Négociations sur le nucléaire iranien : pourquoi Téhéran pense que la France sera la perdante d’un accord<!-- --> | Atlantico.fr
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Laurent Fabius lors des négociations.
Laurent Fabius lors des négociations.
©Reuters

France bashing

L'Iran et les grandes puissances du groupe P5+1 (Etats-Unis, Royaume-Uni, Chine, Russie, France, et Allemagne) sont depuis hier lundi 6 juillet à Vienne avec pour objectif de trouver un accord d'ici minuit ce soir. Dans ce dossier, la République islamique goûte peu le discours de la France.

Thierry Coville

Thierry Coville

Thierry Coville est chercheur à l’IRIS, spécialiste de l’Iran. Il est professeur à Novancia où il enseigne la macroéconomie, l’économie internationale et le risque-pays.
 
Docteur en sciences économiques, il effectue depuis près de 20 ans des recherches sur l’Iran contemporain et a publié de nombreux articles et plusieurs ouvrages sur ce sujet.
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Ardavan Amir-Aslani

Ardavan Amir-Aslani

Ardavan Amir-Aslani est avocat et essayiste, spécialiste du Moyen-Orient. Il tient par ailleurs un blog www.amir-aslani.com, et alimente régulièrement son compte Twitter: @a_amir_aslani.

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Atlantico : Hussein Cheikh el-Islam, conseiller aux affaires étrangères du président du Parlement iranien, a affirmé : « S’il y a un accord à Vienne, la France sera la perdante. Le peuple iranien les désignera comme les perdants. Si l’accord n’est pas signé, le peuple iranien dira que c’est à cause de la France. En fait, la France parie sur un accord perdant-perdant. » Pourquoi la France est-elle ciblée par l'Iran? Ses accusations sont-elles justifiées?

Thierry Coville : Du côté iranien, la perception est que la France a eu la position la plus "dure" contre l'Iran durant les négociations sur le nucléaire. Généralement, la presse iranienne explique cette position par les liens commerciaux de la France avec l'Arabie Saoudite et des liens "stratégiques" avec Israël. Les autorités iraniennes ont peut-être également la perception que la France ne veut pas d'un accord qui "respecte" les droits de l'Iran. Par "perdant-perdant", Hussein Cheikh el-Islam évoque une situation où s'il n'y pas d'accord, tout le monde sera perdant. 

Il est vrai que la ligne "dure" adoptée contre l'Iran depuis la présidence de Nicolas Sarkozy a été poursuivie sous François Hollande. En outre, depuis le début des négociations, la France a, à de très nombreuses reprises, évoqué sa méfiance vis-à-vis de l'Iran en sous-entendant que l'Iran voulait toujours la bombe atomique. De plus, très souvent, il y a eu des déclarations de "diplomates français" évoquant le rôle déstabilisateur de l'Iran dans la région. Cette ligne dure s'explique, à mon avis, en partie par les liens commerciaux avec l'Arabie Saoudite et des liens proches avec Israël. Il y a en outre un courant néo-conservateur aux affaires étrangères françaises qui diabolise l'Iran à outrance (et curieusement épargne les monarchies du Golfe ...). La France a eu traditionnellement un rôle de médiateur dans la région. Est-ce que l'on n'a pas été trop loin dans ce discours anti-iranien ? Je pense que ces prises de position affaiblissent considérablement la crédibilité de la politique française dans la région. Nous ne sommes plus un véritable médiateur (dans une région qui en a bien besoin). Et comment pouvoir apporter des solutions aux crises irakienne et syrienne en diabolisant l'Iran ? Enfin et surtout, pourquoi la diplomatie française n'intègre pas dans ses raisonnements l'importance du processus de modernisation de la société iranienne et ses conséquences pour l'Iran et la région ?

Ardavan Amir-Aslani  : Je pense que les Iraniens considèrent que la France a adopté une position extrémiste sur la question du nucléaire iranien. Ils pensent que la France, sous prétexte du combat contre la prolifération nucléaire, cherche à faire plaisir au pétromonarchies arabes du Golfe Persique en défendant leur point de vue. Les Iraniens ont tendance à considérer que la position française sur ce dossier est dictée par l'idéologie de l'aile droite du Likoud israélien et celle qui consiste à positionner la France exclusivement dans le camp des pétromonarchies arabes sunnites.  Ils estiment que la France ne joue pas le jeu de la négociation internationale. Ils prennent pour exemple souvent le fait que leur pays négocie avec 6 pays dont la France alors comment se fait-il qu'aucun autre Etat n'adopte une position aussi radicale et jusqu'au-boutiste ? Est-ce que les Américains ne veulent pas tout autant contrôler la arrêter la profusion nucléaire? Je le pense, et pourtant ils n'ont pas une ligne aussi dure que la France sur ce sujet. Alors comment expliquer cette position sans ménagement des Français sur le nucléaire iranien? Les Iraniens pensent en effet que le point de vue de la France est biaisé et motivé par des intérêts partisans notamment sur les ventes d'armes qu'elle pourrait réaliser avec les pétromonarchies.     

La France est ciblée par l'Iran car elle n'a eu de cesse de mettre un frein aux négociations. La première fois qu'il y a failli avoir un pré-accord sur le nucléaire iranien il y a un an et demi, Laurent Fabius a fait irruption au devant de la scène diplomatique à Genève et a empêché que l'on puisse parvenir à une solution. Il a fait cela alors que les Américains discutaient déjà avec les Iraniens depuis quelque temps. Les Etats-Unis négociaient avec l'Iran six mois avant même que le président modéré iranien Rohani ne fasse acte de candidature puisqu'ils parlaient déjà en secret à Oman avec les Iraniens, sous Ahmadinejad. Donc ils n'ont pas compris l'irruption brutale de la France dans les négociations avec une volonté de les faire capoter. D'ailleurs il n'y a pas que les Iraniens qui n'ont pas compris cette posture. C'est le cas aussi de la majorité des diplomates occidentaux. Ensuite, en affirmant que les accords ne sont jamais assez durs et qu'il faut toujours les rendre plus contraignants pour l'Iran, la France suit en réalité la position d'Israël.

Depuis la présidence Sarkozy, et cette position a été accentuée sous la présidence Hollande, la France a décidé de se positionner totalement en faveur des pétromonarchies arabes du Golfe Persique. Prenons l'exemple du conflit libyen, la France est intervenue encouragée par la position du Qatar et l'on voit le désastre que la Libye a causé, sans parler du problème de l'immigration, avec un pays qui aujourd'hui n'existe plus comme Etat de droit. C'est devenu un failed state  comme le dirait Noam Chomsky. Mais regardons la position de la France dans tout le Moyen-Orient, elle est alignée à 100% sur celle des pétromonarchies. Le président François Hollande va en Russie et n'hésite pas à critiquer la pratique des droits de l'homme. Mais le lendemain lorsqu'il va en Arabie Saoudite, il ne trouve plus rien à dire sur le sujet alors qu'il n'y a aucune forme d'élection et que les femmes n'y sont pas libres de conduire. Les Iraniens pensent donc que la diplomatie française se base sur un deux poids de mesure permanent. Ils considèrent que la France sacrifie le bon sens juste pour vendre des armes aux pays du Golfe. 

Hussein Cheikh el-Islam a ajouté : « Les relations entre les Français et les Iraniens sont très importantes. L’histoire a montré qu’elles ont toujours été constructives. Beaucoup de gens dans ce pays parlent le français, comme mon propre père... Vous allez perdre cela et il faudra payer tôt ou tard cette attitude, que l’accord soit signé ou non. » On peut quasiment parler de menaces à l'égard de la France. Quelles pourraient être les conséquences pour la France? En quoi l'Iran peut-elle est concrètement mettre en application ses menaces?

Thierry Coville : Je pense qu'il faut relativiser les menaces sur le plan économique. Les entreprises françaises sont très bien vues en Iran et elles sont attendues. On ne peut pas par contre écarter des gestes  de mauvaise humeur des autorités iraniennes sur certains contrats. Mais, le discours que l'on entend en Iran est que la compétition est ouverte et qu'ils vont faire jouer la concurrence. Le problème est plutôt vis-à-vis de la diplomatie française dans la région. Comment peut-on être crédible si l'on s'aligne aussi nettement sur les positions de l'Arabie Saoudite vis-à-vis d'un certain nombre de crises régionales?

Ardavan Amir-Aslani  :Les Iraniens expliquent la l'intransigeance de la France sur le nucléaire iranien de deux manières. Tout d'abord par le vécu personnel de Laurent Fabius. A l'époque, lorsqu'il était Premier ministre sous Mitterrand, les deux pays étaient déjà dans un rapport conflictuel puisque la France avait abandonné l'Iran au profit du régime de Saddam Hussein lors du conflit entre la République islamique et l'Irak. Deuxièmement, beaucoup de personnes sont d'accord pour dire que le Quai d'Orsay est aujourd'hui kidnappé par une minorité de néoconservateurs dont la thèse consiste à privilégier le point de vue des pétromonarchies arabes du Golfe Persique et l'aile droite du Likoud sur la question iranienne. Je dis bien la droite du Likoud puisque le chef de l'opposition israélienne Yitzhak Herzog faisait confiance à la ligne américaine dans les négociations avec l'Iran, ce qui n'est pas le cas de la France qui pense que pour obtenir une victoire diplomatique à la fin de la présidence Obama, les Etats-Unis sont prêt à faire trop de concessions.

Encore une fois, je ne pense pas que l'Iran menace la France. Le risque il est avant tout économique, c'est de perdre le marché iranien. D'ailleurs aujourd'hui les grands groupes français du CAC 40 doivent batailler pour se repositionner en Iran. Je prends l'exemple de Peugeot qui avait une position dominante sur le marché iranien. 45% du parc automobile était tenu par Peugeot. Mais cette société a finalement totalement abandonné l'Iran à son sort. Et aujourd'hui des entreprises allemandes, anglaises, italiennes, espagnoles et surtout américaines sont maintenant privilégiées par les Iraniens qui considèrent que la France à une dent contre eux. Au-delà de cet exemple, la perte économique pour la France peut-être désastreuse car il y a 400 hôtels quatre et cinq étoiles à construire dans les dix prochaines années en Iran pour rattraper les 36 années d'ostracisme. Il y a un besoin de 300 à 400 gros porteurs pour l'aviation civile iranienne puisque la vente des avions y a été interdite pendant des décennies.

Mais le problème de fond c'est que la France soutient la position des ces pétromonarchies qui sont en réalité les puissances qui apportent d'une part l'ossature idéologique de Daech, identique selon moi au wahhabisme de l'Arabie Saoudite, et qui par ailleurs financent ce mouvement islamiste. Donc la France risque d'apporter son soutien à ceux-là même qu'elle est censée combattre au Moyen-Orient et qui apportent son aide financière à des actes terroristes perpétrés sur son propre territoire. Il faut savoir que le terrorisme islamique est une certaine version de l'islam, une version sunnite et wahhabite telle qu'on peut la retrouver en Arabie Saoudite. Regardez ce qui se passe aujourd'hui : Daech détruit des cités archéologiques antiques en Irak et en Syrie. Et bien l'Arabie Saoudite fait la même chose aujourd'hui dans sa campagne de bombardement au Yémen avec la destruction de la vielle ville de Sana'a inscrite sur la Liste du patrimoine mondial de l’Unesco. Des siècles d'art y ont été anéantis. 

Au regard de l'histoire quelle a été la nature des relations entre l'Iran et la France? A-t-on eu des précédents de tensions comparables entre les deux pays?

Ardavan Amir-Aslani  :  Les Iraniens et l'Etat iranien sont profondément francophiles. L'élite de l'Iran a été même francophone. Il y a une ambassade iranienne permanente en France depuis Napoléon III. Le Royaume de l'Arabie Saoudite n'a été fondé officiellement qu'en 1932. Le Qatar et les Emirats ne sont indépendants que depuis 1971. La France avait une position prépondérante en Iran jusqu'à la révolution iranienne, date à laquelle elle a décidé d'apporter tout son soutien à Saddam Hussein qui a mené une guerre d'agression contre l'Iran. A un tel point que la France a enfreint un principe fondamental de sa diplomatie qui consistait à ne pas apporter son soutien en armes à deux pays belligérants engagés dans un conflit militaire. Les Français sont allés jusqu'à louer des avions Super-Etendard à l'aviation irakienne. C'est à ce moment, dans les années 1980, qu'il y a eu une rupture entre la France et l'Iran. Depuis les deux pays ont une relation conflictuelle. Malgré cela, les Iraniens ne cessent de tendre la main aux Français et de crier qu'il y a un besoin de France en Iran. Il y a d'ailleurs besoin à l'échelle internationale de cette autre voie médiane. La France a perdu l'occasion devenir cette troisième voie.  

Thierry Coville : Il y a des relations anciennes entre l'Iran et la France. Depuis le 19eme siècle, une grande partie des élites iraniennes sont allées se former en France. La modernité politique en Iran, les idées d'Etat-nation sont des idées qui ont justement été transmises en Iran par un certain nombre de jeunes iraniens qui avaient étudié en France. La France est également vue comme un pays indépendant vis-à-vis des Etats-Unis en Iran. Tout ceci signifie qu'il y a un courant de sympathie en Iran pour la France. Beaucoup de jeunes iraniens veulent toujours apprendre le français. Il y a eu des hauts et des bas entre les deux pays depuis la révolution. Après la révolution, la France était très populaire car elle avait accueilli l'Imam Khomeini. Puis, les relations entre les deux pays sont devenues  catastrophiques avec le soutien de la France à Saddam Hussein pendant la guerre Iran-Irak. Après la fin de cette guerre, les relations s'étaient améliorées sur les plans économique et politique. L'Iran était devenu le premier marché de la France au Moyen-Orient au milieu des années 2000. Puis, sous le mandat de Nicolas Sarkozy, les relations se sont de nouveau dégradées. 

La France va-t-elle ou est-elle en passe de devenir en Iran le nouveau "Grand Satan", position jusqu'alors occupée par les Etats-Unis? Comment les Iraniens perçoivent-ils la France?

Ardavan Amir-Aslani  : Les Iraniens sont des gens lucides. Ils négocient activement avec les Etats-Unis. Le secrétaire d'Etat américain John Kerry a passé plus de temps lors de son mandat avec son homologue iranien Mohammad Javad Zarif qu'avec n'importe quel autre ministre des affaires étrangères dans le monde. Les Iraniens font donc le constat qu'ils ont d'excellentes relations avec les Etats-Unis mais aussi avec la Chine ou encore la Russie et bien d'autres pays. Donc si la France ne veut pas nous tendre la main, on fera sans. Le grand perdant de cette affaire-là sera bien la France. Cela fait des décennies que les Iraniens entendent les responsables français vociférer contre leur pays. Ils ne comprennent pas cette hostilité donc la mentalité iranienne a quelque peu perdu la sympathie absolue qui existait naguère.

Thierry Coville : Il est effectivement étonnant que la France tienne un discours néo-conservateur contre l'Iran au moment où les Etats-Unis essaient de normaliser leurs relations avec l'Iran. Comme je vous l'ai dit, la France jouit d'un capital de sympathie avec l'Iran. Donc, nous ne sommes pas devenus le nouveau "Satan". Néanmoins, les relations  diplomatiques entre les deux pays sont très mauvaises. Pour toutes les raisons évoquées au dessus, il serait bon que cette politique évolue. C'est dans l'intérêt des deux pays. 

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