Mixité sociale : la grande illusion des politiques de peuplement (et les réalités déplaisantes derrière "l’apartheid" dénoncé par Manuel Valls)<!-- --> | Atlantico.fr
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La mixité sociale est-elle possible ?
La mixité sociale est-elle possible ?
©Reuters

Double jeu

Alors que Manuel Valls annonce ses mesures contre la "ghettoïsation", un point sur les politiques publiques déjà menées en ce sens montre combien l'exercice est délicat, si ce n'est chimérique. Une question qui en réalité sert surtout une autre ambition : celle de la mixité ethnique.

Laurent Chalard

Laurent Chalard

Laurent Chalard est géographe-consultant, membre du think tank European Centre for International Affairs.

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Michèle Tribalat

Michèle Tribalat

Michèle Tribalat est démographe, spécialisée dans le domaine de l'immigration. Elle a notamment écrit Assimilation : la fin du modèle français aux éditions du Toucan (2013). Son dernier ouvrage Immigration, idéologie et souci de la vérité vient d'être publié (éditions de l'Artilleur). Son site : www.micheletribalat.fr

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Dans sa politique de peuplement, Manuel Valls a annoncé que le gouvernement allait limiter la construction de logements sociaux dans les 1500 quartiers prioritaires de la politique de la ville en comptant déjà au moins 50%. Les bénéficiaires les plus pauvres du droit au logement n'iront plus dans ces mêmes quartiers. Est-ce suffisant pour éviter les villes-ghettos ?

Laurent Chalard : Si, au premier abord, cette mesure, qui relève du bon sens, semble aller dans la bonne direction, il n’en demeure pas moins que dans les faits, elle serait totalement inefficace pour la simple raison que la quasi-totalité des 1500 quartiers prioritaires sont des quartiers anciens, où les constructions de logements (sociaux ou non) sont peu nombreuses. En gros, cette décision ne ferait qu’entériner une situation déjà existante sur le terrain, la diminution du pourcentage de logements sociaux dans ces quartiers suite aux opérations ANRU. En fait, le gouvernement Valls se trompe d’échelle, c’est à l’échelle communale qu’il faut limiter le pourcentage de logements sociaux et non à celle du quartier, pour empêcher la formation de communes-ghettos, la paupérisation finissant par toucher l’ensemble du parc de logements communal, y compris celui privé, la Seine-Saint-Denis en constituant un exemple-type. Or, de nombreuses communes populaires continuent de construire des logements sociaux dans les nouveaux quartiers de leur territoire, par électoralisme, alors qu’elles en ont déjà beaucoup trop. Cependant, il ne faut pas se faire d’illusion, même si cette politique était appliquée à la bonne échelle, les tendances à l’entre-soi sont tellement fortes que son efficacité serait limitée.

Est-ce en imposant des pourcentages minimums de logements sociaux dans les communes que l'on va favoriser la mixité sociale ?

Laurent Chalard : Ces politiques ne fonctionnent pas car les gens parviennent toujours à contourner les lois et à s'installer ailleurs. En outre, les logements sociaux sont très diversifiés : il y a le haut de gamme et le bas de gamme. Or, on se doute bien que les communes aisées vont construire uniquement du logement social de qualité alors que les plus pauvres auront tendance à faire du très social, souvent dans une logique électoraliste.

Le Premier ministre a également prévu d'élargir la base de recrutement des collèges. Quels effets peut-on raisonnablement en attendre ?

Laurent Chalard : Comme bien souvent avec ce genre de politique, en théorie, cela peut fonctionner, mais en pratique, c’est beaucoup moins sûr, si l’on en tire les enseignements de la politique de busing aux Etats-Unis mis en place en 1971, qui avait pour objectif de transporter les enfants des ghettos noirs vers les écoles des quartiers blancs. A l’arrivée, les blancs ont soit quitté massivement les villes pour de lointaines périphéries éloignées de toute présence scolaire noire ou ont soit mis leurs enfants dans les écoles privées, qui ont proliféré. Il s’en est suivi un effondrement de l’école publique dans les villes concernées et la politique de busing a fini par être abandonnée car jugée inefficace. En conséquence, l’application de cette politique en France risquerait d’affaiblir encore plus l’école publique dans les quartiers de banlieue où elle fonctionne encore correctement par fuite des meilleurs éléments vers le privé.

Peut-on parler d’un aveuglement politique sur cette question de mixité sociale… ou d’un malentendu quant à l’objectif recherché ?

Laurent Chalard : Les politiques, au-delà de l'opposition gauche-droite, ont tendance à chercher des réponses simples à des problèmes qui ne le sont pas. Quand on constate les disparités socio-spatiales, il est effectivement évident que la situation paraît  mauvaise, avec d'un côté les pauvres, de l'autre les riches et au milieu les zones intermédiaires, sans que ces populations se mélangent. Mais il y a un manque de pragmatisme total : la mixité sociale repose sur un mythe, c’est-à-dire la possibilité que l'on puisse faire vivre dans un même quartier et des mêmes immeubles des populations socialement différentes, c’est-à-dire à la fois des gens pauvres et riches. Sans oublier une mixité non-dite : la mixité ethnique. On recherche en réalité une mixité ethno-sociale.

Or, elle est difficile à mettre en place car l'être humain a tendance à préférer vivre avec ses semblables, c'est une caractéristique universelle. C'est pourquoi les migrants pauvres qui arrivent en France préfèrent se regrouper généralement entre eux pour être plus à l'aise dans le pays dans lequel ils arrivent en cohabitant avec des personnes qui leur ressemblent. C’est la même logique qui pousse les gens à se regrouper par catégorie sociale.

Michèle Tribalat : La mixité sociale est le faux-nez de la mixité ethnique. Arrêtons de parler de mixité sociale pour désigner la mixité ethnique. Une étude des voisinage menée avec Bernard Aubry sur la période 1968-1999 a montré que les enfants d’ouvriers ont toujours eu à peu près deux fois plus de voisins enfants d’ouvriers que d’enfants de cadres (et professions supérieures). Leur voisinage ne s’est guère rapproché au fil des ans de celui des enfants de cadres. Il a seulement reflété le mouvement ascendant de la structure sociale. La Seine-Saint-Denis n’a pas connu non plus de période dorée dans les années 1960. Les enfants d’ouvriers ont toujours peu voisiné avec les enfants de cadres. Ils ont voisiné avec des enfants d’ouvriers, des enfants d’employés et, dans les années 1990, de plus en plus d’enfants dont les parents n’avaient jamais travaillé. À côté du chômage, ce qui a profondément changé en Seine-Saint-Denis, c’est la composition ethnique de la population. La mixité sociale n’a jamais vraiment été au rendez-vous. Les politiques de peuplement autoritaires vont se casser les nez sur les calculs rationnels des individus qui expriment des préférences qu’ils cherchent à satisfaire lorsqu’ils en ont les moyens. Ce sont ceux qui sont les mieux dotés qui tireront le mieux leur épingle du jeu, les microterritorialisations des performances scolaires allant de pair avec le prix de l’immobilier. L’effet des pairs sur la réussite scolaire des enfants a été mis en évidence par Éric Maurin et n’est donc pas une vue de l’esprit. Les classes sociales les mieux dotées en sont parfaitement conscientes. On sait que c’est dans les grandes agglomérations que les cadres maximisent leur environnement social contrairement aux ouvriers qui vivent dans un meilleur environnement social dans de petites communes. Va-t-on aller construire des logements sociaux dans ces communes qui font figure pour eux de dernier refuge, afin qu’ils retrouvent une « diversité » qu’ils ont cherché à éviter au prix d’un certain nombre de sacrifices ?

Les politiques devraient-ils davantage méditer l'exemple de la réhabilitation du quartier des Charmards à Dreux, dans les années 1990, qui visait à faire cohabiter des personnes d'origines sociales et ethniques différentes ?

Michèle Tribalat : Lors de la réhabilitation du quartier des Chamards, rebaptisé ensuite Oriels pour le rendre plus attractif, l’objectif n’était pas la mixité sociale mais la mixité ethnique. La mairie voulait faire d’un quartier à très forte dominante d’origine étrangère (maghrébine surtout), un quartier où il y aurait eu la moitié d’occupants européens. L’OPAC a dû racheter d’abord l’ensemble des bâtiments appartenant au privé et a étalé la réhabilitation dans le temps par des opérations de délogement/relogement. Des petites annonces ont été passées pour attirer des « Français » comme on dit là-bas. Des 26 familles qu’on était allé chercher en région parisienne, 3 étaient encore sur place fin 1997. Les familles dites « françaises » ont été l’objet de harcèlement et celles qui l’ont pu ont quitté les lieux. On parlait alors de véritable hémorragie de la part des locataires européens. Les demandes de mutation ont explosé. Au total, en 1997, on en était revenu au peuplement d’avant la réhabilitation. Mais deux tours et un plus petit bâtiment avaient été gelés au fil de l’opération de relogement, la mairie ayant du mal à remplir son quota, aggravant ainsi le problème des logements vacants. Les bâtiments gelés ont été dévastés puis ont été murés et, à la fin des années 1990, la mairie se demandait si elle n’allait pas démolir les bâtiments qu’elle venait juste de rénover. Les habitants des Chamards ont eu le sentiment que l’on amenait dans le quartier des ménages dont n’auraient pas voulu les bourgeois du Centre-ville. Le quota laissait entendre qu’il y aurait une supériorité absolue des « Français », leur présence étant présentée comme un atout, quel que soit leur statut social. La mairie de Dreux était prise entre deux obsessions contradictoires : éviter à tout pris le départ des classes moyennes du centre-ville et « casser du ghetto » comme on dit aujourd’hui, sans faire de place dans les beaux quartiers. C’est mission impossible.

Les classes moyennes sont-elles finalement les grandes oubliées de ces politiques de peuplement ?

Laurent Chalard : On constate un phénomène de dualisation sociale dans les grandes métropoles, qui est lié aux politiques menées. Le logement social a tendance à devenir de facto le logement réservé aux plus pauvres et en particulier dans les grandes villes françaises, réservé aux immigrés. C’est-à-dire qu’une large partie de la classe moyenne peut y accéder, mais comme il y a un grand nombre d'immigrés dans le parc de logement social, il est totalement boudé par les populations non immigrées, qui refusent de vivre avec des personnes différentes. On rejoint alors cette logique d'entre-soi à la fois social et ethnique.

La montée du prix de l'immobilier, notamment dans les très grandes villes comme Paris, fait que soit on est très riche et l'on peut se permettre de payer un loyer du parc privé, soit on est très pauvre et on bénéficie d'un logement social. Les classes moyennes sont alors contraintes de quitter les centres-villes.

Et quand on construit des logements d'accession à la propriété à côté de logements sociaux, il y a de fortes chances qu'ils se dégradent très rapidement car très peu de foyers aisés oseront venir s'installer à côté de logements sociaux. On se retrouve alors avec des phénomènes de copropriétés dégradées comme à Clichy-sous-Bois, où les quartiers difficiles sont en partie constitués d’un parc privé dégradé.

Comment sortir de cette impasse ?

Laurent Chalard : Aussi paradoxalement que cela puisse paraître, les seuls exemples d'une mixité sociale relativement réussie sur le long terme se retrouve dans les petites villes des zones rurales comprenant entre 5000 et 10 000 habitants. En effet, de par leur faible taille, il ne peut y avoir de réelle ségrégation socio-spatiale, les "riches" n'habitant jamais bien loin des "pauvres", le collège est unique, ce qui sous-entend que les enfants de tous les milieux s'y côtoient et les lieux de sociabilité, peu nombreux, sont les mêmes pour tout le monde. Cependant, le modèle est difficilement reproductible à l'échelle d'une métropole, d'autant qu'il se fait dans un contexte de mixité sociale mais rarement de mixité ethnique.

Même si la mixité est parfois possible, il est illusoire de vouloir à tout prix faire venir des gens plus aisés dans des quartiers populaires. Mais on peut retourner le problème. Finalement, avoir un quartier populaire, qu'il soit à dominante immigrée ou non, s'il est beau et propre, ce n'est pas une catastrophe. L'essentiel est d'avoir des quartiers qui fonctionnent.

Michèle Tribalat : Au lieu de regarder bien en face ce qui nous est arrivé avec les attentats terroristes islamistes des 7-9 janvier, le pouvoir politique donne l’impression de s’être lancé dans une diversion. Faisons ce que nous savons si bien faire : blâmer la société française. Le mal ne pouvant être que social, cherchons nos clefs sous le lampadaire des discriminations. Je me demande si la bifurcation vers la question de l’apartheid est là pour tenir à distance des réactions inappropriées d’une société exaspérée en la rendant coupable de graves injustices (l’apartheid, ce n’est pas rien) ou si elle vise, de bonne foi, à apprivoiser « la bête ». En gros, est-ce que nos gouvernants font semblant de croire que les attentats de janvier ont une cause sociale ou est-ce qu’ils y croient vraiment ?

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