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Manifestation de chauffeurs d'Uber : syndicalisme, justice, concurrence, tous ces “petits” problèmes auxquels résiste très bien la société star des VTC
©Reuters

Uberisation des mouvements sociaux

Pour la première fois les chauffeurs de VTC manifestent contre leurs conditions de travail qui se sont retrouvées dégradées avec des salaires et un prix minimum de course au plus bas. Uber est une application actuellement valorisée à plus 60 milliards de dollars mais ne semble pas intouchable en raison notamment des réglementations de plus en plus restrictives à son égard.

Yves Crozet

Yves Crozet

Yves Crozet est Professeur à l’Université de Lyon depuis 1992. Aujourd’hui en poste à Sciences Po Lyon (IEP Lyon). Il est membre du Laboratoire d’économie des Transports (LET) qu’il a dirigé de 1997 à 2007. 

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Atlantico : Aujourd'hui a lieu une manifestation des chauffeurs de VTC dénonçant les conditions de travail qui se dégradent selon eux. Que risque l'application UBER face aux chauffeurs qui s'organisent en syndicats ?

Yves Crozet : Chassez le naturel, il revient au galop. Au début de l’été c’étaient les chauffeurs de taxis traditionnels qui manifestaient contre les chauffeurs UBER. Aujourd’hui ce sont les chauffeurs UBER qui protestent contre les conditions tarifaires que leur impose leur maison mère. Décidément, la protestation est bien le plus grand dénominateur commun de toutes les corporations françaises !

Cette manifestation doit faire sourire les chauffeurs de taxis car ce que demandent implicitement les chauffeurs de VTC, c’est une réglementation qui les protégerait contre les décisions de la multinationale UBER. Or les VTC et UBER ,’ont pu se développer que parce que la profession des taxis est progressivement déréglementée : liberté tarifaire, licence de taxi non nécessaire pour les VTC… Comme souvent quand on déréglemente, les nouveaux entrants dans une profession doivent « essuyer les plâtres ». Ainsi, les chauffeurs d’UBER découvrent qu’ils ne sont pas les mieux placés dans la chaîne de valeur. Ils conduisent le véhicule mais ce n’est pas la principale valeur ajoutée de leur service. Les clients qu’ils transportent sont venus à eux parce qu’ils avaient téléchargé l’application UBER. C’est cette dernière, avec sa capacité de rapprocher instantanément l’offre et la demande qui est l’innovation clé, et ce sont les propriétaires de l’application qui raflent la mise. Tout comme il y a quelques années c’était la structure G7 qui ponctionnait les revenus des taxis car elle leur fournissait l’accès au central d’appel. Nous sommes dans une relation classique de domination fondée sur une asymétrie des pouvoirs. La manifestation ne peut rien au fait que celui qui fournit l’application détient le pouvoir. Des chauffeurs peuvent quitter UBER, d’autres sont prêts à prendre le relais.

Quelles sont les principales menaces qui pèsent sur l'application UBER en France et dans le monde ?

Les principales menaces pour UBER ne sont pas les réglementations. Ils ont dû reculer avec UBERpop mais cela ne remet pas en cause leur fonds de commerce principal qui réside dans l’évolution de la profession de taxi. L’accès très restreint à la profession, fondé sur un sévère quota de licences, est en train de disparaître avec les VTC qui attirent beaucoup de nouveaux candidats. Même si les pouvoirs publics ont paru fermes dans le cas d’UBERpop, la déréglementation est bel et bien en œuvre.

Elle est nécessaire car les courses en taxis avaient tendance à devenir un produit de luxe. Les chauffeurs recherchent prioritairement les courses très rémunératrices, au prix d’attentes de plusieurs heures dans les aéroports. Cela accentue la frustration des chauffeurs qui passent des heures à attendre. Symétriquement cela dissuade les clients des petites courses, découragés par les prix et le peu d’intérêt  du chauffeur pour les petites courses. Pour simplifier le système conduit à ce que chaque chauffeur fait peu de courses très chères alors que le même chiffre d’affaires pourrait être réalisé avec plus de courses moins coûteuses. Les VTC un des moyens de sortir de cette « solution en coin », qui n’est bonne pour personne.

Actuellement leader sur le marché avec une valorisation à 60 milliards de dollars en bourse, la position d'hégémonie d'UBER peut-elle durer ? L'application pourrait-elle subir l'arrivée d'autres concurrents sur le marché ?

Comme beaucoup de leaders de la digitalisation de la vie quotidienne (Facebook, Google, Amazon, Blablacar…) UBER a une position hégémonique car tout le monde a intérêt à profiter des rendements croissants de la massification. Ainsi, l’application UBER fonctionne dans la plupart des pays. Quand vous arrivez en Chine ou en Inde, vous ouvrez l’application téléchargée à Paris et vous savez immédiatement s’il y a des taxis UBER à proximité. Si des concurrents veulent lancer une application concurrente, comme ont tenté de le faire des chauffeurs de taxis parisiens, ex-chauffeurs UBER, le risque est de rester à une échelle confidentielle. Qui chargera une application qui ne serait valable qu’à Paris ? UBER étant le premier arrivé, il correspond au modèle économique de l’effet superstar  où « le premier arrivé prend tout ».

C’est cette puissance potentielle qui affole les financeurs et les pousse à valoriser les titres UBER à des niveaux vertigineux. Des concurrents existent pourtant, notamment LYFT aux Etats-Unis. Il n’est pas impossible que dans des grands pays comme la Chine ou l’Inde une application concurrente puisse s’imposer sur le marché national. UBER sait que sa position est fragile à terme car une application plus performante peut apparaître et les chauffeurs n’ont aucune raison d’être fidèles à UBER qui s’efforce, par conséquent, de tuer dans l’œuf d’éventuels challengers.

Quelle solution trouver pour normaliser les conditions de travail précaires des chauffeurs de VTC ?

Les chauffeurs UBER ne sont pas des salariés mais des travailleurs indépendants, ils ne sont pas obligés de travailler avec UBER qui n’est pas leur employeur. Et ce que cherche le client d’un taxi, avant la course, c’est de trouver un taxi ! L’information est le point clé de la chaîne de valeur. Celui qui la détient contrôle le système. Chassez le naturel, il revient au galop !

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