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Mais comment mener un nouveau débat sur l’immigration et l’identité nationale sans reproduire l’échec que celui initié par Nicolas Sarkozy ?
©JEAN-FRANCOIS MONIER / AFP

L'autre relance

En remettant sur la table le débat sur l'immigration et l'identité nationale, Emmanuel Macron sait qu'il va devoir apprendre des erreurs d'hier s'il ne compte pas tomber dans le piège de ses prédécesseurs.

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.  

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Atlantico : En 2009, Nicolas Sarkozy organisait un long débat sur la question de l'identité nationale. Très décrié à l'époque par la gauche, ce débat avait été clos et jamais rouvert depuis. Emmanuel Macron a hier affirmé qu'il fallait enfin se confronter à ce débat. Si le thème peut être un effet d'annonce à quelque mois des européennes, et en résonance aux positions ambiguës des Gilets Jaunes sur ce sujet, il n'en reste pas moins que la question est ouverte désormais. A quoi devrait ressembler un nouveau débat sur l'immigration et l'identité nationale pour ne pas répéter l'échec du quinquennat de Nicolas Sarkozy ?

Guylain Chevrier : Nicolas Sarkozy en avait fait un des thèmes majeurs de sa campagne présidentielle, conscient des enjeux qu’il représentait. Il l’a réactivé de façon plus saillante avec la volonté d’un débat sur l’identité nationale en 2009, sous le signe d’une réaction à l’affirmation d’un islam de plus en plus revendicatif, non sans arrière-pensées vis-à-vis de l'électorat du Front national. En même temps, il avait tenté de lever un tabou qui demeure, et est sans doute aussi à la source des malentendus d’aujourd’hui, du brouillage qui existe sur ce sujet très sensible. Entre autres, parce que toute une frange de la gauche a identifié faussement la Nation au nationalisme, sous l’influence d’un « gauchisme culturel » qui voit dans les frontières le mal, ce qui domine idéologiquement aujourd’hui, lorsqu’elles sont au contraire la manifestation d’Etats souverains donnant à ceux qui vivent sur leur sol des droits et des libertés, ce qui est particulièrement vrai pour la France. Faut-il le rappeler, la Nation est dès l’origine une revendication révolutionnaire puisqu’elle personnifie, sous le signe de la Révolution française, la liberté pour le peuple, celle de s’ériger en corps politique souverain en lieu et place du « tyran ». Une si belle idée pourtant, que celle de nation, capable de rassembler des individus aux origines, couleurs, religions, diverses, par-delà les différentes, autour de biens communs essentiels, comme celui de la liberté précisément. On ne peut pas mettre de côté dans ce constat, le recul de la nation sous le signe d’une Europe qui prêche pour l’effacement des Etats, à la faveur d’une Union européenne à tendance fédérale qui ne représente quasiment rien comme identité politique pour l’électeur moyen. Les gouvernants qui se sont succédé et ont approfondi cette situation, ont aussi leur responsabilité. L’intégration républicaine est loin d’avoir atteint son but aujourd’hui, dans cette confusion et ce mélange des genres contre l’idée de nation, qui est au cœur des enjeux de la cohésion sociale. 

L'identité nationale, sinon l’identité de la France comme nation, est un vrai sujet. Il y a une crise identitaire en France, comment ne pas le voir à travers la radicalisation sociale des Gilets jaunes, chez lesquelles la critique de notre démocratie est violente, certains ayant brûlés leurs cartes d’électeurs symboliquement en rejetant partis politiques et syndicats, toute forme d’organisation institutionnelle. La question de l’immigration n’est pas nécessairement neutre non plus, alors que l’on accueille à bras ouverts et que dans le même temps certains en France se sentent socialement relégués, abandonnés à leur sort, jusqu’à être parfois récupérés par le vote extrême. Comment ne pas le voir lorsque l’on regarde ce reportage de France 2 « Les Français c’est les autres » (2 Février 2016), dévoilant à travers une enquête dans des collèges de banlieue que, si les enfants de l’immigration sont devenus largement Français grâce au droit du sol, ils sont massivement à exprimer ne se sentir ni Français ni citoyens. A mille lieux de se rendre compte qu’ils bénéficient de biens cent fois plus importants que dans le pays d’origine de leurs parents ou grands-parents. Ce qui ne signifie pas qu’ils ne connaissent aucun problème, économique et sociaux, comme bien d’autres Français, mais ont pris l’habitude de se poser en victime de discriminations systématiques, que les chiffres en la matière contestent de façon ténue (1500 plaintes par an à ce titre qui arrivent devant les tribunaux), pour faire le procès de la France. 

S’il s’agit d’éviter que certains n’utilisent cette situation pour servir un discours d’exclusion, il ne faut pas tomber dans l’excès inverse, et bien prendre la mesure de ce qui se joue à cet endroit et à ce moment. C’est un tournant décisif qui, s’il n’est pas bien pris, nous coûtera très cher. Il suffit de se remettre en mémoire le fait que la radicalisation religieuse galope, ainsi que les constats des derniers rapports de l’institut Montaigne qui attirent l’attention sur l’emprise du salafisme chez nos jeunes concitoyens de confession musulmane, pour près d’un tiers, pour s’en convaincre si c’était nécessaire. Ce qui n’est pourtant qu’un aspect du problème de cette France désincarnée, alors que du côté du personnel politique, droite et gauche semble n’avoir plus de signification pour bien des Français. Ce débat bien mené pourrait peut-être inverser la tendance, et si un pays peut le faire, en raison de la force de ses idées et de sa République égalitaire, laïque et sociale, c’est bien la France.

En 2009, à l'occasion du débat sur l'identité nationale, le CSA avait interrogé les Français sur ce qui selon eux faisait l'identité nationale. 31% d'entre eux avaient répondu "l'accueil des étrangers". Aujourd'hui, après une décennie marquée par les attaques terroristes et les crises migratoires, la question est perçue différemment. Est-ce que c'est le contexte qui change la perception du débat où est-ce que les choses devront nécessairement être amenées différemment qu'elles l'avaient été en 2009 ?

Perçue différemment, sans doute, au regard de ce qui s’est passé depuis 2009, avec les attentats, et peut-être encore plus depuis l’attentat d’hier soir à Strasbourg si les choses se confirmaient, avec des morts et des blessés. Car, si le sujet principal n’est pas l’obsession de voir en chaque immigré un terroriste, il y a bien eu des terroristes qui étaient des migrants. Cela étant, ce qui est aussi différent, c’est ce dont rend compte le dernier rapport de la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme, expliquant à l’appui du baromètre de Sciences-po sur la tolérance des Français à l’égard des étrangers, qu’il n’avait jamais été aussi bon, malgré les attentats. C’est sans doute aussi que les Français font généralement la part des choses, entre l’immigration et les auteurs des attentats. Une immigration à ce jour encore largement en situation de mélange, ce qui la protège vis-à-vis du risque qu’elle soit assimilée de façon générale à tous les dangers. L’inquiétude se fixe avant tout sur l’accueil des migrants qui reste soutenu, avec une montée importante des demandes d’asile, qui sont passées de 61.468 en 2012 à 100.755 en 2017 et respectivement pour l’attribution du droit d’asile, de 10.028 à 31.964. On peut avancer tous les arguments, la guerre en Syrie ou encore, l’évolution du climat qui est à prendre avec plus de précaution, l’accueil inconditionnel tel qu’il apparait, pose problème aux Français, d’autant plus dans un contexte économique et social contraint. N’oublions pas que tous les déboutés du droit d’asile ne repartent pas dans leur pays, car ce sont en général des migrants économiques qui ont par-là tenté leur chance, et restent sur place comme illégaux, avec toutes les conséquences, pour eux bien sûr, mais aussi pour notre pays qui connait déjà une situation très difficile. C’est bien ce que perçoivent les Français. D’un côté, ces migrants viennent grossir les rangs des SDF, dont ils représentent plus de la moitié d’entre eux, de l’autre, ils sont en risque de délinquance, comme les chiffres des écroués selon la nationalité le confirme, avec une remontée à 20,6% d’étrangers purgeant une peine en 2018, après une période jusqu’au début des années 2010 où ce chiffre ne cessait de baisser en pourcentage. Voilà pourquoi c’est un vrai sujet, qu’on ne saurait traiter par intimidation, en brandissant la menace de procès en racisme.

L’enjeu de l’intégration se joue d’abord sur le parcours du migrant. L’illégal passe entre le mailles du Contrat d’intégration républicaine, obligatoire pour l’accueil en France, censé permettre, par l’entremise d’une formation à la langue française et aux institutions de la République, ainsi qu’à la connaissance de la société française, de savoir à la fois où il met les pieds et en même temps de lui procurer l’ABC du code commun du résident sinon du citoyen, ce qui est un minimum. C’est l’esprit d’un contrat social avec engagement réciproque, l’Etat d’un côté, par les moyens d’accueil mis en place et, l’étranger de l’autre, par le respect des lois et obligations, règles communes du pays d’accueil. Mais faudrait-il que la société envoie les mêmes signaux, de l’école à l’entreprise.

Les migrants viennent de plus en plus loin et souvent de pays qui n’ont rien de démocratique, et même souvent dont les Etats sont encore étroitement liés au religieux. Ce qui aggrave le risque d’un phénomène de communautarisation si l’intégration n’est pas réussie. Encore faudrait-il, il est vrai qu’elle soit toujours désirée, mais fait-on toujours ce qu’il faut pour qu’elle soit désirable. En tout cas, le nombre l’accès à la nationalité par acquisition reste élevé, avec un total de 114.274 en 2017. Ils n’étaient que 17.405 en 1995. Une problématique donc très forte, à multiple facettes, qu’il faut replacer plus largement dans le cadre des grands enjeux de société, dont la façon de faire société et sur quoi, est centrale.  

La question de l'immigration est toujours polémique. Ne faudrait-il pas intégrer une perspective plus économique et sociale au débat pour éviter ces polémiques ? Quels économistes ou sociologues n'étant pas dans une posture idéologique ou morale pourraient nous éclairer sur ce débat ?

La dimension économique et sociale est importante pour recentrer le débat sur des problématiques concrètes qui éloignent des aspects plus idéologiques. Faut-il encore que l’on sorte du déni, qui consiste à dire « circulez, Il n’y a rien à voir ! » 

Les statistiques ethniques pourraient rendre des services dans ce domaine, en objectivant les réussites et les difficultés, pour casser, le cas échéant, la tendance à vouloir tout rabattre sur les discriminations dès qu’il s’agit d’immigration. Mais elles ont le défaut de ce risque que l’on finisse par ne plus voir les problèmes autrement que par prédestinations cultuelle, d’origine ou religieuse, ce qui nous ferait rompre avec nos principes républicains et l’esprit de l’égalité qui en est le socle.

On peut voir combien le sujet est difficile à traiter à travers le procès que l’on a fait à Christophe Guilluy récemment, à propos de son nouveau livre, No Society (Flammarion, 2018), où il élargit sa réflexion aux sociétés occidentales et explique que les classes moyennes ont disparu, créant des sociétés de plus en plus polarisées. D’un côté, des dominants vainqueurs de la mondialisation, volontairement retranchés à l’abri des grandes métropoles et, de l’autre, l’ancienne classe moyenne, plutôt formée de Français enracinés depuis plusieurs générations, appauvrie, qui se trouve reléguée dans les espaces ruraux et périurbains, ce qu’il englobe sous le terme de « France périphérique ». Des travaux dans lesquels il ne prend pas les précautions imposées par une pensée habituellement lissée sur certains thèmes, dont l’immigration, pour énoncer les sujets négligés par les élites sur lesquels se retrouvent les couches populaires, « Souverainisme, protectionnisme, préservation des services publics, refus des inégalités, régulation des flux migratoires, frontières ». Ce qui était évidemment impardonnable aux yeux de certains. On voit combien le débat est rude dès que l’on touche au fond, l’économique et le social ne se dissociant que rarement de la dimension idéologique. 

Si pour le sociologue Jean-Pierre Le Goff, cela passe par une approche critique du poids de la mondialisation et du néo-libéralisme, niant les frontières et les identités nationales à la faveur de la seule signification du marché, on ne saurait réduire le malaise actuel à cette seule explication. A l’inverse, dans son ouvrage « Malaise dans la démocratie » (Stock, 2016), il retourne le problème en invoquant la faiblesse de nos ressources morales, intellectuelles et culturelles qui constituaient des garde-fous contre le libre jeu de la concurrence et l’hégémonie du modèle marchand.
A ses yeux, le recul de la pensée réflexive et critique de la philosophie des Lumières constituent l’un des acquis essentiels de notre héritage européen progressivement abandonnés. Un héritage mis systématiquement en question suite aux deux guerres mondiales, à la Shoah, aux totalitarismes et au colonialisme, pour en arriver à nous dénier nous-mêmes jusqu’à mythifier le relativisme des cultures, et à être hypnotisés devant l’immigration. Ce qui a conduit à ne plus donner de sens même au progrès, à notre modèle républicain d’émancipation. Il voit la solution dans une analyse critique salutaire de notre héritage qui implique une opération de discernement et non la table rase.

Il serait sans doute surtout, dans le prolongement de la réflexion pertinente de ces auteurs, que l’on apprenne à chacun à faire la part des choses. Entre, ce qui relève de la propriété collective, comme cette belle République qui est la nôtre, inscrite dans la modernité démocratique, offrant une haute protection des droits et libertés individuelles, avec des droits sociaux considérables, et la gestion politique qui peut en être faite, et sa critique, pour déjouer le risque que l’on jette le bébé avec l’eau du bain. Il faut réincarner la France et cela ne peut que passer par un examen de soi constructif, pour redonner du sens et du contenu à l’envie de bien vivre ensemble.

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