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Non les GAFA ne sont pas moins taxés que les entreprises européennes
©LIONEL BONAVENTURE / AFP

Contre-vérités

Alors que la France planche sur la création d'une taxe sur les GAFA, portée par Bruno Le Maire, une étude vient remettre en cause l'idée que ces entreprises auraient des avantages fiscaux par rapport aux autres...et pointe du doigt les risques que comporte une telle taxe

Nicolas Marques

Nicolas Marques

est directeur de l'Institut économique Molinari

Docteur en économie (Université d’Aix-Marseille) et diplômé en gestion (EM Lyon), il a débuté sa carrière en enseignant l’économie, avant d’exercer des responsabilités marketing et commerciales dans de grands groupes de gestion d’actifs français.

Chercheur associé depuis la création de l’IEM, en 2003, il est devenu Directeur général de l’institut en 2019. Il est l’auteur de plusieurs travaux sur les enjeux fiscaux, les finances publiques, la protection sociale ou la contribution des entreprises et membre de la Société du Mont Pèlerin.

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Atlantico : Dans une étude réalisée sur les résultats et la fiscalité appliquées au GAFA, vous contestez l'idée selon laquelle ces grandes entreprises du numérique seraient moins taxées que les entreprises plus traditionnelles. Comment en arrivez-vous à cette conclusion ?

Nicolas Marques : Nous avons observé les résultats des entreprises cotées américaines sur les 10 dernières années. Au global elles ont payé ou provisionné 24% de leurs bénéfices au titre de l'impôt sur les sociétés. C'est relativement homogène avec les grandes entreprises européennes. Nous avons également observé l'Euro Stoxx 50 et Stoxx Europe 50, les 50 plus grandes valeurs de la zone euro, ainsi que les 50 plus grandes valeurs européennes. En analysant ces valeurs, on observe qu'elles paient autant d'impôts que les quatre GAFA.

Dans le détail : à 5 ans, les GAFA paient un point de plus, à 10 ans ils paient deux points de moins. Au global, nous en concluons qu'il n'y a pas de distinguo majeur de fiscalité entre les entreprises du numérique et les traditionnelles, contrairement à ce que l'on nous a expliqué.

Comment expliquez-vous cette idée selon laquelle les GAFA sont privilégiées ?

On a entendu l'idée que les GAFA pouvaient être privilégiés, notamment parce qu'ils font beaucoup de recherche & développement et que la fiscalité en Europe est plus clémente sur ces sujets-là. Mais il s'agit surtout d'une mauvaise reprise d'une étude de PricewaterhouseCoopers. C'est une étude théorique analysant le code des impôts de différents pays européens qui représente surtout des modélisations affirmant que dans certains cas et certains pays, des entreprises faisant beaucoup de recherche, de développement et d'innovation telles que les GAFA pourraient payer moins d'impôts que les entreprises traditionnelles.

C'est un pur exercice de modélisation et les auteurs ne prétendent d'ailleurs que ça et clament depuis un an et demi que leurs chiffres ont été dénaturés. Eux-mêmes mettent en garde et expliquent qu'ils ont étudié des cas-types, pas la réalité. Ils disent ne jamais avoir conclus que les entreprises du numérique étaient moins taxées que les autres.

Le dossier dans le public se base sur une étude dont les auteurs mettent eux-mêmes en garde contre cette dénaturation. Personne n'a regardé la réalité des chiffres qui montrent que les GAFA paient ou provisionnent 24% d'impôts sur les sociétés, ce qui est conforme à ce qu'on voit en Europe.

Quelles conséquences auraient pour les Européens les taxations mises en place aujourd'hui spécifiquement sur les GAFA ?

Il s'agit essentiellement de la France, au niveau européen il n'y a pas de consensus sur les GAFA. Il y a des pays comme l'Autriche ou le Portugal qui ont mis en place des taxes spécifiques mais c'est loin d'être la majorité. Ce que propose le gouvernement français c'est de mettre en place une taxe de 3% sur les chiffres d'affaires. Cela peut paraitre anecdotique mais en réalité c'est la pire des taxes parce qu'elle abandonne l'idée de taxer la capacité contributive des entreprises pour une qui est arbitraire.

Par exemple si une entreprise fait 1% de marge, une taxe de 3% sur le chiffre d'affaire équivaut à 300% d'impôts sur les sociétés. Pour vous donner un ordre de grandeur, une entreprise comme Amazon c'est 2,5% de marge. Si une taxe de 3% sur la totalité de son chiffre d'affaires avait existé, cela aurait amputé le business-model et cette entreprise et ne se serait jamais développé comme on le constate. Autre exemple, un acteur français comme Criteo a une rentabilité de 6%. Cette nouvelle taxe va rajouter une couche de fiscalité majeure équivalent à 50% d'impôts sur les sociétés en plus. Pourtant ils paient des impôts significatifs en France, qu’il s’agisse des impôts de production, des charges sociales ou de l’impôt sur les bénéfices.

La recommandation fiscale standard est de ne jamais mettre d'impôts sur les chiffres d'affaires. Il y a aussi un deuxième effet à prendre en considération, lorsque l'on a une fiscalité reposant sur les taxes sur le chiffre d'affaires, il y a un risque que la même matière fiscale soit taxée plusieurs fois. Si par exemple vous êtes acteur du numérique et vous avez une prestation valant 100, si vous en avez acheté la moitié à un autre acteur du numérique et que vous êtes tous les deux dans le périmètre de la taxe, vous vous retrouvez avec une prestation censée avoir 3% de taxes mais qui en a en réalité 4,5%. C'est arrivé en France dans les années 50 lorsqu'on avait beaucoup de taxes sur les chiffres d'affaire. Cela a un effet néfaste car cela favorise l'intégration verticale. Dans un monde comme cela, l'enjeu pour survivre et développer votre business-model c'est de racheter les activités contribuant à votre prestation. Cela donnerait donc une prime aux grandes entreprises américaines pour racheter les autres acteurs afin d’éviter que la taxe ne soit encore plus importante que prévu.

La France est notamment célèbre pour avoir inventée la TVA, un impôt permettant d'éviter d'empiler les taxes puisque chaque entreprise la collecte sur la valeur ajoutée qu'elle a ajoutée. Finalement le schéma que l'on prend est le pire des impôts. Aucune entreprise ne paie la taxe sur l'essence puisqu'elle est payée par le consommateur. Il est très probable que les très grandes entreprises du numérique, auront la possibilité de repousser la taxe sur d'autres acteurs. Par exemple Amazon arrivera très probablement à repousser la taxe sur ses partenaires qui eux-mêmes la repousseront sur le consommateur.

Finalement, et c'est l'une des grandes faiblesses du dossier français, cette taxe ne sera pas payée par les acteurs du numérique américains, qui paient déjà des impôts significatifs. Elle sera payée par des acteurs intermédiaires, donc des PME, des TPE et des consommateurs européens.

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