Manon ne veut pas aller en CE2 : comment aider son enfant, harcelé et insulté à l'école<!-- --> | Atlantico.fr
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"Manon se tient assise au fond de chaise, bras croisés, sourcils froncés et regarde fixement mes pieds pendant que sa mère m’expose la situation." (illustration
"Manon se tient assise au fond de chaise, bras croisés, sourcils froncés et regarde fixement mes pieds pendant que sa mère m’expose la situation." (illustration
©Reuters

Bonnes feuilles

La journée nationale contre le harcèlement scolaire a lieu ce jeudi 3 novembre. Dans ce livre, à contre-courant des idées reçues, Emmanuelle Piquet indique la bonne posture à adopter par les parents, voulant bien faire, sans risquer d'aggraver les choses. Pour ce faire, il suffit de ne pas se mettre entre le monde et l'enfant ou l'adolescent, ne pas le surprotéger, mais l'aider à se défendre par lui-même. Extrait de "Te laisse pas faire !", d'Emmanuelle Piquet, aux éditions Payot 1/2

Emmanuelle Piquet

Emmanuelle Piquet

Psychopraticienne, formatrice, et auteure, Emmanuelle Piquet est diplômée en thérapie systémique et stratégique. Elle consulte à Lyon et à Mâcon, notamment pour traiter les souffrances des enfants.
Elle a publié "À quoi ça sert de vivre si on meurt à la fin ?" et "Sous l'escalier". Le 1er octobre 2014 sort son nouveau livre à destination des parents d'enfants harcelés : "Te laisse pas faire".

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MANON NE VEUT PAS ALLER EN CE2

Il reste une semaine avant la rentrée des classes. La mère de Manon est un peu affolée. Sa fille a refusé d’aller faire les courses pour acheter les fournitures scolaires et affirme qu’elle ne fera pas la rentrée, qu’elle s’enfuira dès qu’elle aura remis les pieds dans cette école. Chaque fois que, de la façon la plus indirecte possible, sa maman y fait allusion ces derniers jours, Manon entre dans des crises de larmes rageuses et refuse toute discussion.

Elle se tient assise au fond de chaise, bras croisés, sourcils froncés et regarde fixement mes pieds pendant que sa mère m’expose la situation. Cette dernière m’explique notamment que, pour des raisons familiales, elle ne pourra pas la changer d’école cette année. Je la raccompagne dans la salle d’attente en la remerciant pour ses explications et, une fois revenue dans la pièce, me cale également au fond de ma chaise en fixant les pieds de Manon d’un air sinistre pendant environ une minute. Elle sourit faiblement.

Alors je lui dis que, si elle ne veut pas retourner dans cette école, c’est qu’elle a évidemment d’excellentes raisons, mais que, visiblement pour l’instant, elle n’a pas réussi à convaincre sa maman. Peut-être que je peux l’aider. Mais peut-être préfère-t-elle tenter jusqu’au bout sa solution actuelle. C’est à elle de voir.

Manon arrête de sourire et me demande d’un air sceptique :

"Tu serais d’accord pour la convaincre de me changer d’école ?

– Je ne sais pas pour l’instant. Moi, je fais détective comme métier. Tant que je n’ai pas toutes les informations en main, je ne dis pas si j’accepte ou pas la mission. Trop dangereux".

Il est vraisemblable que c’est, cette fois-ci, mon côté FBI qui lui fait décider que je suis trop étrange pour être dangereuse. "C’est Caciopée", me dit-elle.

– Ah, ben oui, évidemment, lui dis-je.

– Quoi ?

– Caciopée la méchante.

– Tu la connais ?

– Les fées m’en ont vaguement parlé, dis-je. Parce que, comme tu le sais sans doute, nous sommes dans ce cabinet juste à côté d’une usine de fées qui fabriquent des formules magiques et des flèches pour les enfants qui ont des problèmes.

– Oui, je sais, dit Manon d’un air entendu. Juste derrière dans la rue, c’est ça ?

– Exactement.

– Et qu’est-ce qu’elles t’ont raconté exactement ? me demande Manon d’un air soucieux.

– Rien de bien utile pour l’instant, dis-je l’air navré à mon tour. J’ai besoin de tes informations à toi. Qu’est-ce qu’elle fait exactement ? Est-ce qu’elle est moche ou jolie ? Est-ce qu’elle a de bonnes notes ? Qu’est-ce que tu lui dis, toi ? Enfin bref, tu vois, tous les éléments qu’un détective a besoin de connaître.

– Elle vient vers moi depuis le début du CE1 et elle me dit que je suis trop la plus moche, que je suis mal habillée, que je ressemble à une grenouille et que je ne serai jamais son amie parce que justement je suis trop moche.

– Ah oui ? Et elle dit ça quand, où, devant qui ?

– Pendant la récré, surtout celle du matin, et à l’heure de la cantine. Devant Gladys, Sophia et Bérénice et des fois devant d’autres gens.

– Et qu’est-ce que tu dis, toi ?

– Je dis plus rien. Au début, je lui disais d’arrêter. Ça ne changeait rien. Après, je l’ai dit à la maîtresse qui l’a punie une fois. Et là, ça a été horrible, elle venait vers moi en se cachant de la maîtresse et elle disait dans mon oreille : “grenouille rapporteuse, t’es encore plus moche que ce que je pensais”.

– Ah oui, donc ça n’a pas marché la punition.

– Non. Maman dit que je dois faire comme si je n’entendais pas, mais ça marche pas non plus, elle insiste encore plus jusqu’à ce que je pleure.

– Tu as pleuré souvent ?

– Pas souvent, mais des fois. Je déteste ça, pleurer devant elle. Elle dit que je suis encore plus moche quand je pleure. C’est vrai d’ailleurs. Je suis pas très belle, mais quand je pleure c’est horrible. De toute façon, si jamais je pleure pas, je m’en vais dans les toilettes pour me cacher et elle sait bien que je vais pleurer. C’est pareil.

– Je comprends que tu n’aies plus envie de te retrouver devant elle, que tu aies envie d’une seule chose, de changer d’école. En tout cas, si on ne change rien, le CE2 va être sûrement pire que le CE1, elle va continuer à te traiter de grenouille moche, à te faire pleurer, ce qui est ce que tu détestes le plus au monde et ta vie va être un long cauchemar en dehors des week-ends et des vacances.

En plus, je me dis que le plus horrible qui pourrait arriver, c’est que, dans la nouvelle école, il y ait une deuxième Caciopée. Alors, là, on serait vraiment embêtées, toi et moi. Et comme on a les fées à côté, peut-être qu’on pourrait leur demander de nous aider à trouver une parade. Et alors tu t’entraînerais sur Caciopée cette année pour être prête dans la prochaine école, si jamais tu arrives à convaincre maman.

– Je vais les voir les fées ?

– Non, malheureusement, elles ont peur des enfants. Mais elles vont passer par moi, tu vas voir comment. Dis-moi, j’ai l’impression que moins tu te défends toute seule et plus elle devient méchante, non ?

– Oui, peut-être. Mais tu veux que je dise quoi ? On peut rien lui dire à Caciopée, elle a de grands cheveux blonds, toujours des trop beaux habits et des très bonnes notes. Et puis c’est la chef de la classe, et même des CP.

– C’est bien pour ça qu’on va avoir besoin de l’avis des fées. Alors, là, elles sont en train de nous écouter, ensuite, elles vont nous proposer quelque chose. Tu dois bien regarder mes oreilles car elles vont bouger dès que les fées me donneront la formule magique."

Manon est penchée en avant, et, maintenant, ce sont mes oreilles qu’elle regarde en souriant.

Extrait de "Te laisse pas faire !", d'Emmanuelle Piquet, publié aux éditions PayotPour acheter ce livre, cliquez ici

©Editions Payot & Rivages, 2014

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