Méga amende pour Crédit Suisse aux Etats-Unis... et méga leçon pour la France : pourquoi l’approche idéologique française sur la fraude fiscale ne fait pas le poids face au pragmatisme américain<!-- --> | Atlantico.fr
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La justice américaine a condamné le Crédit Suisse à payer 2,6 milliards de dollars.
La justice américaine a condamné le Crédit Suisse à payer 2,6 milliards de dollars.
©Reuters

Pragmatisme

2,6 milliards de dollars, c'est l'amende que devra payer le Crédit Suisse à l'administration fiscale américaine pour avoir démarché et aidé des Américains à s'évader fiscalement. Le 28 avril dernier, Michel Sapin se plaignait lors d'une conférence de presse en estimant que les Suisses pouvaient "aller un peu plus vite" en matière de lutte contre l'évasion fiscale. Un problème, et deux manières de le régler.

Thomas Carbonnier

Thomas Carbonnier

Maître Thomas Carbonnier est Avocat et coordinateur pédagogique du DU Créer et Développer son activité ou sa start-up en santé au sein de l’Université Paris Cité (issue de la fusion Paris 5 et Paris 7). Il est titulaire du Master 2 droit fiscal, du Master 2 droit financier et du D.E.S. immobilier d’entreprise de l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne.

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Atlantico : Récemment, la justice américaine a condamné le Crédit Suisse à payer 2,6 milliards de dollars. Dans le même temps, Michel Sapin s'est plaint il y a quelques jours sur le fait que la Suisse "pourrait avancer plus vite en matière de fraude fiscale". Quel diagnostic peut-on faire quant à notre manque de résultat ?

Thomas Carbonnier : Il est vrai que le Credit Suisse devrait payer une amende record aux USA et ce n’est pas sans raison. Cette grande banque helvétique aurait en effet reconnu hier avoir activement aidé ses clients à mentir aux services fiscaux américains en cachant des avoirs et des revenus dans des comptes logés dans des paradis fiscaux et, bien entendus, non déclarés.

Le Credit Suisse faisait partie de 14 banques basées en Suisse poursuivies pour évasion fiscale. Ainsi, notre grande banque française BNP Paribas pourrait-elle aussi être amenée à plaider coupable très prochainement ! Motif ? Blanchiment d'argent, violations de sanctions américaines contre certains pays comme Cuba, l'Iran ou le Soudan ! L'amende pourrait dépasser celle infligée à la banque Crédit Suisse.

Une des motivations de la banque à plaider coupable viserait à éviter des conséquences potentiellement désastreuses. En effet, la SEC, l’équivalent de l’AMF aux USA, aurait pu retirer ses agréments forts précieux à la banque et signer son quasi arrêt de mort. 

Toutefois, la SEC a exceptionnellement accordé une dispense. C’est probablement la contrepartie de ce plaider coupable à l’américaine : faute avouée, faute à moitié pardonnée.

La vraie question est donc de savoir si la France est capable d’en faire autant. La justice et l’administration fiscale françaises disposent-elle vraiment de moyens suffisants pour lutter contre la fraude fiscale organisée par certaines banques ? N’y-a-t-il pas un manque de volonté politique en raison de certains ministres qui seraient eux-mêmes des fraudeurs ? L’affaire du compte bancaire de Jérôme Cahuzac semble d’ores et déjà oubliée… ou presque.

Selon un rapport rédigé par Eurodad, nous serions la nation européenne qui "donnerait le plus de voie" à l'évasion fiscale, mais "la mise en œuvre des mesures resterait un problème de taille".  Que penser de ce paradoxe ? Subissons-nous un véritable problème structurel, ou manquons-nous de lucidité quant aux vraies solutions ?

Comme certains diraient, ceux sont ceux qui en parlent le plus qui en font le moins… La France est un pays où il est de bon ton de faire la révolution, de guillotiner un dirigeant, de bloquer les routes avec les camions, de bloquer l’accès aux universités, etc. Quand les cheminots ne sont pas en grève, ce sont les enseignants du collège ou lycée. Quand ce ne sont pas eux qui défilent dans la rue, ce sont les agents de la SNCF et ainsi de suite. Notre pays est le champion de la pensée, de la théorisation, du pourquoi du comment… mais lorsqu’il s’agit de trouver une solution concrète et efficace... tout devient très compliqué !

Prenons un exemple réel : en France, vous êtes innovant, vous apportez un projet de création de diplôme en formation continue clef en main avec des cautions scientifique et morale à une université. Ce projet dégagera dès la 1ère année de vrais bénéfices pour l’université d’accueil qui doit assurer son autonomie financière. Bien entendu, ce projet répond à un besoin de formation de professionnels du droit. Vous pouvez être sûr d’une chose : vous allez vous heurter à un mur. Après cela, l’université mettra en place un comité de réflexion pour développer ses formations… Notre Etat est à l’image de nos universités. Vous pourriez apporter un projet de lutte contre la fraude fiscale efficace et concret, le résultat serait identique. Pauvre France.

Les américains sont plus pragmatiques. Ils apprennent dans leurs universités à avoir une approche efficace. Ils ne passent pas leur temps à philosopher. Ils sont, le plus possible, dans le concret, la réalité, l’action. L’Etat américain est probablement, tout comme la France, le reflet de ses universités.

Suivant cette logique d’action, les USA ont été en mesure d’imposer les accords FATCA. C’est grâce à leur état d’esprit qu’ils ont réussi à convaincre le Liechtenstein de signer cet accord en mai 2014 ! La portée de ce dispositif dépasse très loin notre dispositif de régularisation fiscale, même si celui-ci va dans le sens du progrès.

Le loupé des listings de 3000 détenteurs potentiels de comptes en Suisse ne démontre-t-il pas une difficulté française à rester calme, en dehors des actions politisées, alors que nous devrions nous inspirer des Américains qui préfèrent laisser le sujet à l'administration fiscale ? Pourquoi faut-il que l'évasion fiscale soit automatiquement un sujet politisé en France ?

La France s’est dotée de moyens de lutte renforcés contre la fraude fiscale. Ainsi, les schémas de fraudes fiscales classiques réalisés par des contribuables sont généralement vite détectés et sanctionnés par l’administration fiscale.

Rappelons que le fichier EVAFISC recense des informations laissant présumer de la détention de comptes bancaires hors de France par des personnes physiques ou morales. Les informations peuvent être transmises par des tiers, tels que l’autorité judiciaire ou d’autres pays lors de la mise en œuvre de l’assistance administrative internationale. A l’aide de ce fichier, la Direction nationale des enquêtes fiscales (DNEF) analyse et vérifie les données collectées.

La France s’est également dotée d’une Brigade Nationale de Répression de la Délinquance Fiscale qui est constituée de policiers et d’agents des finances publiques (appelés officiers fiscaux judiciaires) pour intervenir de façon plus musclée... 

A ceux-ci s’ajoutent le système d'échange d'informations entre Etats membres EUROFISC, pour mieux lutter contre les fraudes internationales à la TVA (fraudes carrousel).

Le vrai problème est donc ailleurs. Le problème de fond en France est son goût pour l’idéologie fiscale. Il faudrait plutôt changer la manière d’appréhender le contribuable. Il serait souhaitable de mettre en place un système qui soit plus juste et plus efficace pour tous. Probablement par opposition au courage politique, les idées intelligentes de réforme en ce sens, elles, ne manquent pas

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