Majorité sur internet : petite idée pour des systèmes de vérification d’âge moins intrusifs<!-- --> | Atlantico.fr
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Les sites interdits aux mineurs accessibles en France ont le même système de vérification de l’âge des visiteurs.
Les sites interdits aux mineurs accessibles en France ont le même système de vérification de l’âge des visiteurs.
©AFP / Jeanne Fourneau / Hans Lucas

Dispositif alternatif

L'Arcom, le gendarme de l'audiovisuel, demandait au tribunal judiciaire de Paris de bloquer l'accès à cinq sites pornographiques. La justice n'a pas répondu positivement à leur demande et propose une médiation pour régler le litige.

Pierre Beyssac

Pierre Beyssac

Pierre Beyssac est Porte-parole du Parti Pirate

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Atlantico : Une audition sur la régulation de l'accès aux contenus pornographiques en ligne a été organisée mercredi 8 juin au Sénat par la délégation des droits de la femme. Les pistes évoquées pour cette régulation vous semblent-elles aller dans le bon sens ?

Pierre Beyssac : La loi du 30 juillet 2020, modifiant l'article 227-24 du Code pénal, a posé un cadre clair, refusant la simple déclaration d'âge comme mesure suffisante de vérification du droit d'accès. Résultat : les éditeurs de sites pornographiques sont sous la menace de lourdes sanctions pénales s'ils ne trouvent pas une solution alternative aux habituels "disclaimers" pour s'assurer de la majorité des internautes, et interdire l'accès aux mineurs.

Cette loi est cependant inapplicable, en raison des problèmes de protection de la vie privée qu'elle pose, et donc de violations potentielles du règlement général européen sur la protection des données (RGPD). En effet, l'application de la loi nécessite des vérifications poussées, liées à l'identité des personnes, sujet très sensible, a fortiori en liaison avec ce type de contenus qui permettent par exemple de deviner les orientations sexuelles personnelles. La difficulté est qu'il n'existe à ce jour aucune solution satisfaisante, comme l'a rappelé la CNIL.

L'audition visait à faire le point sur la situation actuelle, en vue d'un rapport sénatorial futur sur le sujet, sans doute dans l'idée de proposer des évolutions législatives.

Les pistes évoquées par les intervenants audités ont été exposées en l'état actuel de l'art et des pratiques mises en œuvre. L'éventail des techniques proposées reste cependant d'une efficacité variable, avec toujours ces risques de non-conformité au RGPD.

Les questions des parlementaires, en revanche, montraient une crispation vis-à-vis des difficultés techniques de mise en œuvre, et par moment des incompréhensions sur le degré de faisabilité technique comme législatif, aboutissant à des affirmations radicales.

Par exemple, la sénatrice Laurence Rossignol a eu une position extrême, suggérant de traiter la pornographie comme les contenus terroristes ou la pédopornographie, avec à la clef un blocage administratif sans juge, procédure normalement limitée aux cas les plus graves.

Or la pornographie, fût-elle réservée aux adultes, est légale, ce qui n'est pas le cas des contenus illicites. Les mesures qu'il est possible de prendre en regard ne peuvent ni ne doivent donc être identiques ni même similaires. Il est impératif de s'orienter vers des solutions proportionnées au résultat à atteindre.

Quelles sont les pistes pour générer des systèmes de vérification d'âge moins intrusifs pour notre vie privée, contrairement à ce qui est en vigueur pour les contenus violents ou interdits aux mineurs sur Internet ? Des technologies innovantes existent-elles déjà ou sont-elles en cours de développement ?

Il existe des pistes prometteuses, mais aucune n'est mûre à ce stade, et certaines peuvent poser également de lourds problèmes d'intrusion dans la vie privée. Elles ont cependant l'avantage notable de ne pas nécessiter de document officiel d'identité.

Ces procédés fonctionnent tous via un intermédiaire (tiers de confiance), pour éviter que le site pornographique consulté ait accès à nos informations, et nous anonymiser à son égard.

On peut par exemple imaginer des questionnaires à choix multiples comportant des questions permettant de distinguer le niveau de connaissance d'un adulte de celui d'un enfant.

Une évaluation par reconnaissance faciale, et donc traitement algorithmique, a aussi été posée sur la table, mais là encore il reste fondamental de s'assurer de la parfaite sécurisation d'un tel traitement. La CNIL l'a dit et redit : la biométrie a ceci de particulier qu'elle est intimement et durablement attachée à la personne.

Une évaluation sur l'activité du visiteur sur les réseaux sociaux est séduisante... mais elle suppose d'ouvrir un accès à son univers, et surtout implique l'existence d'une telle activité. Par ailleurs, un mineur pourrait très bien copier des écrits venus d'adultes pour berner le contrôle d'âge.

D'ailleurs, la plupart des solutions proposées peuvent être contournées plus ou moins facilement. Il est donc impossible d'espérer résoudre totalement la question de l'accès à la pornographie.

Alors que la loi demande une vérification stricte pour les plus de 18 ans, est-il possible d’imaginer un système basé sur le degré de maturité réelle plutôt que sur l'âge calendaire ? Ce système serait-il facile à mettre en place grâce à la technologie ?

C'est probablement vers cela qu'il faudrait s'orienter, par évolution de la loi et utilisation de l'une des méthodes précitées, plutôt qu'une limite à un âge fixe donc forcément arbitraire et inadapté à certaines personnes.

Cela pourrait cadrer assez bien avec des évaluations d'âge par QCM, celles-ci dépendant justement de la maturité de l'utilisateur plus que de son âge réel.

On peut d'ailleurs noter que la majorité sexuelle est établie à 15 ans en France par l'article 227-25 du code pénal, donc 3 ans avant l'accès légal à la pornographie.

Est-il possible d’avoir des systèmes uniformisés à l’échelle internationale ou les restrictions européennes et les dispositifs d’encadrement en Europe comme le RGPD et sur les données personnelles sont-ils trop contraignants par rapport aux dispositifs et au cadre légal aux Etats-Unis ?

Il n'est probablement pas possible d'avoir un système unique à l'échelle internationale. Ainsi, une des propositions états-uniennes, se fondant sur l'obtention de l'âge d'un abonné au téléphone, est impossible à envisager dans l'Union Européenne.

Une solution unique à l'échelle de plusieurs pays supposerait aussi une uniformité des approches face à de tels contenus. Il est de toute façon nécessaire de proposer un éventail de solutions pour répondre de la manière la plus adaptée à des situations personnelles par définition plurielles.

La réflexion actuelle sur la régulation de l’accès aux contenus pornographiques doit elle nous inquiéter quant à nos données personnelles ? et aux autres domaines ou de telles vérifications pourraient être faites ?

En un mot, oui : le mouvement de fond côté État français -- police comme exécutif, qui la soutient -- est de tenter à terme de lier au maximum les activités sur Internet à une identité, notamment la publication de contenus, afin de faire disparaître le pseudonymat et de lutter plus efficacement et de manière extra-judiciaire contre les contenus illégaux. Bien que la loi Avia sur le sujet de la haine en ligne ait été sévèrement retoquée pour inconstitutionnalité, l'idée continue de roder.

Le gouvernement ne cache pas son intention d'aider au développement d'une industrie française en rapport avec la preuve d'identité en ligne.

Bien entendu les grandes plateformes se sont engouffrées dans la brèche, collectant nos données d'identité afin de vérifier nos droits d'accès, comme ce fut le cas pour la vidéo de campagne présidentielle d'Éric Zemmour sur YouTube, qui relève du même article 227-24.

Autrement dit, l'initiative contre la pornographie étend l'emprise des plateformes sur notre vie privée, les plaçant en position privilégiée pour assurer les services de vérification d'identité dont rêve l'État. À plus long terme, cela menacerait évidemment non seulement notre vie privée, mais aussi des pans de notre souveraineté.

Par ailleurs, les concentrations de documents sensibles d'identité sont des cibles privilégiées d'attaques informatiques, par effet "pot de miel".

Enfin, de telles technologies ont vocation à être utilisées pour contrôler l'ensemble de nos activités en ligne, à commencer par la vérification d'âge lors de la création d'un compte de réseau social. Nous pensons qu'un tel degré de contrôle, allant bien au delà de ce qui existe dans la "vie réelle", n'est pas souhaitable et recèle de forts risques de dérives en matière de droits fondamentaux concernant nos activités. La facilitation du travail de police ne doit en aucun cas constituer le critère unique des nouvelles législations.

Ces débats, en tout cas, questionnent, alors que le Parlement vient d'adopter une solution imposant une solution de contrôle parental sur l'ensemble des écrans connectés, qui répond de manière plus pondérée à la même problématique.

Pourquoi s'attaquer au cœur informationnel de ce secteur, quand des pistes peuvent être trouvées en périphérie de réseau, chez les abonnés-parents ? Les questions soulevées au Sénat éludent totalement le rôle de ces derniers, pourtant attendu dans l'apprentissage des enfants et des adolescents.

Le problème de l'accès des mineurs aux contenus pour adultes est aussi un phénomène social qui appelle à tout le moins une campagne d'information et de sensibilisation, et un meilleur accompagnement. De tels phénomènes n'appellent pas nécessairement un déluge de recours judiciaires comme on les observe cette année, ni des solutions particulièrement attentatoires à nos vies privées.

Pierre Beyssac est porte-parole du Parti Pirate

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