Mais qui a eu cette idée folle d’organiser les JO d’hiver dans une des régions les plus chaudes de Russie ?<!-- --> | Atlantico.fr
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La Russie organisera les prochains jeux d'hiver en 2014 à Sotchi.
La Russie organisera les prochains jeux d'hiver en 2014 à Sotchi.
©Reuters

Corruption, mon amie

Dans moins d'un an, Sotchi accueillera les Jeux olympique d'hiver. Un événement important qui semble déjà entaché par la corruption, d'autant plus que le choix de la ville en elle-même peut surprendre...

Paul  Sanders et Philippe Migault

Paul Sanders et Philippe Migault

Paul Sanders est professeur-chercheur au RMS Reims où il donne des cours de géopolitique, il travaille notamment sur le thème de la Russie et des relations franco-russe.

Philippe Migault est chercheur à l'IRIS, spécialisé dans l'étude des partenariats entre Russes, Français et Européens en matière d’armement, d’aéronautique, d’espace et d’énergie.

Philippe Migault est chercheur à l'IRIS, spécialisé dans l'étude des partenariats entre Russes, Français et Européens en matière d’armement, d’aéronautique, d’espace et d’énergie.
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Philippe Migault est chercheur à l'IRIS, spécialisé dans l'étude des partenariats entre Russes, Français et Européens en matière d’armement, d’aéronautique, d’espace et d’énergie.
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Atlantico : Les prochains JO d'hiver  se tiendront à Sotchi en Russie du 7 au 23 février 2014. Cette ville se situe près de la mer Noire et profite d'un climat doux. Dans un rapport écrit par Boris Nemtsov, l’un des opposants russe, ce dernier s'interroge sur le choix de la ville et les conditions de cette décision.  Pourquoi avoir choisi cette ville plutôt qu'une autre qui se situerait dans une région plus froide ? Qui aurait un intérêt à ce que ces jeux se déroulent dans une station balnéaire malgré tous les problèmes que cela peut impliquer : manque de neige, risque d'un hiver trop chaud...

Paul Sanders : En réalité les compétitions en altitude se dérouleront à environ 50 kilomètres de la ville en elle-même, c’est organisé comme lors des JO de Turin. En Russie il n’y a pas beaucoup de montagnes : Caucase, Altaï, l’Oural ainsi que les diverses chaines dans l’Extrême-Orient russe. Or Sotchi est une grande ville proche d’un massif montagneux, et elle est en mesure d’accueillir les foules olympiques, en raison de ses infrastructures et de ses bonnes conditions climatiques.

Ce n'est pas le cas dans les autres régions montagneuses, lesquelles ne disposent pas de grandes villes, manquent d’infrastructures, sont difficilement accessibles et où il faut trop froid en hiver. Les montagnes de l’Oural ne sont même pas assez hautes pour pouvoir faire de la compétition olympique tandis que les montagnes du Caucase culminent à plus de 5000 mètres. Ce choix n’est donc pas très étonnant.

Philippe Migault : Si Sotchi a été choisie c’est tout simplement parce que les stations de ski du Caucase occidental sont les meilleures de Russie du point de vue de la situation géographique et des infrastructures. Il n’y avait guère d’autre alternative.

Bien sûr l’hiver est toujours glacial dans l’Oural. Mais les plus hauts sommets n’y culminent même pas à 1900 mètres et se situent dans une région dont l’équipement ne permet pas d’accueillir un afflux de foule massif. Dans l’Altaï, vous êtes en Sibérie, avez des sommets qui approchent l’altitude du Mont-Blanc. Mais vous êtes à la frontière de la Mongolie et de la Chine, loin de tout, dans une zone difficile d’accès.

Alors bien entendu Sotchi est une station balnéaire. Son climat n’est même pas continental, il est subtropical. Mais Nice n’est pas le grand nord non plus. Et bien des Niçois sont tous les week-ends sur les pistes de ski en hiver. Depuis Sotchi, Krasnaïa Poliana, la station qui accueillera les épreuves de ski alpin, n’est qu’à 40 kilomètres. Son domaine skiable est, je crois, tout à fait correct et facile d’accès depuis Sotchi qui a l’avantage, avec son port et son aéroport, de disposer d’une large ouverture sur le monde.

Dans ce même rapport,  Boris Nemtsov révèle que près de 23 milliards d'euros, initialement prévu pour les JO, auraient été détournés par Vladimir Poutine et certains de ses hommes d'affaires proches (pas d'appel d'offre notamment) : "Les jeux Olympiques sont un projet personnel pour Poutine et il est clair que ceux qui ont volé l'argent sont ceux qui sont proches de ce même Poutine". La fête des JO est-elle d’ores et déjà entachée par des affaires de corruption ? A quels niveaux ?

Paul Sanders : En Russie la corruption est partout. En ce moment le gouvernement usse essaie de prouver qu’il est un pays normal. En Russie on ne peut pas faire du business sans traiter avec la corruption, il faut aborder cette dernière d’une manière ou d’une autre (directement ou indirectement).Une grande manifestation comme les JO ne peut faire office d’exception, il parait clair qu’il y a, et qu’il y aura des détournements quel qu’ils soient.

De façon plus générale, le milieu du sport est lui aussi très entaché par la corruption. Prenons comme exemple l’attribution des mondiaux de football au Qatar : un pays où en été il fait presque 50°C. On en vient à évoquer la possibilité de faire la compétition en hiver, alors que le mondial de foot s’est toujours déroulé en été. On n'est pas très loin des pots-de-vins…

Pour toutes les attributions des grandes compétitions sportives, l’ombre de la corruption n’est jamais bien loin.

Philippe Migault : Je pense malheureusement que les Jeux olympiques comme la coupe du monde de football et la plupart des grands évènements sportifs sont indissociables du phénomène de corruption. Les JO de Sotchi n’échappent sans doute pas à la règle et les cercles du pouvoir russe ne sont pas épargnés par la corruption. Le récent limogeage du ministre de la défense, Anatoliï Serdioukov, pris les mains dans le pot de confiture, le démontre. De là à dire que Poutine a détourné des fonds il y a un pas que je ne franchirai pas.D’une part parce que le "Poutine’s bashing" est le sport favori de la classe politico-médiatique française pour des raisons essentiellement idéologiques. D’autre part parce que ce n’est pas parce qu’il y a des personnages corrompus au sommet de l’État que tout le Kremlin est à mettre dans le même sac. Hollande à ce que je sache n’a pas trempé dans les combines de Cahuzac et le "tous pourris" ne me semble pas plus sain sur les rives de la Moskova que devant le Palais-Bourbon.

Quant à Boris Nemtsov, l’accusateur, il a été vice-Premier ministre de Russie sous le second mandat de Boris Eltsine, à une époque où "la famille" cette mafia d’oligarques et de proches d’Eltsine, pillait allégrement le pays…Je ne me rappelle pas qu’il ait tenu alors un discours si vertueux. En politique, pour donner des leçons, il faut encore être exemplaire.

Les organisateurs ont-ils sous-estimés le coût total des infrastructures nécessaires aux jeux ?

Paul Sanders : C’est assez fréquent que le coût total des infrastructures soit sous-estimé. A Londres en 2012, les budgets de base ont été largement dépassés. Il est très difficile de prévoir exactement le coût des structures pour organiser de tels évènements. En Russie, s’ajoute à ce problème celui de la corruption. Elle fait figure d’un impôt supplémentaire à prendre en compte dans le pays. Lorsqu’on souhaite réaliser un projet, il faut penser au prélèvement que la corruption va prendre.

Philippe Migault : C’est certain mais c’est aussi habituel. Les JO de Londres ont coûté le double de ce qui était prévu…Ceux de Pékin ont coûté 40 milliards d’euros si je me souviens bien.  L’inflation est la règle. Et le CIO d’ailleurs s’en est inquiété à plusieurs reprises.


Est-ce que la région de Sotchi, est une région particulièrement touchée par la corruption en Russie ? Quels sont les enjeux pour le pays d'un tel événement ? 

Paul Sanders : Vladimir Poutine n’est pas là pour provoquer l’Occident. Il a un projet : celui de prouver que la Russie est un pays normal, un pays dans lequel il faut investir, un pays avec un grand avenir. Il est dans une campagne de relations publiques pour revaloriser l’image de la Russie. Cette campagne semble fonctionner jusqu’à un certain point. Il s’est engagé dans une bataille de relation médiatique, et il paraît clair que lorsqu’on lui offre les JO et les mondiaux de foot, cela est une aubaine pour sa communication.

Il veut mettre en avant une Russie qui réussit, qui n’est plus gangrénée par la corruption ou par le crime organisé. Poutine sait très bien que son pays à un problème d’image à travers le monde, et les JO sont une vitrine pour lui.

Philippe Migault : Sotchi c’est la riviera russe, l’équivalent de notre Côte d’Azur, avec tout ce que cela comporte au petit jeu de la comparaison : Mer chaude, palmiers, bimbos, oligarques, villas somptueuses...C’est beaucoup, beaucoup d’argent avec à la clé des barons locaux, politiciens et hommes d’affaires, aux pratiques fréquemment douteuses. C’est aussi le Caucase, une région sensible d’un point de vue géopolitique. Or la paix civile ne s’acquiert pas seulement par la persuasion. Elle s’achète aussi…

Concernant les enjeux, ils sont ceux de toute autre nation organisatrice des Jeux lympiques. Pendant quelques jours tous les projecteurs du monde seront pour une fois braqués sur la Russie sous un angle favorable : les JO sont censés être grande fête du sport et de la paix, ils véhiculent des valeurs résolument positives qui impactent l’image que l’on a du pays organisateur. Pour les Russes il s’agira de montrer d’abord qu’ils savent se hisser à la hauteur de l’évènement.

Il s’agit ensuite, 34 ans après les Jeux olympiques de Moscou qui avaient été très largement boycottés suite à l’invasion de l’Afghanistan, de montrer que la Russie fait de nouveau partie des puissances respectables et qui comptent dans le concert international.

L’enjeu aussi ce sera de conjurer la menace terroriste. De Sotchi à la Tchétchénie il y a moins de 500 kilomètres…Et les Djihadistes entendent bien gâcher la fête de Poutine.

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