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Mes 10 minutes avec Meryl Streep : conversation-éclair sur son nouveau film et sur Clint Eastwood, qui vote Trump
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THE DAILY BEAST

Une conversation-éclair avec la grande actrice, qui parle d'Hillary, de sa déception à l'encontre de Clint Eastwood, et de sa plus grande performance d'actrice : jouer une femme sans talent.

Kevin Fallon

Kevin Fallon

Kevin Fallon est journaliste pour The Daily Beast.

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Par Kevin Fallon - The Daily Beast

Meryl Streep, dans sa première scène du film Florence Foster Jenkins, descend des poutres vêtue comme un ange et, suspendue à mi-hauteur, rayonnante face à la caméra. Je ne sais vraiment pas pourquoi chaque film ne débute pas ainsi. "En fait cela fait très peur !", répond Meryl Streep, en rejetant la tête en arrière et en laissant échapper un de ces fameux rires exubérants qui font de la plus grande actrice de l'histoire la personne la plus abordable que vous ayez jamais rencontrée. Ce que j'ai fait. Pendant 10 minutes.

J'ai passé 10 minutes avec Meryl Streep. J'ai la bouteille d'eau qu'elle a touchée pour le prouver. "Ils m'en ont donné des milliers" dit-elle, en insistant sur « milliers » de sa manière si particulière alors qu'elle m'en donne une et insiste pour que je m'hydrate. Je vais faire couler la bouteille en question dans le bronze pour la postérité. Meryl Streep ne descend pas des poutres en ce moment même, mais les lumières de studio toujours allumées derrière elle, après sa matinée consacrée aux médias, créent un halo lumineux autour de sa tête. Un ange assis en face de moi. Qui rigole encore. Toujours superbe.

Elle est restée ainsi suspendue en l'air durant une partie de la matinée, dit-elle. C'était préoccupant ! "Il y avait des personnes à côté qui semblaient très inquiètes", se souvient-elle. Elle mime leur anxiété, regarde le plafond et prend l'expression terrifiée d'un modeste assistant de production réalisant que la seule personne au monde capable de réussir cet accent polonais dans le film Le choix de Sophie pourrait, à tout moment, s'écraser sur la scène. "Vous pensez, s'ils sont inquiets, dois-je être inquiète ?" dit-elle, en laissant de nouveau s'échapper ce rire, dont le pouvoir m'ajoute dix années supplémentaires de vie.

Les prises de vue de cette scène ressemblaient à du Pilates, explique-elle, il fallait qu'elle se cambre tout en arborant ces ailes immenses et lourdes et en semblant heureuse. "Alors, je l'ai fait ... et puis j'ai pris un très grand martini après."Florence Foster Jenkins, l'ange en question, est le dernier film biographique dans lequel triomphe Meryl Streep, et peut-être le rôle le plus exigeant de cette actrice qui a remporté un nombre record d'oscars : une artiste sans talent.

Voir la video de la bande-annonce : https://www.youtube.com/watch?v=qth6y8SrXNY

Florence Foster Jenkins est, bien sûr, beaucoup plus que cela. Elle pourrait être l'un des personnages réels les plus fascinants de l'histoire de New York. Mondaine, fervente passionnée de musique, Florence Foster Jenkins était une chanteuse d'opéra en herbe dont l'influence a réussi à la mener jusqu’à un récital à guichets fermés au Carnegie Hall en 1944, malgré une voix qui sonnait comme une famille de chats sauvages ébouillantés vivants. Son fidèle compagnon, St.Clair Bayfield (joué par un Hugh Grant merveilleux dans le rôle), a réussi à cacher son horrible voix grâce à de nombreux pots de vin ; Florence Foster Jenkins, elle-même, ne le savait pas, inconsciente de son talent inexistant. Mais après la très publique performance du Carnegie Hall, la farce prit fin.

Après avoir été éreintée par la critique, Florence Foster Jenkins succomba à une crise cardiaque quelques jours plus tard. La performance de Meryl Streep dans ces numéros musicaux est un tour de force, un numéro d'acteur particulièrement difficile, mais qu'elle réussit avec une précision extrêmement drôle. Mais il ne s'agit pas de la liberté de chanter mal ou même de combien il est difficile de le faire -  d'ailleurs Meryl Streep a méticuleusement appris tous les airs -  mais du sentiment irrésistible, de l'enthousiasme sincère, que Florence Foster Jenkins avait. Même s'il tombait un peu à plat. "Je ne pense pas que notre Florence visait vraiment l'excellence" dit-elle. "Quand elle disait : "La musique est ma vie", je pense que cela était vrai. Elle voulait donner ce qu'elle aimait.". Meryl Streep comprend certainement cela. Voici une femme dont le nom est synonyme d'excellence, après tout. "Je n'ai pas choisi la comédie pour être excellente" dit-elle. "Je voulais juste faire la même chose [que Florence Foster Jenkins]." Elle se lance dans une explication à couper le souffle du processus de la comédie : la connexion, la communication, quelque chose dans l'air de la pièce. J'étais presque perdu dans son regard intense quand elle conclut : "La chose la plus excitante pour moi, c'est de faire le truc. La manière dont il est perçu est un cadeau." Avec sa réflexion intellectuelle sur l'art, cela doit être une expérience particulièrement percutante de jouer une interprète aussi fougueuse que Florence Foster Jenkins. "Avez-vous déjà joué dans une pièce de théâtre ?" demande-elle.

Paniqué, je me demande si je dois passer ce qui reste de mes dix minutes avec Meryl Streep à revivre la production de Guys and Dolls de la Calvert High School en 2003, dans laquelle mon jeu dans le rôle de Nathan Detroit a été jugé "très correct". C'est sûrement ce qu'elle avait en tête avec cette question. Mais une réponse s'échappa inexplicablement avant que je ne puisse même citer la Fugue for Tinhorns. "Oui" dis-je. Grave.

"Donc, vous pouvez probablement vous projeter dans ce moment avant de monter sur scène » dit-elle. Elle peut. Elle le fait, pour moi sur le champ. Elle utilise le mot « embryonnaire » en le faisant et je hoche la tête sciemment, comme si je comprends ce que signifie ce mot. "C'est notre raison de vivre" dit-elle. Nous. Vous, moi, Florence Foster Jenkins : nous sommes tous maintenant les pairs de Meryl Streep.

Ce qui a le plus frappé Meryl Streep chez Florence Foster Jenkins, une femme que les moqueurs tourneraient en dérision dans la culture haineuse d'aujourd'hui, n'est pas son existence taillée pour les GIF, mais son esprit. Je lui dis que je le ressens. Après avoir regardé Florence Foster Jenkins, je me demande si elle a reçu cela de la chanteuse. Certes, je l'ai vue il y a deux semaines sur la scène de la Convention nationale des Démocrates — dans sa robe portefeuille aux couleurs américaines — où elle parla fort, comme Howard Dean. « Je ne m'étais même pas rendue compte que j'avais crié !" dit-elle en riant à nouveau (à ma grande joie). "Je surfais juste sur une vague, venant de ce public, tout le monde debout, ressentant cette chose."

Ce petit rire doux qui semble tout mettre en partition revient, mais cela n'est rien comparé à ce silence intense - quoique chaleureux - qu'elle adopte. Quand elle regarde simplement en l'air et sur le côté, alors qu'elle s'occupe de ses propres sentiments. Quand elle est sur le point de devenir Meryl Streep pour vous. Cela arrive et mon âme quitte presque mon corps. "Vraiment, 240 ans que les femmes sont en quelque sorte des citoyennes" commence-elle. "Mais le droit de vote a moins de 100 ans. Asservies, en quelque sorte. Et l'ajustement  - la correction - s'est fait de mon vivant, et je l'ai senti."

Elle commence à raconter qu'à 90 ans, sa grand-mère l'a fait asseoir pour lui raconter comment après avoir eu trois enfants elle fut jugée capable de voter. "Elle était l'une des personnes les plus intelligentes que je connaissais, mais elle était moindre, aux yeux de notre République" poursuit-elle. "Et cet ajustement a été fait au cours de notre vie, ce qui est magnifique. Je sentais tout cela. Je sentais ma mère, ma grand-mère avec moi."

Nous voilà en train de parler de Florence Foster Jenkins et du risque qu'il y a à utiliser nos voix. Surtout au moment de prendre la décision de partager une opinion politique, peut-être mal reçue, dans une sphère publique. Serait-elle elle-même plus prudente ? « Ouais", dit-elle en hochant la tête. "Je suis certainement plus prudente.Parce que je ne pense pas qu'une personnalité très publique nous favorise en tant qu'acteur pour entrer dans l'imagination des gens comme personnage. Je pense que si vous êtes trop en trois dimensions — les gens savent ce que vous prenez au petit-déjeuner, pour qui vous votez — il leur est plus difficile, sur le plan de la perception, de vous accepter comme tous ces personnages dans lesquels je leur demande de m'accepter." Y a-t-il un "mais" ? Il y a un "mais".

« Mais », poursuit-elle, "dans un moment où votre pays vous appelle et où votre conscience vous appelle — et nous vivons un moment extraordinaire — je ne pense pas que quiconque a le luxe de prendre du recul et de dire "Je ne veux pas m'impliquer." Vous devez le faire en quelque sorte." Elle utilise donc sa voix. Elle parle pour les générations de femmes de sa famille. Elle parle pour le Parti démocrate. Elle parle pour ceux d'entre nous qui souhaiteraient que Clint Eastwood entende. "Bonne chance" répond-elle, quand je soulève le soutien de Clint Eastwood à Donald Trump. "Cela ne fera aucune différence soupire-elle, c'est un artiste extraordinaire. Et j'attends d'un artiste une vision plus à 360 degrés du monde".

Avant de nous en rendre compte —  parce que Meryl Streep a certainement savouré chaque seconde de cet échange autant que moi, c'est évident —  nos dix minutes sont écoulées. Elle est superbe dans le film, lui dis-je en partant, comme si elle ne le savait pas. Est-ce une remarque inintéressante ? Je me demande si Meryl Streep, la plus grande de tous, a un conseil sur l'art d'accepter un compliment. Dieu sait qu'elle en reçoit beaucoup. "Ma mère dit : "Dites merci. Regardez la personne droit dans les yeux et dites merci." C'est difficile quand vous avez 13 ans et c'est difficile maintenant" dit-elle. Elle marque une pause et me regardant dans les yeux : "Mais merci."

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