Martin Gurri : « Le bruit colossal autour de l'achat de Twitter par Elon Musk reflète la panique des élites face à la perte du monopole des opinions considérées comme acceptables »<!-- --> | Atlantico.fr
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Elon Musk a racheté Twitter pour 44 milliards de dollars.
Elon Musk a racheté Twitter pour 44 milliards de dollars.
©Brendan Smialowski / AFP

Liberté d'expression

Le patron de Tesla a acheté le réseau social pour 44 milliards de dollars. Aux Etats-Unis, l’affaire a immédiatement pris un tournant politique. Martin Gurri, l’expert en géopolitique et ancien analyste de la CIA qui avait prédit les Gilets jaunes, décrypte la volonté d'Elon Musk de garantir la liberté d'expression.

Martin Gurri

Martin Gurri

Martin Gurri est un analyste, spécialiste de l’exploitation des "informations publiquement accessibles" ("open media"). Il a travaillé plusieurs années pour la CIA. Il écrit désormais sur le blog The Fifth Wave. Il est l'auteur de The Revolt of The Public and the Crisis of Authority in the New Millennium (Stripe Press, 2014).

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Atlantico : Acheté à prix d'or, le milliardaire américain Elon Musk a racheté le réseau social Twitter. En achetant l'entreprise à l'oiseau bleu, Elon Musk veut garantir la liberté d'expression pour tous et résoudre les problèmes que le réseau a pu connaître. La liberté d'Elon Musk serait-elle meilleure que celle de Jack Dorsey ? Son arrivée à la tête du service n'échange-t-elle pas un problème contre un autre ?

Martin Gurri : Elon Musk se considère comme un "absolutiste de la liberté d'expression".  Depuis l'expulsion de Donald Trump, Twitter est devenu beaucoup plus étroitement contrôlé dans une direction qui favorise la gauche progressiste et d'une manière que les Américains, beaucoup plus que les Européens, trouvent déplaisante. Personne ne sait si Elon Musk pourra modifier l'orientation de Twitter. De grands obstacles structurels et conceptuels se dressent sur son chemin. Je ne le sous estimerais pas, cependant. Elon Musk s'est lancé dans deux industries moribondes aux États-Unis - l'automobile et l'aéronautique - et les a rendues à nouveau compétitives.  Qui sait ?  Il pourrait faire de même avec les médias sociaux.

Dans The Revolt of The Public and the Crisis of Authority in the New Millenium, vous avez analysé la perturbation de l'écosystème traditionnel de l'information par les réseaux sociaux et la manière dont ces derniers étaient devenus un moyen d'exprimer la colère du public. Elon Musk et sa philosophie sur Twitter vont-ils renforcer un phénomène déjà engagé ou est-ce anecdotique ?

L'aspect de loin le plus intéressant de ce pseudo-événement a été les cris d'agonie de ceux qui pensent que Elon Musk va effectivement changer Twitter. Nous vivons peut-être à une époque où l'imagination est limitée, mais notre capacité d'exagération rhétorique est probablement sans équivalent dans l'histoire. Un écrivain a prédit que le fait qu’Elon Musk soit propriétaire de Twitter entraînerait une Troisième Guerre mondiale. Elon Musk lui-même a été accusé d'être un raciste, un nationaliste blanc, un partisan de l'apartheid né en Afrique du Sud. Toutes les références typiques à Hitler ont été utilisées, ne serait-ce que pour prouver mon point de vue sur notre manque d'imagination.

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Le plus fascinant, de mon point de vue, est que la "liberté d'expression" est soudainement devenue un nom de code pour quelque chose de sombre et de maléfique. C'est très inhabituel aux États-Unis, où la liberté d'expression - en tant qu'idéal, du moins - est généralement traitée comme un commandement biblique. L'association avec Elon Musk a entaché la liberté d'expression de racisme, de misogynie, d'homophobie, tous les monstres et les fantômes qui hantent les rêves enfiévrés de la gauche. Il est clair, depuis un certain temps, que la gauche déteste la liberté d'expression - mais il était révélateur, pour moi, de les entendre le dire tout haut.

Dans l’un de ses tweets, Elon Musk affiche son objectif concernant le réseau social "Les attaques arrivent à grands pas, principalement de la gauche, ce qui n'est pas une surprise, mais je dois préciser que la droite sera probablement un peu mécontente aussi. Mon objectif est de maximiser la surface sous la courbe du bonheur humain total, c'est-à-dire les ~80 % de personnes qui se trouvent au milieu". Dans quelle mesure s'agit-il d'un point de technique intellectuelle ?

Toutes les études que j'ai vues montrent que Twitter représente de manière disproportionnée les opinions de la classe de l’élite, et non de la population dans son ensemble. Les États-Unis sont une nation divisée. Nos politiques reflètent cette division. Les élites sont monolithiquement à gauche.  Les opinions alternatives - celle des chrétiens croyants, par exemple - ne sont jamais dépeintes autrement que comme des abominations morales. Bien sûr, les élites politiques et culturelles n'ont aucun statut légal pour ce semi-monopole. Il se trouve simplement qu'elles contrôlent les moyens de communication. Le bruit colossal autour de l'achat de Twitter par Elon Musk reflète la panique des élites face à la perte de contrôle.

Twitter a-t-il vraiment un impact sur les fractures politiques et sociales d'un pays ? Les batailles sur le réseau ont-elles lieu dans le monde réel ?

Twitter a-t-il un impact sur la politique américaine ? C'était certainement le cas lorsque Donald Trump tweetait à ses 88 millions de followers sur la plateforme - et je suppose que c'est toujours le cas, même si je vois moins bien comment cela fonctionne sans Donald Trump.  Dans la mesure où Twitter devient plus représentatif du pays en général - y compris les voix de la plupart ou de toutes nos nombreuses factions - son influence devrait augmenter. Si Elon Musk peut y parvenir, il aura rendu un grand service à la sphère de l'information et à la politique américaines.

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