Mon fils, ce terroriste : le témoignage d’Azdyne Amimour, lors du procès des attentats du 13 novembre 2015 <!-- --> | Atlantico.fr
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Azdyne Amimour, le père de Samy Amimour, a tenté d’aller récupérer son fils en Syrie, en vain.
Azdyne Amimour, le père de Samy Amimour, a tenté d’aller récupérer son fils en Syrie, en vain.
©Benoit PEYRUCQ / AFP

Bonnes feuilles

Guillaume Auda publie « Jeunes à crever Attentats du 13-novembre : un procès, une génération » aux éditions du Cherche Midi. Après les scènes d'horreur du Bataclan, des terrasses et du Stade de France, vint le temps de la justice. Au déferlement de violence répondirent les témoignages, les débats et les plaidoiries. Pendant dix mois. Guillaume Auda s'est rendu quasiment tous les jours aux audiences du Palais de justice. Extrait 1/2.

Guillaume Auda

Guillaume Auda

Guillaume Auda est grand reporter. Il a été correspondant à Jérusalem pour France 24 et RTL. Il a couvert plusieurs conflits armés, notamment en Israël et à Gaza, ainsi que, pour iTélé et Canal+, les Printemps arabes et leurs soubresauts. Il a également réalisé plusieurs documentaires dont un, pour France 5, sur l’assassinat de Samuel Paty.

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Après qu’Azdyne Amimour se fut avancé d’un pas lent et presque engourdi vers la barre, le président de la cour demanda au témoin s’il connaissait l’un des accusés, comme l’exige la procédure. Avant de répondre, cet homme au crâne dégarni, luisant, et cerclé de cheveux blancs, inspira profondément, puis se tourna vers le box et dévisagea longuement ces hommes à l’intérieur de leur cage de verre. Il régnait à ce moment-là un silence pesant, un silence épais, un silence qui impose sa présence. C’était comme si ce vieillard un peu voûté, le regard tout à la fois triste et mauvais à cet instant-là, avait sondé en eux ce qui avait précipité son fils dans les griffes du mal. Dans le blanc des yeux, on aurait dit qu’il fouillait leurs âmes, cherchant à faire surgir d’inavouables secrets. S’il l’avait pu, m’étais-je dit, il les aurait fusillés.

« Non, je ne connais aucun d’entre eux », certifia ce retraité, un Français d’origine algérienne, qui jura de dire la vérité, rien que la vérité.

Trois mois exactement après le début du procès, la cour entendait pour la première fois le père d’un des terroristes du 13‑Novembre. Son fils, Samy Amimour, était l’un des trois assaillants du Bataclan, il avait fait feu aveuglément et tué des dizaines d’innocents. L’un des plus cruels, avait même décrit des rescapés de la tuerie. Replié sur la scène où il tenait en joue un otage, l’assassin avait été finalement neutralisé par les balles du commissaire C. et de son équipier juste avant de se faire sauter. Son corps, pulvérisé, s’était dispersé en une myriade de confettis de chair dans la salle de concert. Le kamikaze avait 28 ans.

« Il n’y a pas de mystère, Samy Amimour a participé à ces attentats. Comment votre fils en est-il arrivé là ? » questionna sans détour le président Périès.

Tout comme la cour, les parties civiles espéraient des réponses. Et il y avait là pour les leur donner, s’il le pouvait, un homme de 74 ans, un père endeuillé, sommé de raconter comment son fils, un jeune homme plutôt introverti, d’abord bon élève, bac littéraire en poche, puis chauffeur de bus à la RATP, radicalisé en un trait de temps sur internet, en fana[1]tique autodidacte, avait pu partir combattre et décapiter des gens en Syrie, avant de revenir en France pour y commettre son massacre.

« C’est très difficile à expliquer…, concéda le témoin, la voix effacée. Samy a reçu une bonne éducation. Il a suivi un parcours scolaire sans faute. Il a eu son brevet, son bac du premier coup, s’est inscrit en licence de droit. Après, c’est allé à une vitesse vertigineuse. Il a commencé à s’intéresser à la religion. À fréquenter les mosquées. Et puis il a changé sa façon de s’habiller. Voilà… »

Du jour au lendemain, ou presque, Samy Amimour s’est mis à porter le qamis, la longue et ample tunique traditionnelle, qui court jusqu’aux chevilles et dont se couvrent les pieux musulmans, en général pour aller prier. Sans que son père ne s’en alarme vraiment : « Je n’étais pas très inquiet, je me disais : s’il est sur la bonne voie avec la religion, alors pourquoi pas. Je préférais ça plutôt que dealer […]. Je suis allé à la mosquée du Blanc-Mesnil à deux ou trois reprises, pour écouter les prêches, pour voir ce qu’il s’y passait. Je n’ai rien remarqué de particulier. »

À  ce moment-là, « on est en 2011-2012 », Azdyne Amimour est un parent très absent. Il travaille toute la semaine en Belgique, à Liège, où il vend des vêtements. Deux jours par semaine, le week-end, il est de retour à Drancy, en Seine-Saint-Denis, où réside la famille. Avec son épouse, ils forment un couple sans histoire, de culture musulmane à tendance laïque, ils ont deux filles et un garçon. Mais à domicile, dans l’ombre, leur fils Samy s’endurcit. Le père ne voit pas grand-chose. Enfin si, un peu quand même. Un jour, il le voit briser des bouteilles d’alcool à la maison. Et aussi s’abrutir sur des vidéos de Ben Laden ou sur des forums de discussion djihadistes. Samy a changé. Une autre fois, il balance à la poubelle la musique de sa petite sœur, Maya. Il tente aussi, sans succès, d’imposer le voile à sa mère qu’il traite de mécréante. Samy s’est assombri. Avec ses copains, il rêve de Yémen et d’Afghanistan, il s’imagine en moudjahid au combat, il apprend à tirer. Très vite, il est dans le radar des services et après enquête, il est même interpellé en 2012, puis relâché, mis en examen pour association de malfaiteurs terroriste, placé sous contrôle judiciaire, il pointe une fois par semaine au commissariat. Des années plus tard, après tout ce que l’on sait, le juge Marc Trévidic, entendu au procès, avait amèrement regretté de ne pas avoir fait enfermer Samy Amimour. « Un suiveur mais déterminé », avait aussi dit de lui à la même barre un enquêteur de la DGSI.

« Mais vous saviez qui était Ben Laden? demanda Frédérique Aline, la première assesseure, au père de Samy.

– Oui…, balbutia Azdyne Amimour. Mais Samy était instable. On a eu un différend. Il disait que Ben  Laden travaillait pour la CIA…

– Vous saviez que votre fils s’était entraîné au tir? Qu’il voulait faire le djihad armé en Afghanistan? poursuivit la magistrate sur un ton plus pressant.

– Non, je l’ai su après les attentats…

– Et le fait qu’il démissionne de la RATP, ça ne vous a pas inquiété ?

– On ne pouvait rien faire… »

Chez les Amimour, à cette époque, le père n’a aucune prise, c’est Samy qui fait la loi. Et bientôt plus rien ne l’arrêtera. Le jeune homme a choisi sa voie. Ce sera la Syrie où il part en septembre 2013, une fois de plus après avoir embobiné son père auquel il avait parlé de vacances sur la Côte d’Azur.

« Vous avez tenté de le contacter? s’enquit le président Périès.

– Oui, par Skype. Je ne voulais pas rompre le contact, donc je n’ai pas cherché à lui faire la morale.

– Il vous disait qu’il était parti pour faire quoi?

– Il disait qu’il était là-bas pour l’arabe et la religion. Je l’ai encouragé à apprendre le dialecte syrien.

– Et vous n’avez rien noté de particulier?

 – Si, un jour j’ai remarqué des kalachnikovs derrière lui. Mon fils m’avait dit qu’elles étaient à d’autres clients du cybercafé. Samy disait qu’il voulait aider les Syriens à cause de la guerre. Il avait vu des familles bombardées, des gens déchiquetés.

– C’est pas fréquent une kalachnikov dans un cybercafé, releva le président, un peu surpris. Vous ne vous êtes pas inquiété ?

– Si, un peu…, répondit Azdyne Amimour sans convaincre tout à fait.

– Il combattait contre Bachar al-Assad?

– Je le croyais. C’était un bon garçon. Il disait qu’il était dans une association, Jabhat al-Nosra…

– Mais Jabhat al-Nosra, ce n’était pas une association! C’était une organisation armée, une émanation d’Al-Qaïda ! rectifia le juge Périès, de plus en plus perplexe. Et quand il vous dit qu’il était dans Jabhat al-Nosra, vous vous renseignez ?

– J’ai demandé à quelqu’un. On m’a dit que c’était de l’humanitaire…

– Mais votre fils participait à des combats?

– Je ne sais pas…»

Azdyne Amimour, lui aussi, a fait le voyage en Syrie. Quelques jours seulement entre fin juin et début juillet 2014, pour tenter de raisonner son fils. Une histoire qu’il a racontée dans la presse et dans un livre signé avec le père d’une victime 5 . Sauf qu’à la barre, des années après, son récit apparaissait nettement plus approximatif. Les magistrats le cuisinaient. On débattait sur les dates de son séjour sur place. Ça tournait autour du début du ramadan, le jour de la proclamation du Califat, un match de Coupe du monde… Les questions fusaient mais ça n’avançait guère.

« Dites-nous la vérité, vous êtes vraiment allé en Syrie ? reprit le président, dubitatif. C’était pour aller récupérer votre fils parce que vous saviez qu’il combattait? Vous saviez à ce moment-là que l’État islamique existait? Car il y a ce que dit le dossier, et ce qu’il y a dans la presse…

– Je suis allé en Syrie pour essayer de ramener Samy, affirma son père. Mais il n’y avait pas trop d’échanges entre nous. Je suis resté quatre jours. Entre Manbij et Jarablus.

– Vous lui avez dit pourquoi vous veniez ?

– Surtout pas! Ça se serait mal passé… je voulais y aller doucement. Samy pensait que j’avais des arrière-pensées. J’avais l’impression de l’ennuyer. Il m’envoyait balader quand j’essayais de communiquer… »

En Syrie, Azdyne Amimour comprend que son fils a été enrôlé par l’État islamique, on lui dit même sur place que Samy a intégré « une katiba de héros », en clair un bataillon de choc. Là-bas, il retrouve son gamin blessé aux jambes par un obus. Mais il a face à lui « un étranger » à qui il n’ose plus parler : « Il y avait une froideur. J’ai compris qu’il était complètement lobotomisé.

– Et sa blessure, vous l’évoquez ? insista le président Périès.

– Il ne répondait pas… Je sentais qu’il était sous influence, mais j’avais espoir qu’il reprenne la discussion avec moi.

– Mais s’il ne parlait pas, alors quel espoir aviez-vous? Vous étiez résigné ? C’était un peu perdu pour vous, non?

– En fait, j’étais malade, je voulais d’abord partir de Syrie. Pour revenir ensuite. Mais je ne suis pas revenu. Il y avait des bombardements. Et puis dans ma tête, c’était : “Ils ont tellement impliqué mon fils qu’il ne pourra plus jamais faire marche arrière.” Mais je n’ai jamais pensé qu’il rentre[1]rait pour faire ce qu’il a fait…, ponctua Azdyne Amimour, désolé.

– Et la vidéo en Syrie où on voit votre fils en train de décapiter des otages, longuement, vous l’avez vue ?

– Non, on m’en a parlé. Je ne pouvais pas imaginer… »

Un gouffre se creusait, inexorablement, presque matérialisé par le dispositif spatial de la cour d’assises. En surplomb, à un mètre de haut, il y avait les neuf magistrats et les trois avocats généraux, leur langage soutenu, érudit, leurs questions comme autant de flèches décochées, elles pleuvaient, légitimes, précises, elles étaient sèches aussi, cinglantes, accusatrices parfois. En contrebas, sous leurs yeux sévères, le témoin encaissait, accablé de culpabilité, celle que l’on a peine à avouer, la culpabilité du père désarmé, impuissant à agir, « Peut-être que j’ai failli quelque part… » lâcha-t‑il dans un souffle navré, comme s’il avait espéré à ce moment-là qu’on allait l’épargner. Mais non.

« Comment votre fils, que vous décrivez comme un gentil garçon, a-t-il pu égorger des prisonniers et tirer sur tout le monde au Bataclan? Vous dites qu’il était influençable. Mais vous, apparemment, vous n’avez pas eu beaucoup d’influence sur lui…, décréta Xavière Simeoni, assise à la gauche du président Périès.

– Non…, concéda Azdyne Amimour, presque éteint. Je n’ai jamais voulu brusquer mes enfants… »

Boxé par les mots, ceux des éloquents, leur morale, les admonestations, le père Amimour avait fini par plier littéralement, physiquement. Il y avait une chaise à côté de lui, une chaise sur laquelle il s’affaissa. « Et pourquoi n’avez-vous pas coupé internet? reprirent des avocats de parties civiles. Et pourquoi n’avez-vous pas demandé conseil à un imam?… Quel traumatisme a eu votre fils dans son enfance ?… On a le sentiment que vous avez fermé les yeux, vous étiez dans le déni?… Et si c’était à refaire, qu’est-ce que vous changeriez ? » En réponse, invariablement, le vieil homme répliquait : « Je n’ai rien vu venir, je n’ai pas compris, je n’ai pas su dire, je n’ai pas su faire… »

Extrait du livre de Guillaume Auda, « Jeunes à crever Attentats du 13-novembre : un procès, une génération », publié aux éditions du Cherche Midi

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