Non, Angela Merkel n’est pas le grand vainqueur de l’accord avec la Grèce<!-- --> | Atlantico.fr
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Angela Merkel
Angela Merkel
©Reuters

Joutes européennes

Pour beaucoup de Français, la chancelière allemande Angela Merkel est la grande gagnante des âpres négociations avec la Grèce. Les choses sont pourtant loin d’être aussi claires. Les Allemands n'ont d'ailleurs pas obtenu ce qu'ils désiraient.

Roland Hureaux

Roland Hureaux

Roland Hureaux a été universitaire, diplomate, membre de plusieurs cabinets ministériels (dont celui de Philippe Séguin), élu local, et plus récemment à la Cour des comptes.

Il est l'auteur de La grande démolition : La France cassée par les réformes ainsi que de L'actualité du Gaullisme, Les hauteurs béantes de l'Europe, Les nouveaux féodaux, Gnose et gnostiques des origines à nos jours.

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Beaucoup de  Français, toujours prêts à nourrir leurs complexes face aux Allemands, même quand il n'y a pas lieu, voient ces jours ci l'accord trouvé avec Tsipras au sujet de la Grèce comme le triomphe de la domination allemande, Angela Merkel étant ainsi consacrée comme l'arbitre incontournable des destinées de l'Europe.

Nous pensons qu'une telle approche est illusoire et que, quant au fond, les Allemands n'ont guère à se glorifier de la manière dont les choses se sont passées.

D'abord parce qu'ils n'ont pas obtenu ce qu'ils voulaient : au moins Wolfgang Schäuble, le ministre des Finances, en phase avec la grande majorité de l'opinion allemande, voulait que la Grèce sorte de la zone euro. Le gouvernement français était, on le sait, plus compréhensif vis à vis de la Grèce. Ce qui explique la différence  d' attitude entre l'Allemagne et la  France, l'une paraissant dure et  l'autre flexible, c'est que le opinions publiques y sont dans un état d'esprit très différent. Les Français, au fond, se moquent de ce que va  devenir la Grèce et, si on les pousse, ils auraient plutôt de la mansuétude (pas tous, l'anti-héllénisme se  développe aussi chez nous), croyant, comme tout  le monde et comme, semble-t-il, le gouvernement grec lui-même, que le salut est pour  la Grèce de rester dans l'euro.

Les Allemands sont, dans leur majorité, attachés au maintien de la monnaie unique parce que leur classe dirigeante est, sur ce sujet, sous hypnose, comme toues les classes dirigeantes de l'Europe continentale, ne concevant qu'il y ait une vie possible hors de l'euro. En outre, depuis que  les réformes de Schröder y ont abaissé les coûts, l'euro profite à certains intérêts allemands, en particulier à tous ceux qui exportent en Europe. Or, comme l'a dit Angela Merkel, le départ de la Grèce sonnerait le glas de l'euro dans son ensemble.

Mais en même temps les Allemands sont remontés à fond  contre les Grecs, ils ne veulent plus en entendre parler et leur départ aurait fait leur joie. Ils savent qu'ils ne recouvreront pas les créances lourdes dues par ce pays  et ne veulent donc pas s'engager davantage. 

La chancelière Angela Merkel devrait arbitrer entre ces considérations contradictoires, et cela en fonction d'une vision à long terme. Il n'est pas certain qu'elle l'ait vraiment fait; ce qui importe d'abord à cette politicienne roublarde est ce qui lui permettra le mieux d'être réélue. Si elle a opté pour l'accord, rien ne dit que cela ait été de son plein gré.

Il reste que les Allemands qui voulaient se débarrasser des Grecs n'ont pas eu gain de cause.

On peut dire ensuite que les contraintes très lourdes qui ont été imposées à la Grèce et que, dès lors que Tsipras avait imprudemment laissé voir qu'il tenait à  rester dans l'euro, a dû accepter, ne sont pour l'essentiel, que l'expression que de la  rationalité économique.  Ce n'est pas la dureté allemande,  c'est la dureté des faits.  Si l'on veut que la Grèce équilibre ses comptes extérieurs, il lui faut réduire ses coûts intérieurs et donc consentir à faire encore des sacrifices. Dès lors que les uns et les autres renoncent à l'option de la dévaluation et donc de la  sorte de  l'euro, il n'y a pas d'autre solution.  Ceux qui, tel François Hollande, veulent garder la Grèce dans l'euro  mais avec des exigences adoucies sont dans la contradiction. Savoir si  les sacrifices exigés suffiront et n'enfonceront pas au contraire un peu plus  la Grèce, est une autre question.  C'est le problème des grands malades : le médicament, à dose trop faible est inopérant; à dose suffisante, il les tue.

Malgré l'importance des concessions faites par la Grèce, l'Allemagne aurait pu rompre les négociations. Elle  ne l'a pas fait. Et si elle ne l'a  pas fait, c'est que, très probablement Obama est intervenu pour cela auprès de Merkel pour  contrer Schaüble. Les  Etats-Unis souhaitent le maintien du  statu quo pour au moins trois raisons : parce que l'explosion de l'euro pourrait être le détonateur d'une nouvelle crise financière internationale analogue à celle de 2008, parce que l'euro leur permet, comme l'explique François Asselineau,   de maintenir les économies européennes sous  tutelle, parce qu'il serait dangereux pour l'OTAN de laisser la Grèce, dont la position géopolitique est capitale, errer sans attache dans une  zone de haute turbulence, au risque qu'elle  devienne une tête de pont de Moscou. Il est probable que, parallèlement aux pressions  faites sur le gouvernement allemand, des pressions  analogues aient été exercées sur Tsipras. Avec quels arguments ? On ne sait. Loin d'être la maitresse du jeu, l'Allemagne s'est  ainsi laissé imposer une décision que la majorité des Allemands rejetait.

Et pour quel bénéfice ? En réalité aucun. Quand  on dit que la Grèce, du fait de cet accord, se trouve écrasée par des conditions draconiennes, on ne se trompe pas. Mais qui pense une seconde que la Grèce va appliquer l'accord et en particulier rembourser les énormes  dettes qui pèsent encore sur elle ? A l'évidence, elle  ne le  fera,  pas par  tricherie ou malhonnêteté mais tout simplement parce qu'elle ne le peut pas et ne le pourra pas plus dans l'avenir. Elle ne le pourra pas tant qu'elle restera dans l'euro.

En définitive, Angela Merkel, dont les exigences étaient moins les siennes que celles de la réalité, et dont l'opinion  ne voulait pas d'un nouvel accord, s'est vu imposer par  Washington un accord qui certes, parait sauver l'euro   - pour combien de temps ?  - mais qui  ne lui rapportera pas un kopeck parce qu'il ne sera jamais appliqué. Ajoutons que rien ne dit que l'euro sera durablement sauvé par cet accord inapplicable.

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