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Logement : ces mesures qui seraient nettement plus efficaces pour apaiser le marché qu'un appel public du président à baisser les loyers
©Reuters

Perle

Emmanuel Macron a invité les propriétaires de logements à baisser les loyers de 5 euros. Derrière cette annonce, il s'agit de trouver et mettre en place une politique qui permette de réduire les coûts du logement en France.

Pierre-François Gouiffès

Pierre-François Gouiffès

Pierre-François Gouiffès est maître de conférences à Sciences Po (gestion publique & économie politique). Il a notamment publié Réformes: mission impossible ? (Documentation française, 2010), L’âge d’or des déficits, 40 ans de politique budgétaire française (Documentation française, 2013). et récemment Le Logement en France (Economica, 2017). Il tient un blog sur pfgouiffes.net.
 

Vous pouvez également suivre Pierre-François Gouiffès sur Twitter

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Michel Mouillart

Michel Mouillart

Michel Mouillart est professeur d'économie à l'Université Paris X, spécialiste de l'immobilier et du logement.

Il est le co-auteur de La modernité des HLM : Quatre-vingt-dix ans de construction et d'innovations (La Découverte, 2003).

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Atlantico : Ce mardi 5 septembre, à l'occasion d'un discours prononcé devant les préfets, Emmanuel Macron a appelé "publiquement tous les propriétaires à baisser les loyers de 5 euros par mois", se déclarant "surpris du silence collectif" et de l'absence d'appel "aux bailleurs sociaux, aux propriétaires à baisser le prix du logement" (...)  C'est cela la responsabilité collective". Mais au-delà des mots et des déclarations d'intention, quelles seraient les principales actions à mettre en place permettant une baisse des prix du logement en France ? 

Pierre-François GouiffèsIl est difficile de ne pas faire le lien entre la déclaration d’Emmanuel Macon et la décision budgétaire estivale baissant du même montant de cinq euros les aides personnelles au logement et d’ailleurs le ministre de l’action et des comptes publics Gérald Darmanin avait fait une déclaration de même nature. La déclaration présidentielle a généré de nombreux commentaires plutôt négatifs tant sur le principe de la mesure que sur le concept de l’appel à la générosité des bailleurs publics et privés, alors même que les loyers sont sages depuis plusieurs années. Si l’on s’extrait du court terme, on peut considérer qu’il y a eu sur moyenne période une augmentation substantielle des loyers qui sont de fait devenus le principal poste de dépenses des ménages : le poste logement est ainsi passé entre 1990 et 2014 de 23% à 29% du total de la consommation des ménages et la dépense française (25,6 %) est plus élevé que celle de la zone euro par exemple (23,8 %).

Nous payons donc plusieurs décennies de dérive, et le fait d’avoir à moyen terme des loyers modérés me semble tout à fait pertinent. Guillaume Duval a démontré dans un article de juillet d’Atlantico l’énorme avantage de compétitivité et de pouvoir d’achat que constituait pour l’Allemagne le fait d’avoir des loyers maîtrisés. Mais comment faire ? Il y a la solution « Duflot » du contrôle des loyers qu’appellent de leurs vœux certains interventionnistes. On rappellera sur ce point la fameuse déclaration de l'économiste Assar Lindbeck selon lequel « outre un bombardement, la meilleure façon de détruire une ville est par une politique de contrôle des loyers ». Cette description s’appliquait bien d’ailleurs à la France de 1945 pour laquelle les destructions liées aux bombardements et aux combats pesaient peu à côté des conséquences de moyen terme du blocage des loyers décidé en 1914.

En effet, il faut se rappeler le caractère massivement capitalistique du secteur (6% du PIB en investissement) et décourager cet investissement n’est pas sain tant pour la construction nouvelle que le maintien en état d’un parc soumis à un risque permanent d’obsolescence. Donc la solution consiste à construire dans la durée et la stabilité un écosystème générant un équilibre entre toutes les parties prenantes au logement (locataires, bailleurs, professionnels) et garantissant l’équilibre entre leurs différentes et légitimes attentions : droit au logement des locataires, respect du droit du propriété et du droit au rendement des bailleurs. Il faut trouver un système où les loyers sont maîtrisés mais où toute les parties prenantes sont respectées en tant qu’agents économiques.

Michel MouillartTout d'abord, la demande du président de la République dans son discours devant les préfets, à l’Elysée (« J’appelle publiquement tous les propriétaires à baisser les loyers de 5 € par mois ») fait suite à l’interview accordée le 16 août dernier au journal La Provence  par le ministre de l’Action et des Comptes publics, monsieur Darmanin. Celui-ci justifiait la baisse de 5 euros sur les APL en expliquant que « les APL participent d’un système qui permet aux propriétaires d’augmenter les loyers ». Puis, confirmant qu’une réforme du système des aides personnelles sera présentée au Parlement dès l’automne, il rajoute : " En attendant, chacun doit se demander ce qu’il peut faire pour le pays et en solidarité avec les plus fragiles. Les propriétaires du parc privé mais aussi les bailleurs sociaux ne peuvent-ils pas faire un effort de baisse de loyer ? ".

Maintenant, la question prend une dimension nouvelle comme je l'ai expliqué hier matin, lors de ma présentation semestrielle des résultats de l’Observatoire des loyers du secteur privé, CLAMEUR. En cas de relocation (donc entre deux locataires), depuis le début de l’année 2017 le loyer mensuel quittancé a baissé de 6 €, France entière : couvrant donc la perte d’aides personnelles, au-delà des 5 € annoncés. Avec des différences très nettes entre les régions :

  • une baisse du loyer mensuel de 3 à 4 € dans 3 régions : Aquitaine, Pays de la Loire et Rhône-Alpes ;

  • une baisse comparable à celle du montant des aides personnelles dans 5 régions : Alsace, Auvergne, Bretagne, Midi-Pyrénées et Poitou-Charentes ;

  • une baisse un peu supérieure, de 7 à 8 € par mois, dans 6 régions : Basse –Normandie, Centre, Champagne-Ardenne, Franche Comté, Languedoc-Roussillon et Limousin ;

  • mais une baisse de près de deux fois plus importante (de 9 à 10 €) que la perte d’aide personnelle dans 4 régions : Bourgogne, Lorraine, Nord-Pas de Calais et Picardie ;

  • deux régions affichant même une baisse de loyer en cas de relocation de l’ordre de 12 € par mois : Haute Normandie et PACA !

En région, cette baisse de loyer dont, par exemple, les étudiants ont pu bénéficier dans les villes universitaires est en outre totalement indépendante de la mise en place d’un encadrement des loyers en niveau au début de l’année 2017 … De plus, on peut remarquer que les loyers baissent en cas de relocation depuis 2011 dans la quasi-totalité des départements et des régions, comme pour contredire l’affirmation suivant laquelle les aides personnelles sont inflationnistes : par exemple dans l’Aisne ou dans la Nièvre pour ne prendre que ces départements pourtant révélateurs de l’affaiblissement général de la demande et des loyers. Et on constate des baisses de loyer plus de 3 % en moyenne dans 6 d’entre eux qui ne sont pourtant pas habituellement classés dans la catégorie des marchés « tendus » (Aisne, Ardèche, Haute Marne, Nièvre, Vosges et Territoire de Belfort).  

On peut de plus souligner que la question du caractère inflationniste des aides personnelles est très souvent abordée, par exemple, dans les rapports de la Cour des comptes, en 2007 et 2010, voire dans ceux de l’Inspection générale des affaires sociales, en 2012. Plus récemment encore, la Cour des comptes est revenue sur cette question dans sa présentation de « La situation et les perspectives des finances publiques » (juin 2017). La Cour propose alors de repenser entièrement le système : « A moyen terme, une réforme plus profonde du système pourrait permettre d’obtenir des gains d’efficience en remédiant aux deux dysfonctionnements majeurs des APL, leur caractère inégalitaire et inflationniste :

  • le système d’aide maintient, à situation comparable, des écarts substantiels dans le taux d’effort des locataires, selon qu’ils sont occupants du parc privé ou du parc public, ces derniers étant avantagés. Or les locataires les plus défavorisés relèvent dans leur grande majorité du secteur locatif privé ;

  • le dispositif comporte de surcroît un effet inflationniste en permettant d’entretenir dans certains cas, un niveau élevé de loyers, effet particulièrement marqué pour les logements étudiants. »

On remarquera que le caractère inflationniste évoqué par la Cour des comptes n’est qu’un des deux disfonctionnements importants qui nécessite la réforme annoncée, l’autre étant trop souvent omis par les commentateurs qui évitent ainsi d’aborder le caractère excessif (et disproportionné par comparaison avec le secteur privé, à catégorie identique de ménages logés) des aides dont bénéficie le secteur locatif social. En outre, le caractère inflationniste est limité à un « effet inflationniste » …

Au-delà des utilisations qui en sont faites, les publications qui ont abordées cette question du caractère/de l’effet inflationniste des aides personnelles et qui sont toujours citées en référence sont en réalité anciennes et n’abordent qu’un aspect partiel du problème en usant d’une méthodologie fragile et/ou de bases de données insuffisamment détaillées pour appréhender la totalité des effets en jeu.

Mais pour l’heure, les loyers du secteur privé baissent, presque partout, depuis de nombreuses années … Et la demande du président de la République avait déjà été entendue dans le secteur privé avant qu’il ne la formule. Donc, sans doute, cette demande s’adressait-elle au secteur locatif social ?

Voir aussi : Et pendant ce temps-là, l'Allemagne investit sur sa stabilité politique en appaisant les tensions du marché du logement 

Quelles sont les causes réelles de la hausse des prix des logements en France, notamment dans les zones les plus concernées ? En dehors des "forces du marché", quelles sont les mécanismes, les régulations, etc…qui favorisent la hausse des prix, aussi bien pour les locataires que pour les propriétaires ?

Pierre-François GouiffèsLa maîtrise à long terme des prix de logement n’a jusqu’aux déclarations récentes de l’exécutif pas réellement constitué un objectif réellement suivi.

Concernant le prix des actifs, un des facteurs générateurs de hausse peut être constitué par un certain malthusianisme foncier. Les économistes Kramarz et Tibi évoquent par exemple la capacité des propriétaires présents dans une localité chère de se regrouper et de faire valoir leurs intérêts financiers auprès des élus qui en France disposent depuis 1982 d’une grande partie du pouvoir d’urbanisme. Il y aussi le sujet des normes de construction de plus en plus « ambitieuses » qui ont abouti à une hausse du cout de la construction de près de 60% en dix ans.

La question du prix du logement est un sujet de prime importance car le logement constitue pour Louis Chauvel tout simplement le principal facteur de régression sociale.

Dans quelle mesure une "libéralisation" du marché ou la dérégulation de la construction peuvent-elles suffire à contenir les prix immobiliers ? Dans quelle mesure une intervention de l'État est-elle nécessaire pour permettre de contenir les prix ?

Pierre-François Gouiffès Le logement est un objet tout à fait particulier avec des dimensions sociétale, économique et financière et une dimension de « bien tutélaire » rendant quasiment inéluctable un certain niveau d’intervention publique. Le secteur est donc dans une position intermédiaire entre des activités relevant essentiellement des mécanismes de marché et des activités fortement administrées et socialisées comme la santé ou l’éducation en France.

Il faut donc concilier la dimension marché et la régulation, ne plus construire les politiques du logement sur la base d’une méfiance a priori des mécanismes d’autorégulation afin de trouver le bon équilibre entre marché et gestion administrée. Ainsi la puissance publique pourrait fixer un objectif de long terme sur une maîtrise des prix, mais en laissant les acteurs s’organiser pour converger progressivement vers cette ambition de moyen long terme.

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