Reproduction des élites : mais c'est qui, ce Lulu ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Culture
Reproduction des élites :
mais c'est qui, ce Lulu ?
©

Zone franche

Excellente nouvelle pour les amateurs de musique : Gainsbourg sort un nouveau disque et France Inter le passe en boucle ! Comment ça, il est mort ?

Hugues Serraf

Hugues Serraf

Hugues Serraf est écrivain et journaliste. Son dernier roman : La vie, au fond, Intervalles, 2022

 

Voir la bio »

Bourdieu, mais c’était avant qu’il ne se transforme en gourou altermondialiste à l‘attention de ceux qui ne peuvent pas lire Chomsky dans le texte, reste l’auteur d’un excellent bouquin sur la reproduction des élites en France.

Publié en 1964, « Les héritiers » (co-écrit avec Jean-Claude Passeron) décrypte les mécanismes par lesquels fortune et pouvoir se transmettent avec presque autant d’efficacité que s’il s’agissait de caractères génétiques et, à une ou deux stats près, la situation ne semble guère s’être améliorée en pas loin de cinquante ans…

Mais « la reproduction des élites », ce n’est pas seulement dans la banque, la politique, la haute fonction publique ou le capitanat d’industrie. Le monde des arts est également en première ligne, les « fils (et filles) de » étant tellement présents dans les médias qu’on se demande si les invitations à la télé se programment chez le notaire ― dès l’ouverture du testament.

Ça n’a rien de choquant en soi, évidemment, et personne ne s’étonne lorsque le fiston du charcutier reprend la boutique paternelle une fois son CAP en poche. Pour autant, quiconque comparerait sérieusement une charcuterie de quartier à une invitation permanente chez Drucker et à la vente subséquente de milliers de disques en termes de statut social et de pognon serait soit végétarien soit sourd...

Ainsi, depuis quelques jours, j’ai l’impression de ne plus pouvoir allumer la radio sans tomber sur un panégyrique du nouvel album d’un certain Lulu Gainsbourg, un inconnu dont les chansons me sont pourtant étonnamment familières.

L'écouter n’est pas exactement désagréable, ça ne donne pas envie de jeter son transistor par la fenêtre et on se prendrait même à fredonner in petto mais, en toute franchise, on se demande si le Lulu en question n’aurait pas été blackboulé dès la première sélection de la Nouvelle Star par un André Manoukian et un Philippe Manœuvre affligés :

« C’est pas mal, p’tit gars, mais il va falloir travailler encore un peu et t’acheter une personnalité si tu veux réussir dans ce dur métier. Allez, une grosse croix rouge pour le petit, euh, c’est comment ton nom déjà, Lulu. D'ailleurs, si tu veux écouter de bonnes reprises de Gainsbourg, achète-toi un disque de Bashung tu verras c’est très bien... »

De Louis Garrel à Arnaud Lagardère...

Tous les héritiers du showbizz ne sont d’ailleurs pas aussi insignifiants, loin s’en faut. Thomas Dutronc chante aussi bien que son père, Nicolas Bedos fait marrer là où son paternel ne fait plus sourire que ceux qui se souviennent de l’époque où il était drôle et pertinent, et M, rejeton de Louis Chédid, tire plutôt pas mal son épingle du jeu.

Mais la lecture d’un générique de film où se bousculent les Mastroianni (Chiara), Depardieu (Julie), Garrel (Louis), Brasseur (Alexandre), de Caunes (Emma), Doillon (Lou), Cassel (Vincent), etc. finit par agacer un poil.

N’est-il d'ailleurs pas universellement acceptable ― et qui s’en prive ? ― de se demander si un François-Henri Pinault, un Martin Bouygues ou un Serge Dassault ne président aux destinées de centaines de milliers de salariés que parce qu’ils sont nés avec une petite cuillère en or massif dans la bouche ?

Sans doute l’impact sociétal de Lulu, même si l'on convainc le public qu'il chante L’eau à la bouche comme un chef et que, se faire un prénom quand on s’appelle Gainsbourg, ben c’est pas fastoche, ne sera pas aussi important que celui d’un fils Lagardère à peu près aussi doué pour les affaires que ma grand-mère. N'empêche, un pays dont les élites sont majoritairement dynastiques, sur scène comme dans les conseils administration, ce n’est certainement pas un pays qui donne le sentiment que tout est possible.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !