Michel Maffesoli : "L'hystérie collective autour de mon cas témoigne d'un divertissement d'impuissants"<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Michel Maffesoli : "L'hystérie collective autour de mon cas témoigne d'un divertissement d'impuissants"
©Reuters

Réaction

Le sociologue Michel Maffesoli s'est retiré de la direction de la revue "Sociétés" après que celle-ci a publié un article prétendument scientifique qui n'était autre qu'un canular visant à montrer ses méthodes jugées contestables par certains de ses confrères. Depuis, le milieu universitaire est agité par un déchaînement d'attaques à son encontre.

Michel Maffesoli

Michel Maffesoli

Michel Maffesoli est membre de l’Institut universitaire de France, Professeur Émérite à la Sorbonne. Il a  publié en janvier 2023 deux livres intitulés "Le temps des peurs" et "Logique de l'assentiment" (Editions du Cerf). Il est également l'auteur de livres encore "Écosophie" (Ed du Cerf, 2017), "Êtres postmoderne" ( Ed du Cerf 2018), "La nostalgie du sacré" ( Ed du Cerf, 2020).

 

Voir la bio »

Atlantico : Le canular dont votre revue a fait l'objet a tout de ce qu'on peut appeler une "embuscade". Dès lors que l'on cherche à pousser quelqu'un à la faute il y a de fortes chances de parvenir à ses fins. Si la critique est acceptable, qu'en est-il en revanche de ce procédé ? Diriez-vous qu'il est déloyal ?

Michel Maffesoli : Comme je l’ai dit, la première conclusion que j’ai tirée de cette “affaire”, c’est qu’en tant que directeur de la revue Sociétés, j’ai commis l’erreur d’avoir laissé publier cet article, qui n’avait été relu que par une personne qui avait émis un avis favorable, avec réserves sur sa publication (le deuxième avis défavorable étant arrivé après bouclage). Je ne relis pas l’ensemble des articles publiés (aucun directeur de revue ne le fait) et à cette occasion, le relecteur qui a émis l’avis “publiable”, le secrétaire de rédaction qui n’a pas eu le temps de le relire, les responsables du numéro qui ont accepté d’ajouter cet article dans la rubrique “marges”, au moment du bouclage, sont tous fautifs, moi le premier. Nous allons tirer collectivement les leçons de ce dysfonctionnement et renforcer nos procédures de sélection des articles. Et,  pour ma part,  je vais passer la main à un collègue plus jeune.

Lire également : L’affaire Maffesoli : est-il possible d’être de droite dans le monde universitaire français ?

Ceci dit, publier un article “fake” arrive très fréquemment, à des revues de grande qualité “scientifique” : NatureThe Lancet et beaucoup d’autres revues publient des études fondées sur des expérimentations “bidouillées”, des “statistiques faussées ou inventées” etc. Le caractère parodique de l’article publié aurait dû nous alerter, mais bien sûr ni l’absence de questionnaires, ni l’absence d’enquête quantitative ne posaient problème, puisque en général la revue Sociétés ne publie pas d’articles de sociologie quantitative ou statistique.

On nous fait donc un mauvais procès et on nous critique de ne pas être ce que jamais nous n’avons revendiqué d’être : des “scientifiques” opérant selon les méthodes de la science expérimentale. Dés l’orée de ma carrière j’ai insisté sur le fait que la sociologie n’était pas une “science”, mais une “connaissance” pouvant être élaborée avec la rigueur propre à la démarche académique. Peut-être est-ce cette prise de position ( “La Connaissance ordinaire”, 1985) que l’on ne m’a jamais pardonné !

L’affaire pourrait être un canular et l’histoire est pleine de ce type de “pastiches”, plus ou moins réussis. Mais ce qui révèle l’intention de nuire est bien sûr l’article publié ensuite par les deux “sociologues”, qui profitent de notre bévue pour me critiquer moi nommément, ainsi que deux chercheurs de mon centre et l’ensemble des personnes qui travaillent avec moi.

Et bien sûr, Internet aidant, les relais apportés à cette “nouvelle affaire Maffesoli” se sont multipliés.

Les procédés utilisés, pièger un comité de rédaction et en tirer prétexte pour invalider toute une école de pensée ne resortissent pas bien sûr du débat intellectuel. En fait, ces personnes et celles qui ont relayé leur ire, ressassent toujours les mêmes arguments, utilisés depuis que j’ai fait soutenir une thèse de sociologie sur le comportement des médias vis-à-vis de l’astrologie par madame Hanselman, (E. Teissier) qui était aussi une astrologue. Je constate que j’ai fait soutenir plus de 180 thèses à des docteurs français et étrangers, que je suis déjà docteur “honoris causa” de 6 universités dans le monde, que j’ai publié plus de 30 livres, traduits dans une dizaine de langues et que quand un certain milieu dit universitaire parle de moi, c’est pour dire “Michel Maffesoli qui a fait soutenir une thèse d’astrologie”. Pour des personnes obsédées d’objectivité, c’est une curieuse manière de parler !

Dans l’article de ces  deux jeunes chercheurs, aucun argument intellectuel n’est avancé pour critiquer le type de sociologie que je fais (sociologie compréhensive et non pas quantitative et explicative), pour invalider les domaines auxquels mon centre et moi-même nous intéressons (le quotidien, l’imaginaire, la postmodernité, le changement de valeurs sociétales, etc.) : il est juste noté que nous avons accepté un article qui n’était pas fondé sur une enquête quantitative et suit ensuite une litanie, bien connue d’attaques ad hominem, toujours les mêmes d’ailleurs, une sorte de “coupé/collé” indéfiniment scandé : la thèse Teissier, le chapeau et le noeud papillon que je porte, mes titres soit-disant usurpés, mon accession au dernier échelon du grade de professeur avant ma retraite (comme l’ensemble des professeurs de mon renom et de mon ancienneté (33 ans à la Sorbonne !), etc.

Nombre de ces arguments sont fallacieux : je publierais à CNRS Éditions parce que je suis membre du conseil d’administration du CNRS : ces éditions sont indépendantes. Je suis sollicité par de nombreux éditeurs. Et CNRS Editions me publie volontiers car outre, peut-être, l’intérêt de mes livres, je suis un de leurs auteurs qui vend le plus d’ouvrages. J’aurais été nommé membre de l’Institut universitaire de France par la ministre contre l’avis du comité. Puis-je rappeler que, tout simplement, je figurais sur la liste complémentaire de celui-ci. Etc. La litanie est longue des calomnies ou médisances. Elle est peut-être trop longue pour être crédible ! On m’a même reproché de publier sous mon nom dans “Atlantico” comme si c’était infâmant de publier sur un autre support qu’une revue universitaire ou dans l’Humanité comme un de mes détracteurs !

Je suis à la retraite depuis un an, et en retrait du “tout petit monde” sociologique depuis fort longtemps. Je n’ai aucun pouvoir, et ne cherche pas a en avoir. Dés lors le “maffesolisme”, ne pouvant être que machiavélien, est un pur fatasme qui, avant tout, interroge sur ceux qui s’en font les contempteurs. Seule m’intéresse l’oeuvre qu'il me reste à parfaire. Et il est vrai que je continue à publier et à être invité dans de nombreuses universités françaises et étrangères. Je suis, aussi, sollicité par de nombreus décideurs politiques, économiques, sociaux. Peut-on, dés lors, nommer avec une grande simplicité le fantasme dont je viens de parler : la jalousie.

Je m’étonne de ce que des collègues, en activité ou à la retraite, poussent des jeunes gens, dont l’un cherche à faire sa thèse sur “la galaxie de l’imaginaire” depuis 12 ans, (titre emprunté à un ouvrage collectif consacré à Gilbert Durand et que j’ai dirigé il y a vingt ans !) à perdre leur temps dans de telles entreprises. D’autant que ce “thésard” un peu attardé ne peut prétendre qu’il a été mal reçu par moi-même ou par les personnes qui travaillent sur l’imaginaire. En février 2014, soit trois mois avant de commettre cet acte malveillant, il m’adressait un message tout à fait aimable, me demandait mon aide pour accéder à une correspondance de Gilbert Durand, félicitait mon laboratoire pour le colloque consacré à ce dernier qu’il avait trouvé “”fructueux” !

La communauté des chercheurs en sciences humaines s'est déchaînée à cette occasion contre vous, parlant de "maffesolisme", de sectarisme et de votre proximité avec la droite. Avez-vous le sentiment que ces personnes vous font payer le prix de méthodes qu'elles jugent contestables, ou qu'elles s'attaquent tout simplement à ce que vous êtes ?

Michel Maffesoli : Je suis prêt et je l’ai toujours été à débattre du type de sociologie que je fais et des thèmes que je traite. J’ai organisé au début de ma carrière plusieurs colloques intitulés “Sociologies” avec un s, parce que pense qu’il y a en effet plusieurs types de sociologie. Dans la revue Sociétés nous publions effectivement des articles de chercheurs de mon centre et des nombreux centres d’études sur l’actuel et le quotidien qui se sont créés dans d’autres pays, mais nous publions aussi des articles de personnes dont nous ne connaissons pas le pedigree universitaire (ce que justement ce canular nous reproche aussi). Je fais remarquer aussi que nous recevons nombre de propositions d’articles, dont nous refusons la plupart qui ne nous paraissent pas présenter un intérêt sociologique.

Les chercheurs que j’ai formés pratiquent le même type d’ouverture : dans leurs choix professionnels : tous ne font pas une carrière universitaire, oui certains exercent des activités d’études et de conseil pour des entreprises ce qui n’est pas sans montrer aussi l’intérêt des thèmes et des méthodes d’études que j’ai impulsées. Les thématiques de recherche sont très variées et j’ai toujours eu un seul principe : un fait social est un fait sociologique, c’est-à-dire que tout phénomène relève d’une étude sociologique. J’ai accepté et j’en suis fier, les thématiques apportées par les étudiants, car je pense qu’il n’y a pas de compétence s’il n’y a pas d’appétence. Et jamais je ne me suis permis d’interférer dans les contacts noués par mes étudiants, leur interdire comme je sais que certains le font de publier là ou là ou de citer tel ou tel auteur !

Un ami, professeur de médecine et d’anthropologie me disait : “Maffesoli, vous n’avez pas l’odeur de la meute”. Est-ce cela qui pousse le milieu à me faire ces procès à répétition ? Est-ce l’ennui, l’acedia, cette sécheresse de l’âme dont Thomas d’Aquin disait qu’elle était un péché contre l’esprit, qui les anime ? Je  ne suis en compétition avec personne, je continue à travailler comme je l’ai toujours fait, à lire, me documenter, penser, écrire. Et bien sûr à échanger avec nombre de collègues, jeunes et moins jeunes, en France, au Brésil, au Mexique, en Italie, en Corée, au Canada et en Angleterre, etc.

De plus, pratiquant une “neutralité axiologique” des plus strictes je n’ai jamais eu d’engagement politique ou syndical quel qu’il soit. Ainsi, pour ceux qui savent lire, je renvoie à mon livre Sarkologie (Albin michel 2012) qui n’a rien d’une apologie. Est-ce que mes détracteurs l’on lu ? Ont-ils lu, d’ailleurs, mes divers livres ? J’en doute. Car selon la formule bien connue: “j’ai pas vu, j’ai pas lu, mais j’ai entendu causer”. C’est dire la rigueur d’une telle attitude !

Existe-t-il de toute manière des méthodes incontestables en sociologie ? Le procédé qui a été employé contre vous pourrait-il être utilisé contre d'autres, avec des effets polémiques bien moins importants ?

Michel Maffesoli : Quand on veut noyer son chien, on l’accuse de la rage ! Je pourrais aussi citer les “sycophantes”, ces citoyens de la Grèce antique, qui faisaient de faux procès à d’autres citoyens pour les faire bannir et accaparer leurs biens. Très clairement, nombre de sujets qui ont été traités dans mon centre sont prospectifs : le néo-tribalisme, le nomadisme, l’importance des apparences, la valorisation du corps, l’hédonisme ambiant ou le retour d’un imaginaire dionysiaque, la personne plurielle, les rassemblements musicaux, l’impact des nouvelles technologies, etc. J’ai été étonné parfois de trouver dans des publications ou des communications de titres un peu “empruntés” sur l’imaginaire quotidien ou le tribalisme ou d’autres, par des collègues qui m’avaient justement reproché de traiter ce type de thèmes “non sociologiques”. J’ai même vu, il y a un peu plus d’un an, un compte-rendu d’un livre sur l’astrologie, qui affirmait que c’était la première fois qu’on traitait ce thème en sociologie !

Encore une fois, je pratique une sociologie compréhensive, qui élucide les processus à l’oeuvre dans la société, les valeurs sous-jacentes aux changements sociétaux, l’imaginaire de l’époque. Je décris ce qui se passe et je ne porte aucun jugement, ni en bien, ni en mal. Je parle de postmodernité au sens le plus basique du terme, notre époque, celle qui vient après l’époque dite moderne (17e- 20e siècles) et je ne dis pas qu’elle est meilleure ou pire que la précédente.

Il est vrai que les personnes qui sont attachées aux luttes de pouvoir et aux places institutionnelles peuvent se sentir attaquées par ceux qui montrent que les valeurs sur lesquelles ils se fondent sont saturées, et qu’un autre monde est en train de naître. Cette peur justifie-t-elle de recourir à des méthodes de voyous, à invalider ceux qui ne pensent pas comme vous ? Ce n’est pas ma façon de faire et ce n’est pas ainsi que j’ai été formé par mes vieux maîtres, Julien Freund, et Gilbert Durand qui avaient appris, notamment au travers de leur combat dans la Résistance, ce qu’est l’honneur.

L’hystérie collective à laquelle on assiste témoigne, avant tout, du “ressentiment” à l’oeuvre dans les soit-disant “sciences” humaines ou, ce qui revient au même, d’un divertissement d’impuissants !

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !