Mais à quoi pourra servir le bombardier spatial nucléaire que construisent les Russes ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le gouvernement russe accusait les États-Unis de militariser l'espace en y envoyant le X-37B, une version réduite de la navette spatiale, agile et modulable, contrôlée à distance, qui en théorie peut transporter des armes, mais ne le fait pas.
Le gouvernement russe accusait les États-Unis de militariser l'espace en y envoyant le X-37B, une version réduite de la navette spatiale, agile et modulable, contrôlée à distance, qui en théorie peut transporter des armes, mais ne le fait pas.
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THE DAILY BEAST

Les déclarations du Kremlin selon lesquelles l'engin spatial serait en mesure de tirer n'importe où sur terre en moins de deux heures pourraient relancer la course à l'armement nucléaire dans l'espace.

David Axe

David Axe

David Axe est journaliste pour The Daily Beast.

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Copyright The Daily Beat — par David Axe

L'armée russe a déclaré travailler sur la construction d'un avion spatial similaire à la mini-navette secrète de l'armée de l'air américaine, le X-37B. En soi, ce n'est pas terriblement étonnant ou même particulièrement inquiétant pour les États-Unis. De nombreux gouvernements et même des sociétés privées travaillent sur des avions spatiaux pouvant tirer des missiles, être lancés depuis des aérodromes, mis en orbite pour une période donnée et revenir sur Terre pour une remise à neuf rapide puis être réutilisés. 

La technologie est assez simple. Mais le Kremlin est le seul parmi les développeurs d'avions spatiaux à proposer de les armer... avec des têtes nucléaires. Non seulement c'est une violation manifeste des conventions internationales, mais c'est aussi très hypocrite de la part de la Russie. Il n'y a pas si longtemps, le gouvernement russe accusait les États-Unis de militariser l'espace en y envoyant le X-37B, une version réduite de la navette spatiale, agile et modulable, contrôlée à distance, qui en théorie peut transporter des armes, mais ne le fait pas. 

Soyons clairs : un avion spatial équipé d'armes nucléaires serait extrêmement déstabilisant car il perturberait l'actuel fragile équilibre des forces entre les États-Unis et la Russie. Le Pentagone pourrait répondre au bombardier atomique orbital russe en déployant rapidement son propre bombardier spatial. En d'autres mots, une course à l'armement nucléaire dans l'espace : un futur que personne ne souhaite voir.

Le lieutenant-colonel Aleksei Solodovnikov, instructeur en fuséologie à l'Académie stratégique des forces armées russes à St. Petersbourg, qui supervise le développement de l'avion spatial, a déclaré que le bombardier orbital serait prêt d'ici 2020. Certains éléments sont encore flous : notamment le montant investi dans le projet par le Kremlin ainsi que les délais de finalisation du projet par Solodovnikov et son équipe. On ignore également si les haut-gradés sont sérieux quant au déploiement de l'avion spatial. Quoi qu'il arrive, l'avion spatial militaire pourrait donner à la Russie une première force de frappe nucléaire historique. “L'idée est que le bombardier décolle d'un aérodrome national pour contrôler l'espace aérien russe” a déclaré Solodovnikov, d'après Sputnik, un site d'information russe gouvernemental. “Sur commande, il pourra aller dans l'espace, frapper une cible avec des têtes nucléaires et revenir à sa base.” Grâce à sa capacité orbitale, le bombardier serait capable de détruire n'importe quelle cible sur Terre en moins de deux heures après son décollage, a déclaré Solodovnikov. Dans son concept opérationnel, le bombardier spatial est quelque peu différent du X-37B, qui met en orbite une fusée comme le font les satellites et passe une année ou plus à suivre une orbite basse, en étant censé mener des expériences scientifiques. L'appareil russe serait plus proche du type d'avions spatiaux réutilisables de Virgin - SpaceShipOne, l'expérimental, et SpaceShipTwo, le plus grand, conçu pour le transport commercial de passagers dans l'espace. 

Les avions spatiaux de Virgin décollent en étant portés par des avions de transports jusqu'à un second lancement. A ce moment, ils décollent grâce à leur propre système de propulsion et se dirigent vers les étoiles. Il est possible que le bombardier spatial russe puisse se passer du ravitailleur et se lancer, être mis sur orbite et atterrisse en utilisant uniquement ses propres moteurs. Mais les différentes phases du vol (le décollage, l'ascension, la prise de vitesse et enfin la mise sur orbite à grande vitesse) nécessitent un moteur à cycle combiné qui allie l'efficacité d'un turboréacteur et la puissance instantanée d'une fusée. Les moteurs à cycle combiné sont compliqués à fabriquer. L'armée américaine travaille dessus depuis des décennies, sans beaucoup de résultats. Mais un officiel russe déclare que le Kremlin maîtrise déjà la technologie.

“Nous avons réussi à développer une centrale électrique qui permet d'alterner entre le régime à combustion dans l'atmosphère et le régime de propulsion lors d'un vol spatial” a déclaré un fonctionnaire qui est resté anonyme, de l'Académie des forces stratégiques, lors d'un salon d'équipements militaires en octobre 2015. En plus du moteur, le bombardier spatial nécessiterait une structure solide et légère capable de résister aux opérations sur les pistes traditionnelles mais aussi capable de résister aux conditions des ascensions et descentes orbitales. “Nous coopérons avec l'Institut général d'aérohydrodynamique russe pour la conception du fuselage et des caractéristiques de l'appareil” déclare Solodovnikov. Le nouvel appareil devrait être grand, pesant plus de 25 tonnes au décollage, ajoute Solodovnikov. Quant au X-37B, il mesure 8,38 m de long et pèse moins de 6 tonnes au décollage. Pour être juste, si l'appareil russe se lance effectivement par sa seule puissance, il devrait être bien plus gros que le X-37B, dont la poussée initiale est assurée par une fusée "jetable".

Mais les défis techniques sont hors sujet. S'il est vrai que la Russie, et l'Union Soviétique avant elle, "bricole" un projet d'avion militaire spatial depuis les années 1960 sans avoir produit vraiment plus qu'un prototype, le côté matériel n'est pas vraiment l'aspect le plus intéressant du programme de bombardier orbital. L'armée de l'air des États-Unis, pour sa part, s'est rapprochée de la fabrication d'un avion spatial appelé Dyna Soar au début des années 1960. Il existait une version de Dyna Soar qui aurait pu porter une ou deux bombes atomiques et les tirer quelques heures seulement après son lancement. Le Pentagone avait finalement annulé le projet Dyna Soar pour des raisons budgétaires.

Mais même si l'armée américaine avait poursuivi le développement de Dyna Soar, le projet aurait rencontré des obstacles plus sérieux que des simples questions budgétaires, qui constituent encore la plus grande barrière au projet de bombardier spatial russe.

En 1967, les États-Unis, la Russie ainsi que 102 autres pays signaient le Traité de l'espace, interdisant toute militarisation de l'espace. Selon le traité, “les États s'engagent à s’abstenir de mettre sur orbite autour de la Terre tout objet porteur d’armes nucléaires ou de tout autre type d’armes de destruction massive et d’installer de telles armes sur des corps célestes.”

Quarante-neuf ans plus tard, les États-Unis, la Russie et la Chine opèrent, à eux seuls, plusieurs centaines de satellites militaires. Quelques-uns disposent de fonctions agressives telle que la capacité à manœuvrer à proximité d'autres vaisseaux spatiaux et d'éventuellement les désactiver en utilisant des bras extensibles. Mais aucun ne constitue une arme strictement offensive. Et certainement aucun ne contient des armes capables de détruire des villes seulement une heure après son lancement.

L'écorce terrestre croule sous les armes, mais jusqu'à présent, le monde avait réussi à garder l'orbite terrestre relativement démilitarisée. Après le lancement par l'armée de l'air américaine du X-37B - à des fins scientifiques selon les autorités - pour la première fois en avril 2010, des experts russes accusent les Américains de mettre une arme furtive en orbite. Le X-37B pourrait “lancer des frappes vers la surface terrestre à l'échelle mondiale” avertissait Konstantin Sivkov de l'Académie russe de géopolitique.

En fait, le X-37B est trop petit pour porter des munitions pouvant toucher la Terre. Brian Weeden, expert aéronautique auprès la Secure World Foundation au Colorado, déclare que le potentiel du X-37B en tant qu'arme est absolument “nul.” “Je ne vois aucune preuve indiquant qu'il pourrait être utilisé comme tel” a déclaré Brian Weeden à Space.com. Mais le bombardier spatial du Kremlin serait, lui, une arme – sans ambiguïté – et briserait un demi-siècle d'exploration spatiale essentiellement pacifique, suscitant assurément des incidents diplomatiques lourds et menant les États-Unis et la Russie vers un conflit qui, lui, serait terrestre.

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