et du Parti communiste. C'est la première fois dans notre histoire que l'extrême-gauche acquiert une telle importance. 

Ce phénomène n'a jamais été observé auparavant, sauf sous la Révolution française, où une extrême-gauche, située à la gauche des Jacobins, a pu jouer un rôle de premier plan pendant quelques mois grâce à l'écroulement de l'État et à une situation anarchique provoquée par les bouleversements institutionnels et la guerre. Ce groupe a ensuite été éliminé physiquement par le comité de salut public robespierriste. Nous avons revu ce schéma en 1848, après les journées de février, lorsque l'extrême-gauche très offensive a été brisée par les Républicains en juin 1848, ainsi qu'en 1871 sous la Commune, écrasée par Thiers. 

À part quelques exceptions comme mai 1968, où les événements étaient très spécifiques, et les années 1970 où le gauchisme est resté en marge du système politique avec des candidats ne recueillant que 3% à 4% des voix, ce phénomène est inédit. La décomposition du système des partis en est la cause principale, car sans cela, ni le Rassemblement National (RN), ni La France Insoumise (LFI) ne seraient dans cette position. Les autres partis de gauche n'existent que dans la mesure où ils acceptent le leadership et les humiliations infligées par LFI. 

La décomposition du système permet à des forces minoritaires dans la société d'acquérir une prééminence disproportionnée par rapport à leur force réelle, grâce à la violence de leurs moyens et à l'extrémisme de leurs positions. Par exemple, LFI, en jouant la carte de l'antisémitisme, s'est imposée de manière inattendue. Ce qui semblait être une tactique suicidaire s'avère être une tactique qui les place au premier rang. Dans un contexte de décomposition, le plus radical et le plus violent obtient un pouvoir disproportionné.  

Une gauche molle, faible, sans idées, minée par le gauchisme et ayant oublié ses fondamentaux, se retrouve otage d'une partie de LFI, notamment la faction antisémite, la plus violente et islamophile, qui mène la danse. 

Olivier Vial : Au coeur de LFI, il y a toujours eu deux cultures. La première, le noyau dur, est issue du trotskisme, avec notamment l’empreinte de Jean-Luc Mélenchon, Danièle Obono. La seconde vient des personnalités qui sont arrivées à partir des élections présidentielles et qui émanaient de mouvements associatifs ou syndicaux. Cette hybridation a conduit à ce que de nombreuses personnalités de la gauche mouvementiste rejoignent ainsi une gauche beaucoup plus politique. Ce sont deux traditions politiques différentes, mais avec comme point commun finalement assez peu de culture de démocratie interne. Tel est le mode de fonctionnement dans la culture trotskiste et dans celle qu'a notamment Jean-Luc Mélenchon. L’idée est souvent d’accuser son adversaire, même interne, de faire le jeu de ses opposants politiques les plus virulents. Dans le contexte actuel, de dramatisation des enjeux, consistant à prétendre que l'extrême droite la plus dure, qui ferait écho à l'extrême droite des années 30 ou 40 (ce qui est quand même loin d'être le cas), serait aux portes du pouvoir, la ficelle même si elle est énorme semble encore fonctionner. 

Cela oblige l’ensemble des forces de gauche à accepter tout ce qui est extrêmement radical et à faire taire toutes les nuances. Ceux qui, comme Jérôme Guedj, refusaient de voir les propos antisémites de certains de leurs membres ont ainsi été vivement critiqués. 

Une coalition qui s'appelle « Cette fois-ci on gagne », menée par des influenceurs, des militants, des activistes, des écologistes, illustre également cette tendance. Caroline de Haas et Camille Etienne ont publié une vidéo qui insiste sur l'idée que face à la dramatisation de l'enjeu, tout est excusé. Cette vidéo est un appel à voter pour le Nouveau Front populaire même si certains d'entre eux ont tenu des propos sexistes, antisémites ou homophobes. Ce qui est surréaliste, quand on connaît le positionnement de ces deux personnalités, c’est qu’elles expliquent que l'objectif « n'est pas de se marier avec ces candidats Nouveau Front populaire », mais simplement « de prendre le bus avec eux » pour que nos idées arrivent au pouvoir. Faire table rase de toutes les nuances, seul compte d’arriver au pouvoir et de faire triompher sa vision. Cela a été expérimenté dans l'histoire du mouvement du parti communiste lorsqu’il ne fallait surtout pas critiquer ce qui se passait en Union soviétique de peur de désespérer Billancourt. La situation est assez similaire aujourd'hui. Comme la situation a été dramatisée, il n'y a plus le droit d'émettre des nuances, il n'y a pas le droit de critiquer certains alliés et cela donne la possibilité effectivement aux plus durs de pouvoir s'imposer en effaçant leur passif. Cela participe au fait que l’on puisse retrouver dans cette alliance des personnalités du NPA comme Philippe Poutou qui a eu des propos qui frisent l'apologie du terrorisme. Il y a aussi Raphaël Arnaud qui est trois fois fiché S et qui est extrêmement violent. Personne n’a le droit de poser la question de savoir s’il est légitime de les avoir dans une alliance. Cette pression morale et cette purge qui sont appliquées, notamment par Jean-Luc Mélenchon, sont aussi un moyen de faire taire les oppositions internes et d'accepter que tout le monde soit rassemblé derrière sa ligne.  

En regardant les précédents historiques, (notamment dans les années 30), dans quelle mesure les accusations de brutalisation des mœurs et les tensions internes au sein du Nouveau Front Populaire rappellent-elles les périodes de radicalisation et de purges au sein des mouvements politiques de gaucheLes purges au sein de LFI sont-elles le symbole de la brutalisation des mœurs qui était la stratégie des fascistes dans les années 1930 ? Est-ce un signe de la dérive lambertiste de Jean-Luc Mélenchon dans les coulisses de cette guerre interne à La France insoumise ?

Patrice Gueniffey : Cela rappelle la période révolutionnaire où l'on observait un effondrement soudain et brutal du pouvoir, c'est-à-dire une incapacité du pouvoir à imposer des arbitrages ou à fixer des limites à ce qui peut être dit et fait. Une situation devient révolutionnaire lorsque l'État n'est plus en mesure de dessiner les contours de la politique légitime, excluant ainsi tout ce qui est illégitime. Dans les années 1970, bien que le gauchisme existât, il n'était pas légitime et n'avait pas de place au sein du système politique. Cette condition est essentielle. 

Dans un tel système, où tout peut être dit et où tous les moyens peuvent être employés pour faire prévaloir ses revendications, la violence devient une conséquence logique. Cette violence s'exerce contre les adversaires du mouvement révolutionnaire, mais aussi entre les révolutionnaires eux-mêmes. En effet, ces mouvements manquent souvent de doctrine solide, avec des mots d'ordre changeants selon la conjoncture, contrairement à la stabilité que procurait autrefois le communisme. Ces mouvements ne sont pas marxistes, et leurs leaders manquent souvent d'expérience politique et d'idées cohérentes.  

La surenchère devient presque une exigence, car c'est le plus radical qui détient la légitimité au sein de ces mouvements. Les purges récentes, comme celles de Corbière, en sont un exemple. Cela rappelle les purges sous la Révolution française, où Barnave fut purgé par Robespierre, qui à son tour risqua d'être éliminé par Hébert, chaque fois par des individus plus radicaux qu'eux. Cependant, dans le contexte actuel, ces éléments de gauche sont parfois récupérés par des forces contraires, comme les Frères musulmans, espérant tirer parti de la situation, ce qui ajoute un paradoxe à la comparaison historique. 

Il existe donc un contexte de décomposition favorable à la violence, où le pouvoir appartient à ceux qui montrent leur adhésion au mouvement, même lorsqu'il s'agit d'un mouvement largement imaginaire. La politique de l'extrême gauche est en effet souvent surréaliste, ne traitant pas de la réalité, mais d'une sorte de surréalité qui structure leur analyse. Les contorsions rhétoriques autour d'événements tels que le viol de cette jeune fille juïve de 12 ans révèlent cette dissonance : bien que LFI n'approuve sans doute pas ce crime, l'expliquer par le "racisme" en atténue la monstruosité.   

Olivier Vial : Cela a toujours été le cas chez Jean-Luc Mélenchon et au NPA avant, dans les mouvements trotskistes ou il était très difficile de s'opposer à la ligne de Besancenot et de Krivine. Depuis que Mélenchon a créé La France Insoumise, il y a déjà eu des sanctions vis-à-vis de ceux qui émettaient des critiques. Ce fut déjà le cas lors de l’affaire Adrien Quatennens. Jean-Luc Mélenchon a essayé de protéger son lieutenant malgré la condamnation pour violences intrafamiliales. Pour n'importe quelle autre personnalité, il aurait jeté l'opprobre sur lui. Il l'a défendu bec et ongles et il a essayé le plus longtemps possible de faire taire, y compris de façon assez radicale, les oppositions internes. On ne s'oppose pas à Jean-Luc Mélenchon au sein du NFP, de la NUPES. Il n'y a pas eu de radicalisation. Il n'y a pas plus de brutalisation aujourd'hui qu'avant. Ce phénomène perdure depuis plusieurs années, même si désormais l’alliance électorale s'est élargie vers une ligne encore plus ultra que LFI avec le NPA, et la jeune garde notamment. 

Derrière les partis politiques, il y a aujourd'hui des coalitions de mouvements activistes qui appellent aussi à participer à ce nouveau Front populaire et qui donnent une sorte de mandat impératif. La présidente d'Oxfam, Cécile Duflot, a notamment indiqué qu’elle mettra en place un comité de suivi mensuel des promesses tenues pour que les parlementaires du Nouveau Front populaire appliquent à la lettre les propositions défendues par le mouvement social. Cela peut être un des signes de radicalisation. Surtout, quand on voit l’évolution de la CGT. Le syndicat vient de rappeler que sa logique était de faire tomber le capitalisme et qu'elle se reconnaissait aujourd'hui dans le concept de capitalocène, un concept qui est inventé par Andreas Malm, le penseur suédois le plus radical. 

Andreas Malm considère que la France est l'endroit où il peut expérimenter le mieux ses idées pour trois raisons. Premièrement, car il y a un mouvement activiste très fort ; deuxièmement, car la violence politique est plus acceptée en France qu'ailleurs ; troisièmement, car Il y a également un débouché politique en la personne de Jean-Luc Mélenchon et de LFI. Ces trois ingrédients font qu'il est plus probable en France qu’ailleurs d’appliquer la révolution lénino-écologiste qu'Andreas Malm appelle de ses vœux. 

LFI fait la courte échelle à Andreas Malm en lui donnant la parole, en le nommant directeur d'une chaire de son institut de formation, l'Institut de la Boétie. Il y a donc une alliance entre LFI et Andreas Malm. Cela constitue un autre signe de radicalisation très forte. Au regard, par exemple, des propos d'Andreas Malm sur les attentats du 7 octobre où il évoque les attaques du Hamas et les compare à un mouvement de libération. Il a aussi confié qu’il se repassait les images comme une drogue tellement il a apprécié ces moments. Suite à ces déclarations, personne à La France insoumise n’a remis en cause ou critiqué Andreas Malm. Sa chaire au sein de leur institut de formation n’a pas été retirée. Cela montre aussi que le phénomène de radicalisation est très important au coeur de La France Insoumise. Cela témoigne de cette incapacité en interne à ce qu’il puisse y avoir des voix dissidentes. Il y a des personnalités ou des militants de LFI qui peuvent être choqués par ces propos, mais ils n'ont plus la possibilité de parler.  

En considérant l'investiture controversée de Raphaël Arnault, quelles implications cela a-t-il pour la dynamique interne de LFI et ses relations avec d'autres partis au sein du NFP ? Est-ce un autre signal très clair que la violence et la brutalité font partie des pratiques du cœur trotskiste de LFI, vis-à-vis de leurs partenaires du NFP comme des autres partis ?

Olivier Vial : Cela témoigne de la légitimation et de la concrétisation de ce que Andreas Malm appelle le flanc radical. Il a toujours essayé de théoriser l’idée qu'il faut faire accepter aux plus modérés le fait qu'il y ait besoin d'une frange extrêmement radicale dans les combats. Le poids électoral de la jeune garde est proche de zéro. Cela représente quelques dizaines de militants, ce n’est pas un mouvement de masse. Accepter de mettre Raphaël Arnault en position de candidat éligible avec cette étiquette très large aurait pu créer des tensions au sein du Nouveau Front populaire. Le Parti socialiste, qui a fait plus de 14 % aux européennes, aurait pu légitimement s'opposer à une telle candidature. Mais le PS accepte dorénavant cette gauche violente. Une partie d’entre-elle a même pris l'habitude de manifester aux côtés des black blocs ces dernières années. 

Une partie de la gauche va avoir des lendemains difficiles, car cette culture militante n'est pas très tendre avec les sociaux-démocrates. Ils n'ont jamais été proches du Parti socialiste. A Sainte-Soline, des milliers de parlementaires d'Europe Écologie-Les Verts s'étaient fait huer. Leur représentant avait eu sa voiture vandalisée. Aujourd’hui, ils sont acceptés au nom de cette nécessité d'un flanc radical au regard de la dramatisation de l’enjeu. Mais demain, cette aile dure sera également présente pour contraindre les élus les plus modérés à rester dans le rang et à suivre la ligne édictée par les plus radicaux. 

Edwy Plenel a été vivement critiqué et accusé de racisme sur les réseaux sociaux par la députée LFI Danièle Obono. Comment expliquer que ces personnalités de gauche soient en train de se déchirer au nom de l'antiracisme ? Est-ce qu'il y a une forme de radicalisation là aussi et de Terreur light au nom de l'antiracisme ?

Olivier Vial : La crise est beaucoup plus profonde que cela. En réalité, deux cultures et deux mondes s’opposent. Derrière le terme de racisme, ces personnalités de gauche attachent deux réalités totalement différentes. Cette fracture et ces divisions sont liées à la culture woke et la culture intersectionnelle. Les antiracistes de l'ancienne génération luttent contre les discriminations et condamnent avec fermeté chaque personne qui commet des actes racistes. Mais une nouvelle forme d’antiracisme s’est développée. Dans cette nouvelle vision, l’identité doit être mise en avant, d’où le concept des “racisés”, et les droits spécifiques des individus doivent être respectés. Pour cette nouvelle gauche, le racisme n'est pas la conséquence d'actes racistes. Le racisme n'est pas la responsabilité des individus et des personnes. La société dans sa globalité est responsable du racisme. Le racisme est systémique. Nos valeurs, notre culture sont racistes, tout comme l'ensemble de notre littérature. C'est pour cela que ces militants souhaitent tout déconstruire. Cela est très bien résumé par une formule d'un militant. Aujourd'hui, celui qui déclare qu'il n'est pas raciste, il est plus raciste que celui qui avoue qu'il est raciste et qui essaye de combattre le racisme qu'il a en lui. Il y a donc une inversion totale de valeurs.  

C’est pour cela que les militants et les figures de la gauche ne peuvent plus se comprendre. Ils ne combattent pas du tout la même chose et ils ne promeuvent pas du tout la même société. Les degrés de radicalité ne sont pas différents. Il y a juste deux visions antagoniques. La gauche va être confrontée à de vraies difficultés car les différences conceptuelles sont très fortes. Même s'ils utilisent les mêmes mots, ils ne parlent absolument pas de la même chose. 

Quels enseignements peut-on tirer de l'histoire sur la manière dont les mouvements de gauche ont géré les accusations d'antisémitisme et les stratégies d'antiracisme instrumental, comme celles discutées récemment dans le contexte de LFI ?

Patrice Gueniffey : Il est important de préciser que, pour moi, ce n'est pas véritablement la gauche. La vraie gauche, incarnée par des figures comme Cazeneuve, Valls, ou même Hollande, est en exil politique. Elle n'a plus d'expression audible actuellement, et ses membres ont souvent rejoint Macron ou, comme Faure du PS, l'extrême-gauche. Ainsi, la vraie gauche a temporairement disparu du paysage politique, tout comme la droite parlementaire. 

En ce qui concerne la gestion des accusations d'antisémitisme et des stratégies d'antiracisme instrumental, l'extrême-gauche a pour caractéristique principale la délégitimation de l'adversaire. Les révolutionnaires adoptent une conception de l'action politique où ils tracent une ligne de démarcation entre "eux" et "nous". Ceux qui ne les suivent pas ou ne se soumettent pas sont étiquetés comme racistes, fascistes, ou antisémites. Cette vision binaire exclut tout débat et toute confrontation d'arguments. 

L'histoire nous enseigne que ces dynamiques ne sont pas nouvelles. Heureusement, nous n'avons pas encore vu d'affrontements dans les rues, mais nous faisons face à un mouvement révolutionnaire qui, en raison de la désintégration du système politique, a acquis un poids disproportionné par rapport à son influence réelle.  

Actuellement, selon les sondages, LFI est créditée de 29% des voix, et pourrait même obtenir un peu plus. Cela ne signifie pas qu'il y a 30% de gauchistes antisémites en France. C'est plutôt le résultat de la politique de la terre brûlée pratiquée par Emmanuel Macron, qui a laissé un champ de ruines où seuls les extrêmes prospèrent. Sa politique "ni droite, ni gauche" a attaqué un système qui, bien qu'imparfait, fonctionnait. La dissolution de l'Assemblée nationale, sans raison valable, a aggravé la situation, créant un vide politique où LFI a pu s'imposer. 

Pour conclure, l'histoire nous montre que dans des périodes de décomposition politique, les mouvements extrémistes peuvent acquérir une importance disproportionnée. L'exclusion du débat et la délégitimation de l'adversaire sont des stratégies courantes, mais elles conduisent à une polarisation accrue et à la montée en puissance des extrêmes. 

En considérant les récents développements au sein de la gauche française, comment les alliances politiques et les stratégies de coalition évoluent-elles par rapport aux périodes historiques où des mouvements de gauche se sont unis sous des plates-formes communes ?

Patrice Gueniffey : Si l'on considère des précédents historiques tels que le Cartel des gauches en 1924, le Front populaire en 1936, ou l'Union de la gauche en 1962, ces alliances regroupaient des partis qui faisaient tous partie du système politique. Ces alliances étaient avant tout électorales, mais aussi politiques, avec des plateformes communes s'inscrivant dans un cadre institutionnel. Bien qu'il y ait eu des contestations philosophiques, notamment de la part des communistes qui acceptaient les institutions de la Ve République à contrecœur, ces partis jouaient néanmoins le jeu institutionnel. Par exemple, les communistes ont joué un rôle largement positif en sauvant la Ve République en 1968. 

Ces partis s'inscrivaient donc dans un système d'alternance entre la gauche et la droite, un système qui a fonctionné jusque dans les années 2000, avec la dernière cohabitation notable étant celle entre Jospin et Chirac. Même sous les mandats de Sarkozy et Hollande, le système a continué de fonctionner, bien qu'il ait commencé à s'effriter vers la fin du mandat de Hollande, notamment avec la loi travail. Néanmoins, ces partis de gauche se coalisaient pour prendre le pouvoir et mettre en œuvre une politique donnée, tout en respectant le cadre institutionnel. 

Les périodes révolutionnaires ont permis à l'extrême gauche de tirer parti des circonstances pendant un certain temps, mais elle a toujours fini par être écrasée, que ce soit en 1794, en 1848, en 1871, ou contenue comme dans les années 1970, qui représentaient la fin des événements de mai 68. Aujourd'hui, pour la première fois, une extrême gauche est électoralement aussi puissante sous son propre drapeau, tandis que les autres partis de gauche jouent un rôle subalterne, parfois en reniant leurs propres principes.  

Un exemple illustratif est celui de Raphaël Glucksmann, qui, après avoir été le premier à gauche aux élections européennes, a dû faire amende honorable devant un parti qui l'avait insulté et exclu d'une manifestation, allant même jusqu'à le traiter de "sale juif". Cela témoigne de la dynamique actuelle où les partis de gauche se subordonnent à l'extrême gauche. 

Il est peu probable que cette coalition survive après les élections, y compris en cas de victoire. Le plus probable est qu'aucune majorité claire ne résultera de cette élection. Nous n'allons pas sortir tout de suite de cette période qui, du reste, rappelle moins celle des années qui ont précédé la Terreur que celles des années qui ont abouti au coup d'Etat de Bonaparte. 

À la lumière des récentes révélations sur les tensions internes et les stratégies controversées de LFI, comment cela pourrait-il façonner la stratégie électorale du Nouveau Front Populaire à l'approche des prochaines élections et en cas d’arrivée au pouvoir de la gauche à Matignon ?

Olivier Vial :  L’élection est imminente. Les forces de gauche sont justement en train d'essayer de dramatiser les enjeux, d'utiliser toute la force activiste qu'ils ont à leur disposition. Cela dépasse très largement les partis politiques. Des coalitions de syndicats et d'associations se mettent en place. Des influenceurs mettent la pression. Il y a un groupe qui s'appelle On est prêt qui a monté une boucle sur les réseaux sociaux, sur WhatsApp et sur Telegram pour inciter les influenceurs ou les personnalités à prendre la parole. 

Ce mouvement est assez massif et le seul argument qui est donné est de faire barrage au Rassemblement national avec une dramatisation assez classique. Est-ce que cela va être efficace ?  

Il n'y a pas le même accueil dans l'opinion publique que lors de la période de 2002 après l’arrivée au second tour de Jean-Marie Le Pen à l’élection présidentielle. La récente manifestation contre le Rassemblement national était symptomatique de la mobilisation. La manifestation a rassemblé dix à quinze fois moins de personnes que celle de 2002. 

Selon la police, il y avait 75.000 ou 100.000 personnes dans les rues à Paris, il y en avait 1,5 million en 2002. 

Alors que la mobilisation est moins importante, il y a beaucoup plus de radicalité. Lors de la dernière manifestation, il y avait des militants du Parti des Indigènes de la République, la présence des mouvements Queer for Palestine. Il y avait toute une galaxie de mouvements extrêmement marginaux et extrêmement radicaux qui font que cette mobilisation paraît très foisonnante mais qui risque d'être tellement radicale qu'elle n'aura pas le même impact sur l'opinion publique que la mobilisation de 2002 contre le Front national.

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