Modèle social, crise structurelle ou crise économique... Qui est responsable de la débâcle européenne de l'automobile ?<!-- --> | Atlantico.fr
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PSA Peugeot Citroën sortira le 24 septembre du CAC 40, l'indice phare de la Bourse de Paris, où l'entreprise était cotée depuis 1987.
PSA Peugeot Citroën sortira le 24 septembre du CAC 40, l'indice phare de la Bourse de Paris, où l'entreprise était cotée depuis 1987.
©Reuters

Agonie

L'usine Peugeot à Sochaux fête cette semaine son centenaire. L'entreprise prévoit des festivités, mais le groupe PSA n'a pas la tête à la fête : Euronext a annoncé jeudi sa sortie du CAC 40. Une sanction révélatrice des difficultés de l'industrie automobile française.

Hubert Bonin

Hubert Bonin

Professeur d'histoire économique à Sciences Po Bordeaux.

Chercheur au Groupe de recherche en économie théorique et appliquée du CNRS de Bordeaux.

 

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Plus qu’une « crise » unique, la crise de l’industrie automobile européenne est une succession de « répliques » d’une secousse sismique enclenchée depuis une demi-douzaine d’années, même si des chocs violents interviennent de temps à autre, avec des éruptions de colère sociale et de grandiloquence politicienne.

La cause première est bien identifiée par les experts du Gerpisa, groupement universitaire mondial localisé à Cachan : quand l’Europe orientale et centrale a rejoint l’économie de marché, tous les experts des cercles académiques et des entreprises ont prédit un énorme élargissement des débouchés, grâce à l’enrichissement des classes moyennes de ces pays. La Trabant et autres Lada allaient laisser place à des voitures « modernes ». On a renouvelé et étendu des usines (Skoda) et surtout on a créé de nombreuses autres, en particulier pour des modèles bas de gamme et moyen de gamme (Skoda). En fait, malgré quelques bruissements et une relative prospérité ici et là (en Pologne, surtout), le phénomène turc ne s’est pas réalisé : la voiture ne progresse que lentement, à cause des tensions sur le pouvoir d’achat local et de la crise récente. Ainsi, en Russie, dorénavant le seul espoir fort des constructeurs (Renault, Ford, etc.), la montée en puissance du marché s’est avérée lente, sur vingt ans, et on prévoit que c’est seulement vers la fin de la décennie que le marché se sera véritablement structuré autour de plusieurs axes de débouchés.

La deuxième cause réside dans la faible prise en compte du tsunami provoqué par l’ample processus de mise en concurrence. Les « mauvais » acteurs n’ont pas été éliminés comme il aurait fallu en bonne logique « néo-libérale ». Seules Saab en Suède et la partie « banale » de Rover (les berlines) ont été balayées ; mais des repreneurs asiatiques ont sauvé Jaguar et Land-Rover ; GM porte Opel à bout de bras en la refinançant chaque année pour combler ses pertes ; et Volkswagen maintient en survie Seat en Espagne. On n’a pas dépassé le simple constat, tant rappelé par le patron de Fiat, de la nécessité d’une concentration massive et/ou de l’élimination de certains acteurs. C’est qu'on ne balaye pas ainsi des acteurs et symboles des économies nationales, porteurs du drapeau de la fierté manufacturière !

La troisième cause est co-substantiellement liée aux deux précédentes : l’intensité de la concurrence s’est tellement élevée que le baromètre indiquant « tempête » a explosé ! La « délocalisation » de l’Asie vers l’Europe – reprenant celle effectuée par les constructeurs américains dans l’entre-deux-guerres, et si l’on entend par « délocalisation » la volonté de conquérir des parts de marché sur des marchés considérés comme « neufs » pour le constructeur concerné – a créé nombre d’usines ultra modernes et riches d’une main-d’œuvre jeune et peu formatée par le syndicalisme historique donc à tendance souvent « corporatiste » et hostile à toute flexibilité du temps de travail annuel. Toyota et Nissan, maintenant aussi les groupes sud-coréens, ont fait fleurir leurs usines, comme à Valenciennes en France. Et des groupes français ont été « complices » de ce mouvement, en s’associant à des constructeurs pour des usines en commun à l’Est.

C’est là d’ailleurs qu’on peut parler d’une véritable délocalisation, quatrième cause des tensions actuelles. Renault et Peugeot ont installé des lignes de production (pour des petites voitures) en Europe centrale et en Turquie, avant celle du Maroc, récemment ouverte pour des Logan. Des tonnes de textes ont été écrits sur les avantages salariaux comparatifs, et l’affaire est close : on ne produira plus jamais l’équivalent des 2cv, 4L ou Coccinelle en Europe occidentale, et même le clone redessiné à la mode et monté en gamme de la Fiat 500 est fabriqué en Pologne.

À ces causes exprimant des tendances irréversibles et, donc, des « répliques » du choc structurel des forces de l’économie automobile en Europe s’ajoute depuis plusieurs semestres une cinquième cause, la récession. Or, après le choc de 2007-2008, on avait cru échapper à la courbe en L et s’orienter vers une courbe en V, signe d’une sortie de crise ; mais on s’aperçoit depuis cette année qu’on s’oriente vers la fameuse courbe en W : c’est la rechute ! Le marché espagnol s’est contracté de moitié ; les autres vacillent ; Renault et Peugeot voient leurs ventes en France s’éroder de plus en plus fortement ; et les PME et TPE rechignent à commander des petits véhicules utilitaires.

Phénomènes structurels et conjoncturels se conjuguent pour assécher le marché : partout, il se craquelle de fissures qui peuvent l’entraîner vers un affaissement profond. On a recouru à toutes les « variables d’ajustement » : chômage partiel, vacances anticipées obligatoires, plans sociaux, rognage des CDD et intérims, blocage des salaires, redéploiement de salariés des usines en crise vers des usines moins perturbées, etc. Mais tous les experts, les patrons, les responsables syndicaux et les gouvernements ont bien conscience que la conjonction des causes et des crises (structurelles et conjoncturelle) exigerait de fermer définitivement une demi-douzaine ou une huitaine d’usines (une ou deux par grand pays : France, Allemagne, Italie, Espagne), donc de frapper dans le « dur », après avoir éliminé le « mou » (= taillé insensiblement dans les effectifs pendant plusieurs semestres). Ce seraient dès lors 12/18 000 à 16/24 000 postes qu’il faudrait supprimer, donc. Mais qui en prendrait la responsabilité politique et le risque social, en ces temps de « rentrée chaude » et, surtout, d’élections (Allemagne) ou de majorité fragile (Italie) ou incertaine dans sa philosophie d’action économique (France, Espagne) ?

Une fois de plus, on constatera et déplorera que l’Europe ne s’est dotée d’aucune structure réelle de réflexion stratégique sur l’industrie, la concurrence, l’ouverture commerciale – comme on l’a vu à propos du récent accord avec la Corée pour faciliter les exportations de voitures coréennes. C’est bel et bien une sixième cause qu’il faut soulever pour cette crise, une « crise de l’intelligence », de l’anticipation et de la planification. L’Union européenne a prôné libéralisation, compétition, ouverture, autorégulation ; mais le prix à en payer est la mise en concurrence des usines et des constructeurs. Du cimetière des entreprises et usines britanniques (Blmc-Rover, Chrysler-Peugeot UK, usines de montage Ford, etc.) a émergé le Phénix des usines japonaises outre-Manche : on a détruit avant de construire. Mais est-on prêt à payer partout le prix politique et social de ce « chaos créatif » cher à Schumpeter ?

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