Manifestations anti RN : la peur, ça n’est plus vraiment maintenant<!-- --> | Atlantico.fr
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Des manifestants mobilisés contre le Rassemblement national, sur le site de la place de la Nation le 15 juin 2024.
Des manifestants mobilisés contre le Rassemblement national, sur le site de la place de la Nation le 15 juin 2024.
©SAMEER AL-DOUMY AFP

Mobilisation des forces de gauche

Entre 250.000 et 640.000 opposants au Rassemblement national ont défilé samedi à travers la France à l’appel des syndicats et du Nouveau Front populaire.

Aurélien Marq

Aurélien Marq

Aurélien Marq est haut fonctionnaire, auteur de "Refuser l'arbitraire" (Editions FYP, 2023).

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Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet est essayiste et auteur de nombreux ouvrages historiques, dont Histoire des présidents de la République Perrin 2013, et  André Tardieu, l'Incompris, Perrin 2019. 

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Atlantico : Un peu plus de 180 manifestations se déroulaient ce week-end contre l'extrême droite avant le vote des législatives. La CGT a revendiqué 640.000 manifestants en France, ils étaient 250.000 d'après le ministère de l'Intérieur. Qu’est-ce que traduisent les chiffres de la mobilisation de samedi contre le RN, notamment par rapport à l’ampleur de la mobilisation du 1er mai 2002, lorsque plus de 1.300.000 personnes étaient dans la rue pour protester contre la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour de l'élection présidentielle ?

Aurélien Marq : L'écart entre les estimations des syndicats et des autorités est quand même très important entre les deux évaluations. C'est plus que du simple au double. Les chiffres de la mobilisation contre le RN sont spectaculaires mais pas forcément aussi massifs que certains organisateurs auraient pu le vouloir.

Le parallèle avec d’autres manifestations comme celle organisée après le 21 avril 2002 contre le FN de Jean-Marie Le Pen ou lors du rassemblement après les attentats contre Charlie Hebdo témoigne d’une mobilisation beaucoup plus faible ce samedi. Il y avait eu 4 millions de personnes pour Charlie Hebdo. Les autorités ont recensé 250.000 personnes ce samedi. L’ampleur de la mobilisation est beaucoup plus faible.

Cela traduit la mobilisation des forces de gauche. Le Rassemblement national est arrivé en tête des élections européennes, est en tête dans tous les sondages d'opinion. Il est donc difficile d’imaginer une mobilisation massive à travers le pays qui se ferait contre le RN.

Cette manifestation va peut-être démobiliser une partie de l'électorat de gauche. La gauche dite républicaine pourrait ne pas suivre ce mouvement d'alliance avec l'ultra gauche et notamment l'ultra gauche antisémite.

Les quelques incidents en marge des manifestations de samedi témoignent de la très grande tolérance des leaders ou des grandes figures du mouvement qui se structure avant tout autour de LFI. Sur le plan idéologique, le mouvement fait preuve d’une très grande tolérance envers la violence politique. Les discours des leaders de LFI ne peuvent que créer un climat propice à des débordements.

Maxime Tandonnet : Les rassemblements de samedi contre le RN ont été beaucoup moins mobilisateurs que les manifestations organisées après le 21 avril 2002, lors de l’accession de Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle.

Cette différence, en termes de mobilisation, traduit la banalisation du Rassemblement national. La peur du RN ou l'hostilité envers le RN est beaucoup plus marginale qu'elle ne l’était, il y a 25 ans. La crainte et le rejet du RN ne suscitent pas la même réaction viscérale qu'en 2002.

Les militants de gauche savent bien que si des débordements avaient éclaté lors des rassemblements de samedi, ces images auraient profité au Rassemblement national dans les intentions de vote pour les élections législatives.

Des mobilisations en opposition à l'extrême droite se sont déroulées dans toute la France ce samedi, à l’appel de syndicats, d’associations et du Nouveau Front Populaire, l’union des partis de gauche. Quelles étaient les revendications précises des manifestants lors des rassemblements de samedi à travers l’Hexagone ?

Maxime Tandonnet : Il n’y avait pas de revendication précise, en dehors de slogans en faveur des Palestiniens et de Gaza. L’objectif était de manifester contre l’arrivée possible du RN au pouvoir. L’idée était de refaire le mouvement qui avait eu lieu en mai 2002, entre le premier et le second tour des élections présidentielles, quand Jean-Marie Le Pen, leader du Front national, s’était qualifié contre Jacques Chirac. Des manifestations s’étaient déroulées dans toute la France sur le thème « F comme fasciste, N comme nazi » ! On peut parler d’une sorte d’avertissement lancé à l’électorat et destiné à faire pression sur lui : si vous portez le RN au pouvoir, nous allons mettre le feu au pays. Ce genre de chantage est à double tranchant. Il peut certes faire peur, mais surtout, il peut aboutir au résultat inverse. 250 000 manifestants sur un corps électoral de 50 millions de personnes cela fait à peine un sur 200. Ce mouvement donne le sentiment d’une infime minorité qui prétend imposer sa règle au suffrage universel. On est là dans une logique qui n’a rien de démocratique.

Aurélien Marq : Je ne crois pas qu'il y ait des revendications précises communes à tous, à part la plus évidente : "tout sauf le RN !" Sincère chez certains, simple prétexte chez d'autres qui recherchent un défouloir, une opportunité de mobilisation, ou beaucoup plus cyniquement une "excuse" pour casser, ou pour se livrer à des démonstrations de force dignes pour le coup du vrai fascisme. Sans surprise, s'y ajoutent quelques autres revendications comme celles tournant autour de la "cause palestinienne", mais il n'est pas du tout évident qu'elles fassent l'unanimité au sein des cortèges.

Je reviens un instant sur cette revendication de "tout sauf le RN" : ce n'est malheureusement pas une facilité sémantique. Pour beaucoup, "tout sauf le RN" c'est bel et bien "tout", tout y compris la Jeune Garde, tout y compris le NPA qui au soir du 7 octobre publiait un communiqué où il "rappel(ait) son soutien aux PalestinienNEs et aux moyens de lutte qu'ils et elles ont choisi pour résister". C'est donc "tout" y compris le pire, "tout" à commencer par des gens qui ont réellement, et qui revendiquent fièrement avoir, les caractéristiques que les manifestants attribuent au RN (généralement à tort) et qu'ils prétendent condamner chez lui.

- Que dire du déroulement de la manifestation, particulièrement dans le contexte actuel, où les rassemblements peuvent parfois devenir le théâtre de violences ?

Aurélien Marq : Quand un mouvement politique ne voit aucun problème à ce qu'il y ait en son sein des gens qui qualifient un pogrom de "moyen de lutte pour résister" et qui apportent leur "soutien" à ce "moyen de lutte", le risque de violences est omniprésent.

Je n'oublie pas les déclarations de Clémentine Autain, qui affirme s'inquiéter des violences de l'ultra-droite alors que depuis dimanche soir, sauf erreur de ma part, il n'y en a eu aucune (et je ne doute pas que s'il y en avait eu les médias les auraient abondamment relayées) alors qu'elle n'a rien dit des violences que l'on savait déjà être commises par ceux qui se réclament de son camp. S'inquiète-t-elle vraiment, ou cherche-t-elle par avance à excuser les violences de l'ultra-gauche en les présentant comme défensives ?

Maxime Tandonnet : Quelques débordements et dégradations ont été constatés par endroit mais on ne peut pas parler d’émeutes insurrectionnelles comparables aux événements de la réforme des retraites, en tout cas pour l’instant. En effet, les manifestants savent très bien que la poussée du RN est avant tout une réaction contre le chaos, la violence et la criminalité qui frappent le pays, la révolte des banlieues de l’an dernier, la répétition des meurtres ou viols commis par des personnes en situation irrégulière en France (« sous OQTF ») ressentis comme insupportables par l’opinion car ils dénotent l’impuissance de l’Etat à faire respecter la loi. Alors, les manifestants savent que des scènes de pillages, d’incendie, d’agressions contre la police ne peuvent que renforcer le vote RN. C’est sans doute la raison pour laquelle sauf exceptions, le mouvement d’hier ne semble pas, globalement, avoir dégénéré en termes de violences et destructions.

- Dans quelle mesure les déclarations de certains membres du Front Populaire valident-elles l’utilisation de la violence à des fins politiques comme mode d’action légitime ? Y-a-t-il une forme de consensus à ce sujet chez certains individus ? On a notamment aperçu une pancarte indiquant « Un flic qui meurt = un vote RN en moins »…

Aurélien Marq : C'est la différence entre "extrême" et "ultra". Un "ultra" considère que la violence illégale est un mode d'action politique légitime. Il y a hélas depuis longtemps, peut-être depuis toujours, une grande complaisance de la gauche envers l'extrême-gauche, et de l'extrême-gauche envers l'ultra-gauche - fantasmes de prise du pouvoir par la rue et de "grand soir". Un de vos collègues évoquait il y a peu et à juste titre Andreas Malm. Il y a quelques jours, François Camé rappelait sur twitter/X certains écrits de Trotsky dans "Leur morale et la nôtre", dans lesquels il voit une matrice idéologique de Jean-Luc Mélenchon - en gros, tout est permis pour gagner.

Pour autant, il me semble que cette complaisance vient de franchir un nouveau cap : qu'on y songe, un ancien président de la République, François Hollande, sera candidat sous la même bannière que des individus qui justifient explicitement le pogrom du 7 octobre ! Et on aura beau nous dire qu'un accord a été trouvé pour qualifier enfin le Hamas d'organisation terroriste, Clémentine Autain s'est hâtée de reformuler à sa manière pour expliquer que le Hamas "est une organisation qui a commis des actes terroristes" mais "qui incarne sur place la résistance palestinienne." Dans un cortège, aujourd'hui, une militante (voilée) du "nouveau front populaire" criait : "la gauche française fait machine arrière et qualifie la résistance de terroriste. Nous ne l'acceptons pas. La résistance palestinienne s'est levée contre le sionisme." Personne parmi les organisateurs, à ma connaissance, ne lui a demandé de quitter la manifestation, ni n'a sollicité l'intervention des forces de l'ordre pour l'interpeller.

Quant à la pancarte que vous mentionnez, on pourrait n'y voir qu'une version actualisée du classique et symbolique "salaud, le peuple aura ta peau", mais malheureusement le contexte actuel de violences accrues contre les forces de l'ordre, et notamment la proximité entre l'extrême-gauche et certains mouvements islamistes, oblige à prendre très au sérieux non seulement cette pancarte, mais le fait que la foule l'ait tolérée. Tout comme il faut prendre très au sérieux les slogans "Jordan t'es mort". Imaginez un instant que dans un cortège pro-RN des groupes crient "Mélenchon t'es mort", l'indignation serait - à juste titre - immédiate et générale. Mais là, rien. Imaginez, de même, que dans un cortège pro-RN des gens qualifient un groupe terroriste de "résistance" ou justifient un pogrom. En fait non, car ce scénario-là est inimaginable : même ceux qui renvoient en permanence Marine Le Pen aux outrances de son père savent parfaitement que ni elle, ni Jordan Bardella, ni Malika Sorel, ni Guillaume Bigot, ni Charles-Henri Gallois, ni aucun de ceux qui portent aujourd'hui les couleurs du RN, ni aucun de ceux qui les soutiennent, que ce soit Eric Ciotti ou Marion Maréchal, ni même aucun membre des autres partis de droite, que ce soit dans l'entourage de François-Xavier Bellamy ou dans celui d'Eric Zemmour, ne tolérerait ne serait-ce qu'un instant la violence et la haine qu'exalte ce "nouveau front populaire". C'est bien pour ça que prétendre renvoyer dos-à-dos "les extrêmes" est irresponsable, que les déclarations de certains au centre qui disent préférer le "nouveau front populaire" au RN sont indignes, et que le ralliement de la gauche à l'extrême-gauche et à l'ultra-gauche est criminel, tout comme est criminelle, vertigineusement criminelle, sa manière de considérer la question de l'antisémitisme comme un détail secondaire qui ne doit pas se mettre en travers d'une alliance.

Maxime Tandonnet : Le thème du racisme et du fascisme du RN est toujours au centre du discours du nouveau front populaire (NFP), à l’image de la déclaration de M. Ruffin selon lequel « Bardella, c’est Macron plus le racisme ». A ce titre, le RN serait illégitime même en cas de victoire électorale car les valeurs antiracistes, selon l’alliance de gauche, prévalent sur la loi du suffrage universel. On a eu cette pancarte appelant au meurtre de « flics » que vous mentionnez et aussi des scènes, largement médiatisées, de discours antisionistes ou anti-Israël d’une extrême virulence. Au fond, les manifestations, en tout cas les plus importantes, notamment celle de Paris, oscillaient entre protestations contre l’arrivée au pouvoir du RN et condamnation virulente d’Israël. La parole anticoloniale et anti capitaliste était au centre des slogans. Il est certain que le ton idéologique et l’extrémisme virulent qui s’est exprimé par endroit lors de ces manifestations ne peut que relativiser celui qui est généralement prêté au RN. Et tout cela fait plutôt ses affaires…

- Au vu du contexte actuel et de l’éventuelle victoire du Rassemblement national lors des élections législatives, dans quelle mesure faut-il craindre une dégradation du contexte sécuritaire en France, notamment à l’approche des Jeux Olympiques ?

Aurélien Marq : J'ai lu que Gérald Darmanin avait déclaré que "les premières réactions constatées, notamment de l'ultra-gauche, conduisent les services de renseignement à considérer la période pré-électorale et celle suivant le scrutin comme extrêmement sensibles."

Une victoire du RN ne poserait en elle-même aucun problème sécuritaire, c'est la réaction éventuelle de l'ultra-gauche et de certains "quartiers" qui constitue une menace. Toutefois, dans cette configuration il est très probable que le nouveau gouvernement soit moins frileux que ses prédécesseurs face aux casseurs, ce qui est un élément rassurant.

En cas du maintien du statu quo actuel, il est également possible que l'ultra-gauche chauffée par des semaines de manifestations anti-RN veuille un "troisième tour" dans la rue, en s'attendant de surcroît à rencontrer de la part de l’État une opposition moins ferme que dans le scénario précédent. Il est de notoriété publique que l'extrême-centre se montre beaucoup plus répressif contre les Gilets Jaunes que contre les Black Blocs....

Mais ce serait bien pire en cas de victoire du "nouveau front populaire" : ce qu'il faudrait craindre le plus dans cette dernière hypothèse n'est pas la réaction de l'ultra-droite, mais que l'ultra-gauche se sente triomphante, se pense (à tort ou à raison) soutenue par le nouveau pouvoir, et soit donc totalement désinhibée. En outre, même si elles se plieront naturellement au résultat des urnes quel qu'il soit, les forces de l'ordre auraient du mal à faire immédiatement confiance à des autorités politiques qui ont si souvent pris parti contre elles. Il en résulterait inévitablement une période de flottement, particulièrement malvenue pendant les Jeux Olympiques.

D'après Le Monde, Emmanuel Macron aurait dit : "Je suis ravi. Je leur ai balancé ma grenade dégoupillée dans les jambes. Maintenant on va voir comment ils s'en sortent." On va voir en effet, mais entre l'augmentation très forte des violences en France depuis quelques années, les JO organisés dans une agglomération totalement inadaptée, l'anniversaire des émeutes ayant suivi la mort de Nahel, la situation toujours très dégradée en Outre-Mer, et maintenant le "théâtre antifasciste" qui sert de prétexte aux nervis authentiquement fascistes de l'ultra-gauche, on ne peut que noter qu'Emmanuel Macron est surtout "ravi" de jouer avec la sécurité des Français.

Maxime Tandonnet : D’abord, il faut savoir quelle serait l’ampleur de la victoire du RN. En effet, s’il gagne avec une majorité absolue, il sera forcément chargé de former le gouvernement, et l’humiliation du chef de l’Etat, ayant fait de la lutte contre la « peste nationaliste » le centre de son combat, atteindra son paroxysme.

En revanche, selon le scénario bien plus probable d’une majorité relative, on peut imaginer un arrangement à l’Assemblée nationale entre les survivants de Renaissance et les élus du NFP pour désigner un gouvernement à tonalité « progressiste », donc marqué nettement plus à gauche que les derniers depuis 2022. De cela, un président venu du parti socialiste, peut fort bien s’accommoder sur le plan de l’hubris, malgré le risque d’instabilité chronique et de paralysie.

Dans la première hypothèse, celle d’une majorité absolue et d’un gouvernement RN, faut-il craindre une flambée de violence qui pourrait perturber les JO ? Ce n’est pas le plus probable dans l’immédiat. Cette victoire agira comme un coup de massue. La gauche idéologique sera comme assommée par le choc. Ce sera le temps des commentaires… Comment en sommes-nous arrivés là… Et puis les vacances… En outre, il est difficile de contester dans la rue, aussitôt après une élection, le verdict des urnes. Le chaos absolu viendra plus tard, à partir de septembre et ensuite, face aux premières mesures d’un éventuel gouvernement RN.

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