Mais si, Jean-Claude Mailly, séquestrer des dirigeants est bien un drame pour la France contrairement à ce que vous en dites et voilà pourquoi <!-- --> | Atlantico.fr
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Des salariés de Goodyear ont séquestré leurs dirigeants.
Des salariés de Goodyear ont séquestré leurs dirigeants.
©Reuters

Question de point de vue

Interrogé mardi par la radio RTL sur la séquestration des dirigeants de Goodyear par des salariés en grève, le secrétaire général du syndicat Force ouvrière Jean-Claude Mailly a répondu : "quand ça se passe correctement sur le plan humain, ce n’est pas un drame".

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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L’affaire de la séquestration chez Goodyear à Amiens a évidemment nourri la polémique. On en retiendra cette défense massive à gauche de l’idée bien-pensante selon laquelle, au fond, quand des ouvriers séquestrent les dirigeants avec lesquels ils négocient, ils doivent être pardonnés. Ils agissent sous le coup d’une colère juste et après tout, comme dit Jean-Claude Mailly, séquestrer des dirigeants d’entreprise, "ce n’est pas un drame".

Qu’on me permette d’abord de pousser un coup de gueule contre cette vision discrètement bourgeoise, mais profondément insultante pour le monde ouvrier, qui domine les milieux bobos parisiens. Pour un Mailly, comme pour les autres intellectuels qui dirigent FO, et qui ne mettront jamais les pieds dans une usine, en tout cas pas pour y travailler, l’ouvrier n’est pas vraiment un humain. Ou alors pas un humain comme les autres. Il est une sorte de chaînon manquant entre la bête et l’Homme : dominé par ses passions, par ses colères, on ne peut évidemment pas attendre de lui un comportement raisonnable. Quand il franchit les limites, cela ne peut lui être opposé comme à un citoyen ordinaire : l’ouvrier n’a pas atteint un degré de conscience équivalent à celui des gens responsables. Il n’est pas un adulte comme les autres.

Cette vision-là, qui résulte d’une digestion tardive et appauvrie du corpus marxiste (l’ouvrier, l’homme aliéné), m’a toujours révulsé. Sous couvert de défendre le progrès et la solidarité, sous couvert de générosité, elle véhicule les clichés les plus dégradants pour ceux qui travaillent dans un atelier et pas dans un bureau. Il suffit généralement de gratter, auprès de ceux qui se gargarisent de cette pseudo-bonté, de cette fausse bienveillance pour le monde ouvrier, pour comprendre que pas un de ses défenseurs n’a jamais travaillé à la chaîne, ni n’accepterait de rentrer chez lui avec des ongles sales et des mains caleuses.

Dans le cas de Jean-Claude Mailly, ce refuge facile et si prévisible derrière le préjugé parisien du "il ne faut pas leur en vouloir" est d’autant plus coupable qu’il sait parfaitement combien les représentants de la CGT chez Goodyear sont instrumentalisés par des gens qui leur mangent la laine sur le dos. Je pense particulièrement à Fiodor Rilov, leur avocat. Mailly sait que Rilov pousse systématiquement les syndicalistes qui le choisissent comme conseil à une confrontation rigide. Rilov leur fait croire qu’ils gagneront plus aux prud’hommes que par un accord négocié dans de bonnes conditions avec leur patron. D’où des situations qui s’enkystent et dégénèrent, attisées par une espérance de gain dont Rilov fait un commerce dégoûtant au mépris des intérêts réels des victimes qu’il représente.

On ne peut évidemment pas en vouloir à Jean-Claude Mailly de prendre la défense de ce syndicalisme fondé sur la confrontation directe avec les patrons. Tant que le dialogue social d’entreprise ne fonctionne pas, on a besoin de grands machins nationaux pour organiser un pseudo-dialogue entre syndicats de salariés et employeurs. Tant que l’entreprise ne devient pas autonome, les relations sociales ont besoin d’intermédiaires nationaux, bien au chaud dans les bureaux parisiens, qui se livrent à leur sport préféré: les petits arrangements entre amis, à l’abri des regards militants.

Dans le désastre économique qui tord la société française et ses valeurs, le moment vient pourtant d’évaluer le coût final de ces corps intermédiaires dont la légitimité est auto-proclamée ou presque. Avec notre Code du Travail inapplicable à force de lourdeur et de complexité, avec nos normes sociales définies par des intellectuels et des ratiocineurs éloignés du travail, les entreprises françaises s’épuisent, et le pays se vide de ses forces vives.

Je ne parle pas ici des grandes entreprises de réseau, protégées du marché ou dépendantes de la commande publique et qui hébergent d’ordinaire les fédérations syndicales les plus puissantes : EDF, la SNCF, la Poste, et quelques autres où une armée de juristes est payée à simplement vérifier que l’entreprise applique le droit du travail. Je parle de la start-up, de la TPE ou de la PME traditionnelle, où chaque loi votée est vécue dans la stupeur et le tremblement, car elle ajoute une complexité de plus à un labyrinthe qui rend fou.

Si Jean-Claude Mailly avait dû une seule fois créer une entreprise, il saurait le tombereau d’absurdités que représente une réglementation décidée à Paris, dans des arrangements de couloir dont lui et son syndicat raffolent. Il faudrait ici faire parler les portes du MEDEF pour qu’elles racontent l’engouement de FO pour les conciliabules entre les séances officielles de négociations nationales. 

Eh bien oui, Monsieur Mailly, eh bien oui, cher Jean-Claude, séquestrer un employeur est un drame! C’est un drame français. C’est le résultat en bout de chaîne d’une logique mortifère pour l’emploi, pour la prospérité, pour le pays tout entier, où l’entreprise est la variable d’ajustement pour des états-majors parisiens qui vivent sur le dos de la bête. Ce luxe-là, nous ne pouvons plus nous l’offrir: pendant des années, nous l’avons financé à crédit, à coups de dettes et de laissez-aller financier. L’heure vient de solder les comptes.

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