Mode islamique, une crise d’hystérie française ? Ce piège dans lequel nous nous sommes pris nous-mêmes à force de relativisme, de paternalisme et de victimisation des musulmans<!-- --> | Atlantico.fr
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Un défile de "mode islamique".
Un défile de "mode islamique".
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Et maintenant, on fait quoi ?

En assimilant le port du voile à l'asservissement de la femme, Manuel Valls fait écho aux propos tenus ces derniers jours par Laurence Rossignol et Elisabeth Badinter. La question qui se pose désormais est celle de la façon dont doit être repensée la liberté religieuse dans le cadre de la loi 1905.

François Jourdan

François Jourdan

Le père François Jourdan est prêtre eudiste, islamologue, docteur en théologie, en histoire des religions et en anthropologie religieuse. Il a enseigné la mystique islamique à l'Institut Pontifical d'Études Arabes et islamiques de Rome (1994-1998), et l'islamologie pendant 15 ans à l'Institut Catholique de Paris, et 10 ans à l'École Cathédrale. Il fut délégué du diocèse de Paris pour les relations avec l'islam (1998-2008).

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Mathieu Bock-Côté

Mathieu Bock-Côté

Sociologue, enseignant, essayiste et chroniqueur québécois. Mathieu Bock-Côté a publié en 2016 Le multiculturalisme comme religion politique, aux éditions du Cerf.

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Olivier Roy

Olivier Roy

Olivier Roy est un politologue français, spécialiste de l'islam.

Il dirige le Programme méditerranéen à l'Institut universitaire européen de Florence en Italie. Il est l'auteur notamment de Généalogie de l'IslamismeSon dernier livre, Le djihad et la mort, est paru en octobre aux éditions du Seuil. 

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Atlantico : Lundi 4 avril, Manuel Valls a déclaré que "le voile (n'était) pas un objet de mode, (mais) un asservissement de la femme". Ces propos font suite à la polémique sur la mode islamique qui a commencé mercredi dernier lorsque la ministre de la Famille et des Droits des femmes, Laurence Rossignol, jugeait "irresponsables" les marques de prêt à porter qui se lancent sur le créneau porteur de la "mode islamique". Dans son sillage, Elisabeth Badinter a quant à elle appelé à boycotter ces enseignes. Ces attitudes ne sont-elles pas surprenantes, alors qu'on valorise depuis plus de 30 ans les apports culturels de l'immigration en France ?

Olivier Roy : Cela n’a rien à voir avec l’immigration : les grands-mères immigrées et voilées ne posaient aucun problème, pas plus que les fichus que l’on ramenait du bled. Le problème dénoncé par la ministre est le voile occidental mis en place par des enseignes de mode occidentales, et porté par des jeunes filles complètement occidentalisées qui font cela dans une démarche de retour personnel vers la religion. On ne peut pas dire que ces filles-là agissent sous la pression de leurs pères, de leurs frères ou de leurs maris : c’est un choix religieux de porter un voile (pas une burqa évidemment), pas du tout une tradition culturelle. Dénoncer l’aliénation de ces femmes ne fait aucun sens. Elles ne sont pas aliénées, elles ont fait un choix.Ou alors, si on suit cette logique, on doit considérer que toute adoption de pratique religieuse est une aliénation et ainsi que les bonnes sœurs, les moines ou encore les curés qui s’interdisent le mariage sont aliénés. Une telle position correspond à la conception de la révolution française qui a interdit les monastères et les ordres religieux. Mais aujourd’hui, la liberté religieuse est inscrite dans la Constitution, il n’y a donc aucune raison d’interdire le voile porté volontairement par une jeune femme.

Mathieu Bock-Côté : Nuançons : les élites médiatiques et intellectuelles valorisent sans cesse ce qu’elles appellent la diversité, mais le commun des mortels voit les choses autrement et s’inquiète surtout de la fragmentation sociale. Si on avait soumis la question de l’immigration massive à la population par référendum, je ne suis pas certain qu’on aurait assisté à un Oui enthousiaste. On peut croire que désormais, une partie des élites, qui respectait le consensus multiculturaliste ou du moins, qui s’y soumettait en le critiquant seulement aux marges, en fait directement le procès. Êtes-vous favorable ou non au multiculturalisme : c’est un peu la question à laquelle chaque acteur politique, aujourd’hui, doit répondre. 

Les gens que vous mentionnez comprennent ou feignent de comprendre que de reculade en reculade, c’est la capacité des sociétés européennes d’imposer leurs propres normes qui faiblit. On peut y voir un sursaut. Un sursaut tardif, certainement, et un sursaut qui est peut-être davantage un cri de désespoir qu’un appel à la vigueur politique. Car on se demandera de bon droit s’il n’est pas trop tard : c’est en bonne partie la démographie qui commande le destin des sociétés. Mais pourtant, de cette réaction, on ne se désolera pas. C’est un peu comme si le multiculturalisme était allé si loin que la décence élémentaire voulait désormais qu’on lui résiste et surtout, qu’on résiste à ses manifestations les plus ostentatoires. La question identitaire, qui s’impose dans toutes les sociétés occidentales, n’est pas le fruit de l’imaginaire paranoïaque de l’extrême-droite : elle n’est qu’une prise de conscience qu’une société n’est pas qu’un artifice juridique et qu’elle ne peut pas durablement oblitérer son histoire et sa culture sans finir par se dissoudre et renier sa meilleure part.

François Jourdan : Le mercantilisme n’a rien à faire des considérations culturelles, morales  ou religieuses, pourvu qu’il gagne de l’argent. Ici c’est l’argent qui prime, hélas.

En quoi l'immigration massive en provenance de pays de culture musulmane se distingue-t-elle des précédentes vagues ? N'a-t-on pas eu tort de laisser croire que celle-ci serait intégrée comme les autres (par exemple les Italiens arrivés au début du XXème siècle ou encore les Espagnols, dont une partie sont retournés dans leurs pays depuis) ?

Olivier Roy : Vous oubliez une émigration : celle des juifs. Au début du siècle dernier, ils ont fait l’objet d’une grande campagne selon laquelle ils n’étaient pas intégrables pour des raisons religieuses. Les musulmans sont donc la deuxième immigration à laquelle est reprochée son impossibilité d’intégration pour des raisons religieuses. L’idée était que l’on pouvait intégrer les Italiens et les Espagnols parce qu’ils étaient chrétiens tandis que les juifs d’abord, et les musulmans maintenant, ne sont pas intégrables parce qu’ils doivent leur loyauté à une communauté religieuse supranationale. Et puis finalement, l’intégration des juifs a très bien fonctionné. 

Pour les musulmans on est face au même phénomène sauf que contrairement à l’émigration de type italienne ou espagnole, l’intégration a lieu en deux temps : le premier temps est celui de la déculturation, c’est-à-dire le temps où la culture d’origine disparait, et le second est celui de la reformulation du religieux, c’est-à-dire que le religieux n’est plus pensé en termes culturels mais se formule dans un contexte occidental moderne, (cela prend des formes très variées : ça peut être le Macdo halal ou encore le voile fashion de l’executive woman). 

Mathieu Bock-Côté : C’est l’étrange dogme qui domine notre temps qui se prétend ouvert à la diversité : celui de l’interchangeabilité des cultures. On les amalgame dans la figure de l’Autre, à qui il faudrait toujours s’ouvrir. Mais voilà, tous les autres ne sont pas semblables. Il y a une telle chose, entre les peuples, que la proximité ou la distance culturelle et civilisationnelle, même si la sociologie antiraciste hégémonique dans les universités a cherché à censurer cette réalité en la présentant sous le signe du racisme différentialiste. Aujourd’hui, nous devons nous libérer de ce vocabulaire politiquement correct qui vise moins à révéler le réel qu’à déposer sur lui une opaque couche de mots mensongers. Évidemment, selon qu’on partage les mêmes références civilisationnelles ou non, selon qu’on partage les mêmes mœurs ou non, aussi, on ne s’intègre pas de la même manière à une nation. On a travaillé très fort à rendre cette évidence impensable pendant quelques décennies. 

Vous me demandez pourquoi l’intégration ne fonctionne pas : tout simplement parce que les peuples ne sont pas simplement des populations interchangeables se soumettant à des procédés d’ingénierie sociale. On ajoutera un effet de nombre : l’immigration massive ne met plus en scène des individus, mais des communautés qui n’entendent pas se dissoudre ou même prendre le pli du pays où elles arrivent. J’ajouterais que la révolution des communications comme la révolution des droits rendent beaucoup plus difficile qu’auparavant l’intégration. Dans le premier cas, elle favorise la connexion entre l’immigré et sa culture d’origine. Dans le second cas, elle pousse à délégitimer les politiques et les processus sociaux qui poussaient traditionnellement à l’assimilation, en les présentant comme tout autant de discriminations illégitimes qu’il faudrait empêcher et déconstruire. 

François Jourdan : Le Coran n’est pas compatible avec la laïcité puisque ‘L’islam doit supplanter toutes les autres religions’ (48,28) et le verset suivant déclare ‘Ceux qui sont avec Muhammad sont durs envers les mécréants, miséricordieux entre eux’, et ‘Qui désire une autre religion que l’islam ne sera point agréé’ (3,85). Le roi Hassan II à Anne Sinclair et Erdogan plus récemment ont rejeté l’intégration de leurs ressortissants en Europe, et ce ne sont pas des djihadistes. Donc la charia (organisation islamique de la société) est prévue dans la tête de tous les musulmans, même s’ils ne le disent pas pour ne pas effrayer les pays d’accueil ; et déjà ils l’appliquent en forçant les conversions à l’islam des non-musulmans qui épousent des musulmans en France. Mais, chut ! Il ne faut pas le dire (pour le moment) : ironiquement soyons pacifistes, pour le moment (après nous le Déluge !) sans résoudre les problèmes qui exploseront plus tard à notre prétendue grande surprise !

L'idéologie relativiste qui prime depuis des décennies - selon laquelle toutes les cultures se valent, l'islam est une religion "de paix et d'amour" comme une autre, etc. - n'entre-t-elle pas en contradiction avec le fait de stigmatiser les choix vestimentaires faits par certaines femmes pour des raisons identitaires ou religieuses ? N'est-il pas paradoxal de nier ainsi leur liberté de conscience, alors même qu'on valorise depuis des décennies la liberté de pensée et celle d'aller et venir ? Comment sortir de nos contradictions et ambiguïtés ? Quelles sont les vraies questions qu’il conviendrait de trancher ?

Olivier Roy : L’idée de l’égalité des cultures en dignité a par exemple été défendue par Claude Levi Strauss et l’UNESCO dans les années 1950. C’est une idée qui vient de l’anthropologie et qui montre que d’un point de vue axiologique, philosophique, il n’y a aucune raison de faire une hiérarchie des cultures. Elle repose bien entendu sur le concept de culture, d’où le multiculturalisme, idée que plusieurs cultures cohabitent sur le même espace ou dans une même société. Or, nous ne sommes pas dans une société multiculturaliste. Le multiculturalisme est une illusion, non pas à cause du "multi" mais à cause du "culture". Les cultures d’origine s’effacent (elles mettent plus ou moins longtemps) dans un processus d’acculturation (c’est-à-dire d’occidentalisation) comme on le voit très nettement chez les 2e-3e génération dans la langue, la tenue vestimentaire, les habitudes alimentaires etc. Du fait de cette homogénéisation, le marqueur religieux se trouve isolé. 

Le problème aujourd’hui n’est pas la multiplicité des cultures, il est de savoir que faire de ce marqueur religieux. Le marqueur religieux est repris dans un contexte de droits de l’homme et de la femme occidental, c’est-à-dire de liberté religieuse. La liberté religieuse n’est pas collective mais individuelle : ce ne sont pas les musulmans qui se présentent comme tels ; mais des individus qui se disent musulmans et qui chacun mettent en avant de manière très variée les marqueurs religieux. Cela donne lieu à des formes libérales, des formes fondamentalistes comme les salafistes, des formes purement identitaires (cela concerne ceux qui font le Ramadan un jour, prient une fois ou deux  par an et boivent de l’alcool le reste du temps) : on a là toute la gamme des recompositions du marqueur religieux avec la vie quotidienne tout comme il y a dans le christianisme des intégristes, des gens très croyants mais pas intégristes, des gens croyants mais pas pratiquants, des chrétiens identitaires etc. Avec les musulmans, on retrouve la même gamme que dans les autres religions.

Mathieu Bock-Côté : Nous sortons en fait peut-être – et je dis bien peut-être – d’un certain angélisme. Nous croyons de moins en moins que la diversité en soi est une richesse, et lorsqu’on nous demande de nous ouvrir à l’autre, nous voulons savoir de quel autre et de combien d’autres il s’agit. En fait, il se peut bien que nous n’y ayons jamais cru, mais aujourd’hui, nous craignons moins ceux qui nous imposent cette conviction de force. Le politiquement correct parvient moins facilement qu’autrefois à faire taire ses contradicteurs, même s’il n’est pas complètement désarmé pour autant, loin de là. Ce qu’on comprend, en fait, de plus en plus clairement, c’est qu’une nation n’est pas qu’un artifice juridique : c’est une communauté de mémoire et de culture. Elle n’est pas faite que de droits mutuellement reconnus : c’est aussi une communauté de mœurs. C’est pourquoi les questions liées à la laïcité et l’égalité hommes-femmes prennent aujourd’hui une telle importance : c’est qu’à travers elles, on peut penser cette question des mœurs. C’est peut-être la présence massive de l’Islam et des mœurs qui lui sont associées qui provoque aujourd’hui cette réaction vive. La mode islamisée témoigne d’un communautarisme décomplexé qui n’entend plus se plier aux mœurs de la société d’accueil mais qui entend plutôt les soumettre à de nouvelles normes. Autrement dit, l’Islam entend s’installer durablement à ses propres conditions en France et en Europe et ne plus respecter le principe premier de l’hospitalité : à Rome, on fait comme les Romains. C’est le multiculturalisme au sens strict, soit l’inversion du devoir d’intégration. Évidemment, les choses deviennent compliquées quand les Romains eux-mêmes ne veulent plus faire comme les Romains et expliquent que Rome n’est qu’une surface plane sans identité historique particulière.

François Jourdan : Pour sortir de nos problèmes il faut s’attacher à la vérité dans le respect des personnes qui, elles-mêmes, manquent gravement de liberté en islam et dans leurs milieux musulmans. On est dans la confusion. Ils protestent contre les stigmatisations mais sont les premiers à s’afficher en contexte laïque. On nous dit que l’islam est la religion de la paix et de l’amour mais Franck Ribéry s’est converti à l’islam pour épouser une algérienne, et il appelle son premier fils ‘Sayf al silam’ (Sabre de l’islam, prénom d’un des fils de Kadhafi)… Nous devons refuser le laïcisme, idéologie laïcarde gravement handicapée pour comprendre les religions, mais nous devons nous tenir tous à la laïcité non seulement de l’Etat mais aussi de la société (discrétion de la visibilité des religions par respect les unes pour les autres), sinon nous ouvrons la boîte de Pandore de graves conflits de société à venir.

Dans quelle mesure nous sommes-nous piégés nous-mêmes en acceptant trop d'entailles au pacte républicain de la part de l'islam tout en faisant preuve d'une raideur excessive sur des questions plus symboliques, comme le port du voile ? Après avoir tout fait pour que les musulmans se considèrent comme des victimes, une attitude aussi brutale ne risque-t-elle pas de faire basculer les plus modérés et de nous mener tout droit à la guerre civile ? N'est-ce pas aux musulmans de mener le combat pour faire évoluer l'islam plutôt qu'à des "Français de souche" ?

Olivier Roy : Il n’y a pas d’entailles au pacte républicain. La République n’a jamais fait de concessions contrairement à d’autres pays comme la Grande-Bretagne ou encore la Hollande à un moment donné (même si ça a changé aujourd’hui). La République n’a jamais donné de droits spéciaux aux musulmans pas plus qu’elle n’a accepté l’exception musulmane. Les mosquées ont été gérées dans le cadre de la loi générale avec parfois des entorses avec les maires locaux mais les tribunaux sont là pour rappeler le droit général ; il n’y a pas de menu halal en France (il existe à la rigueur des menus sans porc ou végétariens) ; le voile a été interdit à l’école, la burqa est interdite, il n’y a pas d’enseignement religieux. La République n’a en fait jamais pactisé avec l’Islam, c’est un grand mythe. 

Le problème est que l’on est maintenant dans la situation inverse : au lieu de gérer l’Islam dans le cadre de la gestion de toute religion, on applique à l’Islam un statut spécial. Par exemple, on ne fait pas la chasse aux femmes loubavitch qui portent une perruque alors que l’on pourrait considérer que se raser le crâne est une forme d’aliénation. Cette focalisation sur l’Islam nous permet néanmoins de constater qu’il existe aujourd’hui une réaction générale antireligieuse que l’on trouve par exemple dans l’affaire du Cardinal Barbarin : indépendamment du contenu du dossier  juridique, il est indéniable qu’il y a dans la presse une forme d’exultation à l’idée de "se faire" Barbarin qui est l’homme qui s’est opposé au mariage pour tous. 

La République ne fait pas des concessions à la religion. En ce moment, au contraire, la lecture idéologique de la laïcité exerce une grande pression sur toutes les religions. Par exemple, on demande aux musulmans mais aussi aux juifs ultra-orthodoxes de s’adapter à la convivialité française en particulier celle de serrer les mains des femmes. Aucun traitement de faveur n'est accordé à l’islam mais la crispation sur l’Islam reflète une crispation religieuse générale. Il y a aujourd’hui une victimisation de tous les religieux (toutes les communautés de foi se disent victime). Et en même temps, la République se dit victime de la religion. Il y a donc bien un problème. La question qui se pose en France aujourd’hui est la façon dont il faut repenser la liberté religieuse dans le cadre de la loi 1905 et la Constitution. Cela vaut pour toutes les religions. Il s’agit donc peut être de mettre fin à des formes d’exhibitionnisme religieux que l’on trouve dans d’autres religions que l’Islam. La question n’est pas cependant de traiter les religions sur un pied d’égalité, car il est évident qu’en France l’Eglise catholique a un statut supérieur (par exemple, dans l’armée française, il y a un évêque aux armées alors que les trois autres religions ont un chef aumônier, les églises en tant que bâtiments ont un traitement de faveur que n’ont ni les temples, ni les synagogues, ni les mosquées), ces privilèges de l’Eglise catholique sont des privilèges d’ancienneté et qui se justifient  au regard de l’histoire. 

Mathieu Bock-Côté : Je ne vois pas les choses comme vous. Je ne crois pas que la France fasse preuve d’une raideur excessive à propos du voile. Si le voile a pris tant d’importance dans nos sociétés, c’est qu’il est effectivement très important. Il exprime publiquement un communautarisme militant. Évidemment, on ne mettra pas en place une police du voile dans la rue, ce serait absurde, insensé et grossier. Mais le discours social n’a pas pour autant à la légitimer, à l’encourager, à le normaliser, à le banaliser (et j’ajoute qu’il va de soi qu’on peut bannir dans la rue le voile intégral). Mais on constate encore une fois qu’un certain capitalisme ne manque jamais une occasion de se déployer sur les ruines laissées par l’idéologie libertaire et multiculturaliste, en transformant chaque désir, caprice et revendication en occasion d’affaire. Par ailleurs, je trouve insensé l’idée qu’une société d’accueil pousserait consciemment ou inconsciemment à la guerre civile en rappelant simplement la prévalence de ses mœurs chez elle, en rappelant à ceux qui se joignent à un pays qu’ils doivent s’y plier et envoyer un signal clair de désir d’intégration. 

François Jourdan : Tout le monde a du travail à faire sur soi-même. Le voile porte atteinte à la laïcité sociale et culturelle : il manifeste publiquement un refus d’intégration (qui est dans la logique coranique et appuyé par les politiques comme ceux cités plus haut). Le "victimisme", pour nous apitoyer et nous forcer la main, est un comportement profondément islamique et opportuniste. Après les débuts de notre série d’attentats, quelques rares musulmans commencent à vouloir s’en démarquer car c’est une manière d’éviter de s’attaquer à résoudre les problèmes réels.

Comment éviter le renoncement consistant à chercher des "arrangements raisonnables" tout en assumant le fait d'avoir accueilli des millions de gens qui ont des schémas mentaux et idéologiques différents des nôtres ? 

Olivier Roy : La France ne fait pas d’arrangement raisonnable. Notre laïcité se définit par le refus des arrangements raisonnables. Le voile des bonnes sœurs était encore accepté il y a 50 ans. En voulant interdire le voile des musulmanes, on est dans une période de restriction et non d’élargissement. On n’est pas passé d’une interdiction de la cornette à une autorisation du voile mais d’une banalité de la cornette à une "extraordinarité" du voile. 

Les millions de gens dont vous parlez n’ont pas un logiciel idéologique et religieux commun, la preuve en est que ceux qui sont le plus opposés au voile sont d’origine musulmane. Il ne fait aucune sens de parler de "musulmans contre des Français de souche" : il suffit de regarder les noms au abs de toutes les pétitions qui circulent aujourd’hui dans tous les sens.

Mathieu Bock-Côté : Il ne faut tout simplement pas désespérer de l’intégration. Évidemment, l’habillement de chacun relève de ses préférences, de ses goûts, de ses désirs. Mais on ne peut faire semblant que la manière qu’on a de se vêtir n’a aucune signification sociale. Le voile est à bien des égards un symbole d’exhibitionnisme identitaire : il témoigne d’un désir explicite de non-intégration à la société d’accueil. Il est bien moins spirituel que politique. Il s’agit d’une frontière bien visible entre celle qui le porte et la société à laquelle elle appartient. En un mot, il faut intégrer là où c’est encore possible de le faire. Ce n’est pas de la crispation identitaire, ce n’est pas du repli sur soi. Cela consiste tout simplement à refuser de banaliser au nom de la simple rationalité commerciale et de la logique des droits de l’homme la dénationalisation de la France.

François Jourdan : Il faut exiger comme non négociable la liberté religieuse sous peine d’avoir à terme à gérer de très graves affrontements dans notre société. Or la liberté religieuse va toucher aux fondements du Coran puisque ‘la religion pour Dieu c’est l’islam’ (3,19) et que Muhammad a été chef religieux militaire et politique tout à la fois, et que Dieu à qui rien ne doit résister, doit gérer tout (le cosmos et toute la vie humaine. Cela met en cause le lien politique et religion, congénital en islam. Sans attendre que les musulmans soient encore plus nombreux en France, et donc fassent plus bloc contre toute réforme, il nous faut mettre en débat chez eux aujourd’hui cette liberté pour qu’ils finissent par l’accepter (ce qu’ils acceptent en parole mais sans travail réel et donc de pure forme pour nous calmer). Les non-musulmans ont à aider les musulmans à faire un chemin qu’ils ne peuvent pas faire par eux-mêmes. C’est un travail de non-violence par la force de la vérité (satyagraha de Gandhi), une grande force libératrice.

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