Macron face à Le Pen : ce que la science nous apprend de nos cerveaux face au débat d’entre-deux-tours <!-- --> | Atlantico.fr
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Marine Le Pen et Emmanuel Macron lors du débat de 2017.
Marine Le Pen et Emmanuel Macron lors du débat de 2017.
©ERIC FEFERBERG / POOL / AFP

Eux et nous

Voilà quelques biais, processus cognitifs et analyses neuro-politiques à méditer si vous voulez regarder le débat Macron / Le Pen avec tout le recul nécessaire.

Lou Safra

Lou Safra

Lou Safra est assistant professor en psychologie politique au CEVIPOF-Sciences Po et chercheuse associée à l'Institut d'Études Cognitives (Laboratoire de Neurosciences Cognitives & Laboratoire de Neurosciences Cognitives et Computationelles, École Normale Supérieure, Paris). Ses travaux cherchent à mieux comprendre les différences inter-individuelles dans les comportements sociaux et politiques, en adoptant une perspective écologique et évolutionnaire sur ces comportements. Pour cela, elle utilise une variété d'approches allant de la psychologie expérimentale à l'étude d'objets culturels comme les peintures, en passant par l'analyse d'enquêtes internationales. 

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Atlantico : Alors que le débat de l’entre-deux-tours a lieu ce mercredi, comment nos cerveaux réagissent-ils face à un débat politique ? Et quelle est la fécondité de cette analyse ?

Lou Safra : S’intéresser à comment nos cerveaux réagissent est intéressant pour comprendre les déterminants des choix politiques et apporter un éclairage différent, de nouvelles hypothèses sur les raisons du vote, ou de changement de choix. Ce qui est montré en sciences cognitives, ce sont les mécanismes généraux : l’effet de certains contextes, comme le contexte de guerre par exemple. Cela permet de comprendre des mécanismes psychologiques assez fondamentaux. C’est d’autant plus intéressant que ces données de sciences cognitives, l’importance de l’apparence, etc. sont des choses connues par les communicants politiques. On ne leur donne pas des outils pour les candidats mais nous produisons des outils pour comprendre pourquoi les individus vont s’orienter vers tel type de leader et pourquoi les réactions sont différentes selon les individus. Ce qui peut être intéressant, c’est d’utiliser les sciences cognitives pour comprendre la stratégie des candidats, comment les candidats vont chercher à paraître plus dominants, plus compétents, selon les contextes. Cela permet aussi d’analyser la réception du débat par les récepteurs. Nous pouvons expliquer en partie pourquoi des affiliations politiques différentes vont percevoir le débat différemment ou pourquoi certaines positions ou postures vont être perçues favorablement par certains et défavorablement par d’autres.

Justement, quelles caractéristiques pouvons-nous être sensibles selon notre sensibilité politique ?

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Des études ont été faites principalement aux Etats-Unis. Le transfert sur l’axe droite-gauche français n’est pas parfait, mais il permet de comprendre la tendance générale. Elles ont montré que dans un contexte de menace, de guerre, les individus vont avoir tendance à préférer des leaders qui ont l’air plus dominants, plus masculins, plus forts, même plus grands. Dans ces contextes, on aura a priori un attrait spécifique vers celui qui, lors d’un débat notamment, affirme sa dominance « indépendamment » de la compétence politique à proprement parler.  L’important n’est pas tant la situation objective que la situation perçue. Pour la guerre en Ukraine, il y a de grandes différences de perception de la menace qui vont, par ricochet, impacter différemment les choix politiques. C’était déjà valable avec la crise sanitaire.

Il a aussi été montré aux Etats-Unis que les Républicains avaient une préférence pour des leaders qui avaient l’air plus dominants et plus masculins et inversement pour les Démocrates. Ainsi, montrer certaines caractéristiques peut plaire à un électorat mais déplaire à un autre.

Dans quelle mesure nos choix sont-ils le résultat de biais de confirmation ?

Le biais de confirmation, c’est dire que lorsqu’on croit à quelque chose, on va être plus sensible à ce qui confirme notre théorie. La façon dont on va recevoir une information va être biaisée par ce que l’on pense a priori. La manière dont on va percevoir les candidats va être influencée par les signaux qu’ils vont envoyer mais aussi par nos a priori sur ce candidat. Si j’ai un a priori positif sur un candidat et que je pense que la dominance est une caractéristique importante, je serai plus sensible aux indices qui me feront penser que ce candidat est en effet dominant. Si à l’inverse j’ai un a priori négatif sur un candidat, je serai plus sensible aux indices qui tendent à confirmer cette image négative.

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Par ailleurs, notre perception va aussi être influencée par notre cercle social. Si l’on sait que favoriser un candidat plutôt qu’un autre sera bien ou mal vu, on va avoir la tentation de se mettre en conformité. Soit une conformité normative, dire quelque chose indépendamment de sa pensée pour se conformer dans le groupe.

Mais on peut aussi avoir une conformité informationnelle : si tout le monde autour de moi dit qu’un candidat a été meilleur, je vais intégrer l’information pour « mettre à jour » mes croyances. Cette mise à jour n’est pas neutre car elle va dépendre de la confiance dans ceux qui me font ce jugement. Si ce sont mes proches, on peut avoir une relative confiance si on estime leur compétence politique non nulle. Si ce sont des journalistes, tout dépend de son degré de confiance envers les médias. Tout cela permet d’analyser finement ce qui se construit pendant et après le débat.

A quels biais, processus cognitifs et analyses neuro-politiques faut-il faire attention si on veut regarder le débat Macron / Le Pen avec tout le recul nécessaire et être « armé » ?

Le biais de confirmation est évidemment important. L’autre élément à retenir, c’est qu’un débat est une scène de théâtre. Une question que l’on étudie est justement de savoir dans quelle limite on peut changer nos perceptions sociales lorsque l’on sait que le contexte est complètement artificiel et que le discours et les émotions sont calculées. Il faut donc prendre en compte que les signaux envoyés sont calculés. Et l’interprétation doit le prendre en compte.

Qu’est-ce qui fait qu’au bout d’une heure et demie de débat, on est plus convaincu par un candidat qu’un autre ?

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Plusieurs choses entrent en jeu. Les premières impressions jouent : la personne a-t-elle les caractéristiques que je vais chercher chez un leader ? Cela passe par un ensemble d’indices. Des indices superficiels comme la voix, la gestuelle, l’apparence, le maquillage, mais aussi dans le discours, des mots plus ou moins forts, une position de compromis ou non, etc. Tout cela est complètement mis en scène. Il y a une connaissance intuitive mais aussi théorisée des conséquences de chaque choix. La voix plus grave est ainsi interprétée comme plus signe de dominance, par exemple. Cela va s’intégrer à tout ce que l’on sait du candidat avant le débat. Le débat est une information supplémentaire. Donc cela va renforcer ou nuancer une image, pas la créer.

Sait-on si un type de discours pénètre plus qu’un autre, selon les types d’électeurs ? Un type de registre (pessimiste, optimiste, etc.) ?

Dans les mécanismes d’influence, on sait que plus une personne à l’air sûr d’elle, plus elle va être perçue comme compétente. Et normalement plus elle est perçue comme compétente, plus on est à même de voter pour elle. Cela a été étudié en laboratoire comme dans la vie quotidienne, mais dans le cadre d’un discours politique cela peut être un peu biaisé. Car un politique peut avoir l’air très sûr de lui sans être compétent.

On sait que les individus en colère sont perçus comme plus dominants, ceux qui sont plus joyeux sont perçus comme plus affiliatifs, plus dignes de confiance. Un sourire sincère, avec les yeux qui se plissent, sera plutôt pris comme un indice que l’interlocuteur a des intentions positives. Tout cela joue sur la perception du candidat. L’intensité émotionnelle du discours va aussi faire qu’on s’en souviendra plus ou moins bien. Une autre branche de recherche a mis au jour que certaines émotions étaient plus représentatives d’une certaine tendance politique. Un appariement d’émotion peut ainsi avoir un impact.

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A quel point sommes-nous aptes à être convaincus et à changer d’avis ?

Ce n’est pas quelque chose qui fait partie de mon champ d’études, car je travaille dans des contextes plus théoriques avec des candidats inconnus. Dans la vraie vie, les candidats sont connus et nous avons une idée relativement rigide, mais pas figée, d’eux. Néanmoins, on peut supposer que quelqu’un d’hésitant pourra être convaincu pendant le débat, s’il n’a pas d’a priori trop fort sur les candidats.

La politique comme sujet a-t-elle un impact sur le cerveau ? Stimule-t-elle quelque chose de spécifique ?

C’est une vraie question et elle est encore débattue. Je suis de ceux qui pensent que la politique est une manifestation de nos comportements sociaux qui va être influencée par un certain nombre de facteurs (historiques, sociaux, etc.). On peut expliquer des différences entre les individus par des différences psychologiques de bas niveau : des différences de raisonnement, de perception. Une hypothèse est, par exemple, que les conservateurs perçoivent les menaces de manière plus intense que d’autres. En somme, ce sont des différences profondes au niveau psychologique qui pourraient se manifester par des différences politiques.

Faut-il alors considérer qu’un candidat n’est bon ou mauvais que subjectivement ?

C’est ce que tendent à montrer les études oui, les caractéristiques recherchées sont assez subjectives. Mais en même temps, quelqu’un qui n’aurait pas du tout l’air sûr de soi serait sans doute perçu comme incompétent.  Donc un candidat peut être « objectivement » mauvais, mais il l’est surtout subjectivement.

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