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Michel Houellebecq, ou les fantômes obéissants du devenir
©LIONEL BONAVENTURE / AFP

Atlantico Litterati

Michel Houellebecq publie « Interventions 2020 » (Flammarion), pour résister au politiquement correct. L’un des chapitres de ce livre indispensable trace le portrait de Donald Trump : de la dynamite. En exclusivité pour Atlantico.

Annick Geille

Annick Geille

Annick GEILLE est écrivain, critique littéraire et journaliste. Auteure de onze romans, dont "Un amour de Sagan" -publié jusqu’en Chine- autofiction qui relate  sa vie entre Françoise Sagan et  Bernard Frank, elle publia un essai sur  les métamorphoses des hommes après  le féminisme : « Le Nouvel Homme » (Lattès). Sélectionnée Goncourt et distinguée par le prix du Premier Roman pour « Portrait d’un amour coupable » (Grasset), elle obtint ensuite le "Prix Alfred Née" de l'Académie française pour « Une femme amoureuse » (Grasset/Le Livre de Poche).

Elle fonda et dirigea  vingt années durant divers hebdomadaires et mensuels pour le groupe « Hachette- Filipacchi- Media » - tels le mensuel Playboy-France, l’hebdomadaire Pariscope  et «  F Magazine, »- mensuel féministe racheté au groupe Servan-Schreiber, qu’Annick Geille reformula et dirigea cinq ans, aux côtés  de Robert Doisneau, qui réalisait toutes les photos. Après avoir travaillé trois ans au Figaro- Littéraire aux côtés d’Angelo Rinaldi, de l’Académie Française, elle dirigea "La Sélection des meilleurs livres de la période" pour le « Magazine des Livres », qui devint  Le Salon Littéraire en ligne-, tout en rédigeant chaque mois une critique littéraire pour le mensuel -papier "Service Littéraire".

Annick Geille  remet  depuis quelques années à Atlantico -premier quotidien en ligne de France-une chronique vouée à  la littérature et à ceux qui la font : «  Litterati ».

Voir la bio »

A propos d’ « Interventions 2020 » (Flammarion), publié cette semaine par Michel Houellebecq, écrivain français traduit dans quarante langues.

«Il doit y avoir eu un moment de communion où nous n’avions aucune objection au monde ; comment se fait-il que notre solitude soit si profonde ? ». Cette interrogation de Michel Houellebecq dans « Opera Bianca » (Beaubourg 1997) propulse toute l’œuvre de ce monument de la littérature vers le meilleur d’elle -même. Les ombres de son «  Opéra- Bianca » se croisent sans se toucher. La société du sans- contact. Réduits à l’état de« taches fantomatiques » (le mot « fantôme » est un leitmotiv chez Houellebecq, ex enfant absent de sa réalité).Comment vivre en ce monde souvent hostile où nous demeurons de plus en plus séparés, dans une sorte d’antagonisme avec l’ l’environnement ?  « Masque chatoyant de la nature, qui dissimule on le sait bien un grouillement sordide, masque impossible à arracher cependant : jamais, soit dit en passant, l’esprit de Thomas Mann n’a été saisi avec une telle profondeur. Nous n’avons rien de bon à attendre du soleil ; mais les êtres humains peuvent peut-être, dans une certaine mesure, arriver à s’aimer», dit l’auteur. Cette tension tragique entre le monde et ses objets humains et non- humains n’est- elle pas plus douloureuse encore en cette année 2020, celle de tous les dangers, ce pourquoi Houellebecq intervient ici et maintenant ? Son objectif : contester par la presse et la littérature notre déshumanisation croissante. Et  son avatar, la pensée unique. « Nietzsche, Schopenhauer et Spinoza ne passeraient plus aujourd’hui. Le politiquement correct, tel qu’il est devenu, rend inacceptable la quasi totalité de la philosophie occidentale. De plus en plus de choses deviennent impossibles à penser. C’est effrayant ».L’objection faite au monde contemporain et la solitude des protagonistes forment la substantifique moelle des principales fictions de Michel Houellebecq-des « Particules Elémentaires » à « Plateforme », en passant par « La Possibilité d’une île », « La carte et le Territoire » (Goncourt 2010/ grâce à François Nourissier, auquel Houellebecq rend souvent hommage, ne serait-ce que par l’emploi de cet italique signifiant que l’auteur de La Crève chérissait aussi)… Sans oublier « Soumission » et « Sérotonine » (publié ces jours-ci en poche Flammarion/ «  J’ai Lu »). « Voyant «  au sens rimbaldien du terme, l’auteur perçoit tout « ce qui vaporise le sujet pour le transformer en fantôme obéissant du devenir » ; Michel Houellebecq pense ce XXI ème siècle, broyant par une écriture faussement neutre et vraiment sardonique les oukases de l’époque, ses faux-semblants meurtriers. « Polyvalents, neutres et modulaires, les lieux modernes s’adaptent à l’infinité de messages auxquels ils doivent servir de support. Ils ne peuvent s’autoriser à délivrer une signification autonome, à évoquer une ambiance particulière ; ils ne peuvent ainsi avoir ni beauté, ni poésie, ni plus généralement aucun caractère propre. Dépouillés de tout caractère individuel et permanent, et à cette condition, ils seront prêts à accueillir l’indéfinie pulsation du transitoire ».« Interventions 2020 » réunit pour notre plaisir les articles, entretiens, tribunes, préfaces publiés plus ou moins récemment par Michel Houellebecq dans les Inrocks, Vingt ans, La Nouvelle Revue Française, l’Atelier du Roman, Valeurs Actuelles, Lui -dont le célèbre entretien de l’auteur avec Frédéric Beigbeder : sans doute le meilleur dialogue entre deux écrivains libres de chez libre, jamais publié dans la presse française.

Sans oublier les contributions de Houellebecq dans la presse étrangère (lire et relire aussi « Intervention1998 » et « Interventions 2009 » (Flammarion). « Je suisun mâle occidental, donc une espèce de beauf, en ce sens mes positions n’ont rien que de très logique. L’ingénieux critique Pierre Assouline a même découvert que j’avais de tout temps été animé par une haine obsessionnelle des Arabes ; que c’était là, contrairement aux apparences, le vrai sujet de Plateforme, et peut-être de tous mes livres. Je me demande vraiment ce qui m’a retenu de faire un procès à ce minable » .On retrouve parfois dans Interventions 2020 des articles qu’on a lus hier, so what ? Mieux vaut la douce redondance d’un texte de Houellebecq que la lecture d’un inédit d’un écrivant à la mode. Mieux vaut pouvoir relire ce que nous avions apprécié jadis et naguère que de n’avoir jamais lu ces morceaux d’anthologie, souvent hilarants, parfois désespérants, mais toujours justes.  D’une justesse qui fait du bien à l’âme. « La poésie est le moyen le plus naturel de traduire l’intuition pure d’un instant. » Au sujet de l’art poétique de Michel Houellebecq, se procurer « Configuration du dernier rivage »(Flammarion/J’ai Lu)  (cf. la mort règne dans la littérature de cet ex enfant mort-né à sa propre réalité). Superbe.

De la même façon, pour le lecteur qui a la chance d’ouvrir aujourd’hui « Interventions 2020 », le plaisir de lecture -ou de relecture- surpassera de loin la découverte de certaines « nouveautés », à quelques exceptions près.  «  Minés par la lâche hantise du politiquement correct, éberlués par un flot de pseudo-informations qui leur donnent l’illusion d’une modification permanente des catégories de l’existence, (…) les Occidentaux contemporains ne parviennent plus à être des lecteurs (…) A plus fort raison, il ne peuvent jouer ce rôle face à un autre être. Il le faudrait pourtant car cette dissolution de l’être est une dissolution tragique ; et chacun continue, mû par une nostalgie douloureuse, à demander à l’autre ce qu’il ne peut plus être ; à chercher, comme un fantôme aveuglé, ce poids d’être qu’il ne trouve plus en lui même. Cette résistance, cette permanence, cette profondeur. Bien entendu, chacun échoue et la solitude est atroce. »

« Interventions 2020 » est l’un des ouvrages les plus intelligents qui se puissent lire actuellement. « Michel Houellebecq perçoit avant les autres» dit Jérôme Garcin.« Il brouille les pistes faisant la une de Valeurs actuelles et des Inrocks en même temps» constate un critique. « (…) vous n’êtes pas un commentateur politique, Michel Houellebecq ; et si certains vous qualifient de réactionnaire, vous êtes aussi la référence littéraire des magazines les plus progressistes de ce pays. Autrement dit, vous brouillez les pistes, sans doute parce que vous êtes ailleurs. Vous avez le don, très rare, du regard éloigné. Est-il donc légitime de considérer votre entreprise (…)comme une ethnologie romanesque de l’humanité occidentale ? »note  Alain Finkielkraut.

Pas d’équivalent, quoi qu’il en soit. Houellebecq est cette voix qui porte, LE grand contemporain.

Un extrait de l'ouvrage : Donald Trump est un bon président

J’aime bien le peuple américain, sincèrement, j’ai rencontré en Amérique beaucoup de gens adorables, et je compatis avec la honte que ressentent beaucoup d’Américains (et pas seulement des «intellectuels new-yorkais ») d’être dirigés par un aussi navrant guignol.

Pourtant il me faut vous demander (et je sais que, pour vous, ce n’est pas facile) de considérer un instant les choses d’un point de vue non américain. Je ne veux pas dire « d’un point de vue français », ce serait trop demander ; disons, du point de vue du reste du monde.

Ayant été à plusieurs reprises interrogé sur l’élection de Donald Trump, j’ai répondu que je m’en foutais. La France n’est pas le Wyoming, ni l’Arkansas. La France est un pays indépendant, plus ou moins, et le redeviendra tout à fait dès que sera dissoute la construction européenne (le plus tôt sera le mieux).

Les États-Unis d’Amérique ne sont plus la première puissance mondiale ; ils l’ont été longtemps, presque tout au long du XXe siècle. Ils ne le sont plus.

Ils demeurent une puissance importante, parmi d’autres.

Ce n’est pas forcément une mauvaise nouvelle pour les Américains.

C’est une très bonne nouvelle pour le reste du monde.

J’avais un peu exagéré, dans ma réponse. La vie politique américaine, on reste obligés de s’y intéresser un peu. Les États-Unis d’Amérique sont encore la première puissance militaire mondiale, et malheureusement ils n’ont pas encore définitivement renoncé à intervenir hors de leurs frontières.

Je ne suis pas historien et ne connais pas l’histoire ancienne, je ne saurais par exemple dire si c’est Kennedy ou Johnson qui est le plus à blâmer, dans la sordide affaire vietnamienne ; mais j’ai l’impression que cela fait bien longtemps que les États-Unis d’Amérique n’ont pas gagné une guerre, et que leurs interventions militaires (avouées ou secrètes) à l’étranger n’ont été, depuis au bas mot une cinquantaine d’années, qu’une succession d’ignominies, couronnées par des fiascos.

Revenons, même, à leur dernière intervention moralement indiscutable et militairement victorieuse, j’entends leur participation à la Seconde Guerre mondiale : que serait-il advenu si les États- Unis d’Amérique n’étaient pas entrés en guerre (déplaisante uchronie) ? Le destin de l’Asie en aurait été modifié, sans aucun doute. Le destin de l’Europe aussi, mais probablement un peu moins. Hitler était, de toute façon, déjà bien mal parti. Le plus probable est que les armées de Staline auraient atteint Cherbourg. Divers pays européens, auxquels elle a été épargnée, auraient connu l’épreuve du communisme.

Perspective peu plaisante, j’en conviens; mais perspective limitée. Une quarantaine d’années plus tard, l’Union soviétique se serait effondrée, tout aussi bien. Simplement parce qu’elle reposait sur une idéologie inefficace et fausse. Dans aucun pays du monde, quelles que soient les circonstances, quelle que soit la culture dans laquelle il s’est implanté, le communisme n’a réussi à durer ne serait-ce qu’un siècle.

La mémoire des peuples n’est pas bien longue. Les Hongrois, les Polonais, les Tchèques d’aujourd’hui se souviennent-ils vraiment d’avoir été communistes ? Leur manière d’envisager les enjeux européens est-elle si différente de celle qu’on rencontre en Europe occidentale ?On peut sérieusement en douter. Pour parler un instant le jargon de centre gauche, le « cancer populiste » ne se limite nullement au groupe de Višegrad ; mais, surtout, les arguments employés en Autriche, en Pologne, en Italie ou en Suède sont exactement les mêmes. La lutte contre l’islam est une des constantes de l’histoire longue de l’Europe ; elle est simplement revenue au premier plan.

C’est surtout par le roman (le roman américain, à peu près exclusivement) que j’ai entendu parler des répugnantes manœuvres de la CIA au Nicaragua ou au Chili. Les premières interventions militaires américaines dont je me souvienne réellement sont celles des deux Bush, surtout du fils. La France a refusé de s’associer à sa guerre contre l’Irak, aussi immorale que stupide ; la France a eu raison, et je le signale avec d’autant plus de plaisir que la France a rarement eu raison, disons depuis de Gaulle.

Avec Obama, il y avait déjà eu un progrès énorme. Le Prix Nobel de la paix, il l’a peut-être eu un peu tôt ; à mes yeux, il l’a vraiment mérité le jour où il a refusé de suivre François Hollande sur la Syrie. Sur la réconciliation des races il a moins bien réussi, et j’avoue que je ne connais pas assez bien votre pays pour comprendre exactement pourquoi ; je ne peux que le déplorer. Mais, au moins, on peut le féliciter de ce que la Syrie ne se soit pas ajoutée à la liste déjà longue (Afghanistan, Irak, Libye, et j’en oublie sans doute) des exactions occidentales en terre musulmane.

Trump poursuit et amplifie la politique de désengagement engagée par Obama ; c’est une très bonne nouvelle pour le reste du monde.

Les Américains nous lâchent la grappe.

Les Américains nous laissent exister.

Les Américains n’essaient plus de répandre la démocratie à la surface de la planète. Quelle démocratie, d’ailleurs ? Voter tous les quatre ans pour élire le chef, c’est ça la démocratie ? Il y a à mes yeux un pays dans le monde (un pays, pas deux) qui jouit d’institutions partiellement démocratiques, et ce pays n’est pas les États-Unis d’Amérique : c’est la Suisse. Pays qui se signale, par ailleurs, par sa louable politique de neutralité.

Les Américains ne sont plus prêts à mourir pour la liberté de la presse. Quelle liberté de la presse, d’ailleurs? Depuis que j’ai douze ans, j’ai vu constamment se rétrécir, dans la presse, le domaine des opinions exprimables (j’en parle peu après que s’est déclenchée, en France, une nouvelle campagne de chasse au Zemmour).

Les Américains utilisent davantage les drones, ce qui aurait pu permettre de réduire le nombre de victimes civiles s’ils savaient s’en servir (mais il est vrai que les Américains ont toujours été incapables de réaliser un bombardement correct, et cela pratiquement depuis les origines de l’aviation).

Le plus remarquable, ceci dit, dans la nouvelle politique américaine, c’est certainement la politique commerciale, et là j’avoue que Trump apporte une fraîcheur salutaire, et que vous avez vraiment bien fait d’élire un président issu de la « société civile ».

Le président Trump déchire les traités et accords commerciaux, quand il pense qu’il a tort de les avoir signés ; il a bien raison, il faut savoir utiliser son délai de rétractation.

Contrairement aux libéraux (aussi fanatiques que les communistes, dans leur genre), le président Trump ne voit pas dans la liberté du commerce mondial l’alpha et l’oméga du progrès humain. Quand le libre-échange favorise les intérêts de l’Amérique, le président Trump est en faveur du libre-échange ; dans le cas contraire, de bonnes vieilles mesures protectionnistes lui paraissent tout à fait appropriées.

Le président Trump a été élu pour défendre les intérêts des travailleurs américains ; il défend les intérêts des travailleurs américains. On aurait aimé rencontrer plus souvent ce genre d’attitude, en France, ces cinquante dernières années.

Le président Trump n’aime pas la construction européenne, il pense que nous n’avons pas grand- chose en commun, surtout pas des « valeurs », et d’ailleurs heureusement, parce que quelles valeurs ? Les « droits de l’homme » ? Sérieusement ? Il préférerait négocier directement avec les États ; je pense que ce serait en effet préférable, que l’union ne fait pas nécessairement la force (surtout lorsqu’on n’a pas les mêmes intérêts). Nous n’avons en Europe ni langue commune, ni valeurs communes, ni intérêts communs, en résumé : l’Europe n’existe pas, elle ne constituera jamais un peuple, encore moins le support d’une démocratie possible (cf. l’étymologie du terme), et cela avant tout parce qu’elle ne veut pas constituer un peuple. L’Union européenne, de toute façon, n’a jamais été conçue pour être une démocratie, son objectif était même exactement l’inverse. En bref une idée néfaste ou au mieux stupide, qui s’est peu à peu transformée en mauvais rêve, et dont nous finirons par nous éveiller. Bon poète par endroits, Victor Hugo est aussi, souvent, grandiloquent et bête ; son rêve d’« États-Unis d’Europe » en est un bon exemple ; ça me fait du bien, de temps en temps, de critiquer Victor Hugo.

Logiquement, le président Trump s’est félicité du Brexit. Logiquement, moi aussi ; j’ai juste regretté qu’une fois de plus les Anglais se montrent plus courageux que nous, face à l’Empire.

Le président Trump ne considère pas Vladimir Poutine comme un interlocuteur indigne ; moi non plus. Je ne crois pas au rôle de guide universel de la Russie, mon admiration pour Dostoïevski ne va pas jusque-là ; mais j’admire la résistance de l’orthodoxie sur ses terres, j’estime que le catholicisme ferait bien de s’en inspirer, que le «dialogue œcuménique» pourrait utilement se limiter à un dialogue avec les orthodoxes, et que le schisme de 1054 a été pour le monde chrétien le début de la fin (mais je crois, par ailleurs, que la fin n’est jamais certaine, avant d’être en effet advenue).

Il semblerait même que le président Trump ait réussi à apprivoiser le dément nord-coréen ; là, j’ai trouvé ça trop classe.

La France devrait sortir de l’OTAN, mais peut- être que ça va devenir inutile, si l’OTAN disparaît, faute de budget de fonctionnement ; ce serait un souci de moins.

En bref, le président Trump me paraît un des meilleurs présidents qu’ait connus l’Amérique.

Sur le plan personnel, il est bien sûr assez dégoûtant. Qu’il appelle des putes, pas de problème, on s’en fout, mais se moquer des handicapés, ce n’est pas bien. À programme équivalent, un authentique conservateur chrétien, enfin un type honorable et moral, aurait été mieux pour l’Amérique.

Mais ceci peut avoir lieu, peut-être la prochaine fois, ou la fois d’après si vous insistez pour Trump. Dans six ans, Ted Cruz sera encore relativement jeune, et il y a sûrement d’autres excellents conservateurs chrétiens. Vous serez un peu moins compétitifs, mais vous retrouverez le bonheur de vivre, dans votre magnifique pays, à l’intérieur de vos frontières, pratiquant l’honnêteté et la vertu, exportant quelques produits, en important quelques autres, enfin pas grand-chose, la diminution du commerce mondial est un objectif souhaitable, et atteignable à échéance brève.

Quelques actions violentes pourraient utilement accélérer le processus; elles pourraient facilement être limitées aux biens. Le nombre de matelots, sur ces gigantesques porte-conteneurs, est étonnamment restreint ; il ne serait guère difficile de les évacuer à temps.

Votre messianisme militaire aura entièrement disparu ; le monde n’en respirera que mieux.

Des concurrents redoutables seront apparus, pour la Silicon Valley, et dans une moindre mesure pour Hollywood ; mais la Silicon Valley, comme Hollywood, conserveront d’importantes parts de marché.

La Chine sera revenue de ses ambitions exagérées. Ce sera le plus difficile ; mais, à la fin, la Chine limitera ses ambitions – et l’Inde fera de même. La Chine n’a jamais été une puissance impérialiste globale, et l’Inde pas davantage – contrairement aux USA ; leurs ambitions militaires sont locales. Leurs ambitions économiques, il est vrai, sont mondiales. Elles ont une revanche économique à prendre, elles la prennent en ce moment, il y a en effet de quoi s’inquiéter, et Donald Trump a bien raison de ne pas se laisser faire ; mais à la fin ça se tassera, leur taux de croissance se tassera.

Tout ceci se produira, dans le temps d’une vie d’homme.

Il faut vous faire à l’idée, estimable peuple américain : au bout du compte, Donald Trump aura peut- être été, pour vous, une épreuve nécessaire. Quoi qu’il en soit, vous resterez les bienvenus – en tant que touristes. Michel Houellebecq / « Interventions 2020 »/enexclusivité pour les lecteurs d’ Atlantico / Flammarion (édition originale =Harper’s magazine/2019).

« Interventions 2020 »/Michel Houellebecq/Flammarion/21 euros/

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