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Malek Boutih : "Les plus impatients de parler de l'islam, ce sont les musulmans"
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Laïcité républicaine

Membre du bureau national du Parti socialiste, Malek Boutih revient pour Atlantico sur le débat sur la laïcité qui agite la classe politique française et insiste sur la force de notre modèle républicain.

Malek Boutih

Malek Boutih

Malek Boutih est membre du bureau national du Parti socialiste et député de l'Essonne, auteur du rapport "génération radicale".

Il a par ailleurs été Président de SOS Racisme de 1999 à 2003.

 

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Atlantico : Quel regard portez-vous sur le débat actuel autour de la laïcité ?

Malek Boutih : La première remarque qui saute aux yeux c’est qu’il n’y a pas de débat. Il y a un débat sur le débat. Mais il n’y a pas de débat véritable sur la laïcité. Une séance quasi-clandestine se tiendra à l’UMP, mais c’est tout.

Il s’agit donc plutôt d’un message subliminal envoyé par Jean-François Copé : nous avons affaire en réalité à une instrumentalisation sémantique de l’enjeu laïc pour émettre un message. C’est plus l’induit que l’explicite qui est recherché à travers ce débat. C’est la raison pour laquelle il existe une confusion permanente entre laïcité, immigration et islam.

En vérité, c’est une opération politique dont on voit très bien les grosses ficelles. Il s’agit de camoufler le plus longtemps possible le bilan économique et social de la droite. Il suffit de comparer les promesses présidentielles avec leurs résultats pour s'apercevoir qu’on est loin du compte.

Ce débat est donc une stratégie pour trouver une autre ligne de clivage. C’est une sorte de gloubigoulba tel que la droite en a l’habitude, une régression intellectuelle et politique qui est déconnectée des vrais enjeux de la société française.

Un débat serein sur l’islam est impossible aujourd’hui en France ?

Je vais vous dire une chose : ceux qui sont aujourd’hui les plus impatients de parler de l’islam en France sont les musulmans. Eux-mêmes souffrent de l’image renvoyée par l’islam, de la désorganisation de cette religion sur le territoire national. Donc ils sont demandeurs d’un débat.

Mais il faut faire la part des choses : tout ce qui concerne le contenu des pratiques religieuses concerne les croyants eux-mêmes. Pas les autres. Alors quand j’entends Jean-François Copé proposer aux musulmans de faire la prière le vendredi et en francais pas en arabe, j’ai envie de dire : de quoi se mêle-t-il ? [NDLR : Jean-François Copé est par la suite revenu sur cette proposition]. L’État n’a pas à se mêler d’une affaire privée et il faut garantir le caractère apaisé de ce débat.

Par ailleurs, parmi les difficultés à surmonter figure l’action de groupuscules violents et islamistes qui veulent interdire ce débat. L’imam de Drancy a ainsi eu affaire à eux. En outre, des enjeux énormes d’argent et d’influence existent au sein de la religion musulmane : il n’y a qu’à voir les milliards d’euros que draine l’industrie halal. Enfin, comme le souligne à juste titre le texte cosigné par des représentants de six grandes religions de France ce mercredi 30 mars dans Le Parisien, l’UMP n’a pas la légitimité requise pour débattre en son sein et édicter sa propre conception de la laïcité. Le débat ne peut avoir lieu que si toutes les parties prenantes sont d’accord.

N’existe-t-il pas une peur aujourd’hui de débattre de l’islam en France, notamment au sein du Parti socialiste?

Une peur, je ne crois pas. Je ne dis pas que ca n’a pas existé, notamment après les attentats du 11 septembre 2001, mais qui n’avait pas cette peur à ce moment là ?

Au Parti socialiste, Martine Aubry n’a jamais développé sa propre conception de la laïcité. Elle n’en a qu’une conception consensuelle, une conception d’une laïcité souple, où finalement le politique ne se mêle pas trop, laisse la religion tranquille et accepte certains comportements. Sur la question du voile par exemple, le Secrétaire national à la coordination Harlem Désir a toujours défendu l’idée que les femmes s’émancipent toujours en allant à l’école, même si elles portent le voile.

En ce qui me concerne, je suis plus exigeant : j’estime que c’est en étant exigeant que l’on a permis à de nombreux catholiques de renouer avec la liberté religieuse et je pense que nous devrions procéder de même pour aider certains musulmans à s’émanciper de leur milieu. Je suis dans une culture laïque de gauche qui est liée à une culture de refondation, à une laïcité plus exigeante, à une laïcité de combat.

Pensez-vous que ce débat autour de la laïcité bénéficie à Marine Le Pen ?

Ce n’est qu’une partie du problème. La structure qui porte le FN est beaucoup plus profonde. Elle s’inscrit davantage dans la crise. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je pense que la droite fait une erreur quand elle pense récupérer des voix au Front national en lançant ce débat. Considérer que le FN ne prospère que sur ce sujet là est une conception dépassée. Il ne permet pas d’expliquer la dynamique électorale dans laquelle le FN se trouve actuellement.

Finalement, au-delà de la question de l’islam, ce débat n’illustre-t-il pas la difficulté qu'a la société française à aborder la question de l’immigration, y compris l’immigration de 2ème ou 3ème génération ?

Par rapport aux autres pays européens, la France se trouve dans un paradoxe. Notre pays connaît une crise politique forte autour des enjeux d’immigration ou d’identité nationale et possède le parti d’extrême-droite peut-être le plus ancien d’Europe (souvenons-nous que le FN a dépassé la barre des 10% dès les élections européennes de 1984). Pourtant, selon moi, grâce à son modèle républicain la France est le pays le mieux armé pour dépasser la crise d’identité que connaissent tous les pays européens (et même les Etats-Unis).  

Le modèle républicain est un modèle d’avenir. Il n’a pas besoin de ce débat. Il n’y a pas de laïcité sans cohésion sociale et le modèle républicain est beaucoup plus bousculé par le déchirement du tissu social.

Finalement, il faut penser le débat sur la laïcité au-delà de nos propres frontières, garantir le mélange des populations plutôt que d’avoir une simple vision ségrégative de la laïcité qui chercherait une pureté identitaire.

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