Montée des mouvements contestataires en Europe : réel danger ou simple réaction épidermique ? <!-- --> | Atlantico.fr
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"Il y a une critique diffuse envers l’Europe, mais aussi plus globalement envers tout le phénomène de la mondialisation"
"Il y a une critique diffuse envers l’Europe, mais aussi plus globalement envers tout le phénomène de la mondialisation"
©Reuters

Être ou ne pas être populiste

Plusieurs membres de l'Union européenne ont vu émerger voire ré-émerger des courants politiques très fortement contestataires et populistes. Leur apparition n'est pas nouvelle, mais la crise a peut-être créé les conditions idéales pour les rendre un peu plus dangereux.

Yves Surel

Yves Surel

Yves Surel est professeur de science politique à l'Université Paris II (Panthéon-Assas).

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Atlantico : On observe depuis quelques temps la montée de mouvements fortement contestataires aux discours ouvertement populistes aussi bien au sein de l'Union européenne que chez les pays aspirant à y entrer. Comment expliquer ce type de mouvements, pas nouveaux dans l'histoire de l'Europe ? Cette dernière est-elle finalement destinée a y faire face ?

Yves Surel : Précisons avant tout que le terme de populiste n’est guère utilisé car il est fourre-tout et rassemble beaucoup de mouvements et d’acteurs politiques. C’est un terme simple en apparence qui permet de couvrir un grand nombre de phénomènes. Ce sont des partis, des acteurs qui dénoncent le pouvoir en place avec des discours de facture démagogique, et qui adoptent aussi une position anti-establishment : ils sont à la fois dans et en dehors du système politique, en critiquant les titulaires au pouvoir. 

C’est donc un chapeau très large qui recouvre à la fois la nouvelle d’extrême-gauche radicale mais aussi des mouvements plus anciens tels que la Ligue du nord en Italie ou encore le Vlaams Belang en Belgique flamande et, effectivement, les partis néo-nazis. L’autre écueil du terme populiste c’est qu’il est suffisamment large pour que l’on puisse l’appliquer à des leaders assez traditionnels tels que Silvio Berlusconi ou encore Nicolas Sarkozy.

D’autre part, il est vrai que sur les vingt ou trente dernières années, on a vu des partis populistes ayant cet appel assez radical et démagogique contre les élites en place, on les a vus émerger et gagner en puissance avant de redescendre. Le meilleur exemple est bien le FPO autrichien qui était très fort dans les années 1990 au point d’entrer dans la coalition avec le parti conservateur, en 2000, et ensuite par le biais d’une scission il a reflué avant de retrouver dernièrement une nouvelle vigueur électorale.

Ce qui fait la spécificité de l’Europe peut se décliner en plusieurs facteurs : d’abord un sentiment de déclin économique et culturel, et, ensuite ce que l’on a appelé le déficit démocratique de l’Europe, qui prend beaucoup de place dans l’élaboration du droit. Mais ce rôle juridique ne s’accompagne pas, dans les politiques publiques, d’une revitalisation des institutions politiques.

Il n’y a pas d’élection à l’échelle européenne sauf pour le Parlement et donc il y a un sentiment – exploités par les partis nationaux – de dépossession, d’une décision qui échappe au peuple européen.

Peut-on penser que ces mouvements sont des signaux d’alerte sur l’état de santé de la démocratie européenne ?

On a beaucoup soutenu l'argument selon lequel ces mouvements auraient la capacité à représenter des demandes plus ou moins diffuses. Dans les années 1960, Georges Lavau, professeur de science politique, avait parlé du Parti communiste comme ayant une fonction tribunitienne. C’est-à-dire qu’il prennait en charge les demandes sociales de personnes qui se sentaient à l'écart de l'évolution socio-économique.

Si on s’attache à cette définition, on peut alors parler de signaux d’alerte. Mais, en général les signaux d’alerte finissent par s’estomper, alors que ces partis sont dans l'arène politique depuis un certain temps.

Le meilleur exemple est le Front national qui a une audience électorale en France depuis vingt voire trente ans. On ne peut plus le considérer comme le symptôme épidermique d’une démocratie en crise. C’est un parti installé en dépit de ses succès électoraux variables.

D’ailleurs, la dernière élection présidentielle a bien démontré que les jeunes se sont habitués à ce parti. Ils ne sont plus dans la même logique que les générations précédentes qui le considéraient comme une anomalie. C’est donc un symptôme, mais il est durable.

La crise économique qui secoue l’Europe a-t-elle produit un changement contextuel suffisamment fort pour que ces mouvements soient renforcés de façon durable ?

Certains mouvements sont antérieurs à la crise économique, mais ce qui est vrai, c’est qu’elle a sans doute – en accélérant le sentiment de déclassement de certains groupes sociaux – accru leur puissance électorale.

Même dans des pays pourtant assez stables économiquement et socialement, tels que les pays scandinaves, on a vu l’apparition récente du Parti du progrès. La crise a sans doute permis d’accroître l’audience de ces partis mais n’en est sûrement pas le déclencheur.

Quels sont les changements entre les déclenchements des replis nationaux et contestataires qui ont eu lieu auparavant et ceux que l’on peut observer maintenant ? La base est-elle la même ou observe-t-on des nuances ?

Je pense qu’il existe des nuances, en raison de la différence des phénomènes, mais ce qui fait le lien, c’est une série d’évènements transversaux, des problèmes économiques et sociaux et un fort mécontentement à l’égard des responsables politiques.

On se souvient de la crise de la République en Italie qui s'est caractérisé par la multiplication des affaires de corruption, la révélation des liens entre les hommes politiques et la mafia et le sentiment que le pays était ingouvernable. Tous ces facteurs ont motivés la montée de la Ligue du nord, un mouvement régionaliste extrême qui a accompagné la montée en puissance de Berlusconi.

On connaît les déjà l’activisme des mouvements d’extrême-droite ainsi que leurs fortes revendications nationales, pourtant il semble que désormais les mouvements d’extrême-gauche renaissent aussi dans cette veine contestataire, j’en veux pour preuve la rencontre entre Jean-Luc Mélenchon et Alexis Tsipras. A la différence que ces mouvements se concentrent surtout sur la volonté de contrer l’austérité plutôt que dans une logique strictement nationale. Est-ce une nouveauté dans l’histoire des « populismes» européens ?

C’est une nouveauté par rapport aux années 1980 où il y avait des partis socio-démocrates plutôt dominants avec à gauche une force montante qui était l’écologie politique alors que la gauche radicale classique comme le Parti communiste était en crise. Maintenant, on retrouve par le biais de Mélenchon ou de Die Linke, une tradition radicale plus ancienne.

Ainsi si l'analyse se concentre sur une perspective courte, c’est un phénomène nouveau car ces partis étaient jusque là en déclin, et grâce à des fusions ou des rénovations, ils retrouvent une audience électorale significative. Mais sur le long terme, il s’agit plutôt du renouveau d’une tradition politique assez fortement ancrée en Europe et particulièrement en France.

D'ailleurs, on voit bien que Mélenchon est à l’aise dans un registre de référence à l’Histoire de la gauche classique et il retrouve sa fonction tribunitienne. Et d’ailleurs, son affrontement avec Marine Le Pen à Hénin-Beaumont est typique de ce point de vue, car il veut arracher au Front national cette fonction qu’il occupe depuis désormais près de trente ans auprès des ouvriers.

Peut-on opposer radicalement une extrême-droite européenne centrée sur des problèmes exclusivement nationaux en réponse à un système global en crise et une gauche radicale qui critique le système sans vraiment en être à l’extérieur ?

Il faut s’interroger sur la structure des clivages socio-politiques qui expliquent ce qui divise les populations et les principaux conflits d’intérêts et de valeurs qui animent les systèmes politiques. Grâce à un certain nombre d’études, on a pu montrer qu’il y a avait effectivement un clivage entre libertaires et autoritaires qui s’était imposé en Europe. C’est-à-dire un affrontement entre les partis libertaires favorables aux droits culturels des minorités et une droite autoritaire centrée sur des crispations nationalistes.

D’un côté, la gauche radicale échappe un peu à cette stricte séparation. Elle est à la fois un peu libertaire notamment du point de vue des mœurs et des droits des minorités ou même - et cela de manière parfois ambigüe - une façon de penser l’écologie. Mais on a aussi une crispation contre les institutions en place.

Cela en fait un mouvement un peu composite, qui ne se place pas forcément sur les clivages européens qui ont été identifiés. Ce qui peut expliquer leur émergence, c’est le renouveau de questions sociales importantes et le fait qu’il existe comme un déplacement de la critique des acteurs supra nationaux.

Les cibles ne sont plus les institutions européennes qui nourrissent plutôt un discours nationaliste en terme de souveraineté, mais ce sont aussi les banquiers, la finance nationale et internationale qui deviennent les exploiteurs de la classe ouvrière. 

Les voix nationalistes et contestataires ont réussi à se matérialiser dans des mouvements politiques arrivés au pouvoir, j'en veux pour exemple l’arrivée au pouvoir des néo-nazis de l’Aube dorée ou de façon plus nuancée l’élection de Tomislav Nikolic en Serbie. Peut-on craindre que l’émergence de ces mouvements mette en péril le projet européen ?

De fait, oui, puisque ces mouvements arrivent au pouvoir et alimentent des tensions importantes. Mais ce qui frappe aussi c’est l’absence de véritable réaction des instances européennes notamment envers l’évolution du système politique hongrois et ses décisions très choquantes pour le bon fonctionnement de l’Etat de Droit.

Il y a une critique diffuse envers l’Europe, mais aussi plus globalement envers tout le phénomène de la mondialisation. Cependant, rien n’a encore été fait pour accélérer ou approfondir l’intégration européenne par rapport à une période antérieure.

Pendant longtemps on a pensé que les mouvements fortement contestataires n’étaient que des manifestations épidermiques qui n'affectaient pas vraiment les organisations communautaires mais le simple fait d’envisager la sortie de la Grèce de la zone euro c’est quelque chose d’assez neuf et c’est un retour en arrière assez important dans l’histoire de l’intégration.

Est-il possible d’imaginer que l’Europe puisse être amenée à s’adapter à ce type de mouvements latents, voire à les institutionnaliser pour avancer ?

Il faut que les élites européennes – communautaires ou nationales – prennent acte de la puissance électorale de ces mouvements et de ce point de vue l’idée de vouloir relancer une dynamique d’investissement à l’échelle européenne est un signal politique. Cela montre que les Etats seraient prêts à se lancer dans plus de solidarité et à se concentrer sur autre chose que la simple gestion de la crise.

D’autre part, il faudrait renforcer la démocratisation des instances communautaires car les dernières modifications ont simplement opacifié un peu plus la lisibilité de ces instances au lieu de les clarifier et de les simplifier. En créant ce président du Conseil européen on a créé une institution un peu bâtarde même chose pour les représentants en matière de politique étrangère, qui sont pour la plupart des personnalités très peu charismatiques.

L’une des solutions seraient de répondre réellement et concrètement à la crise, à la fois sociale et politique en faisant de l’Europe un moteur de la croissance, et cela a été anticipé ces derniers mois. Mais, il faudrait aussi ajuster les institutions afin qu’elles soient plus conformes à l’idéal démocratique des pays européens.

Propos recueillis par Priscilla Romain

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