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Libération de Paris : les ultimes manœuvres de Pierre Laval
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Bonnes feuilles

Aux premières histoires de la libération de Paris ont succédé les grandes polémiques, comme la lancinante mise en accusation des communistes par les gaullistes à propos des tireurs des toits. Jean-François Muracciole éclaire l’événement sous des angles négligés jusqu’ici. Extrait de "La Libération de Paris" (2/2).

Jean-François  Muracciole

Jean-François Muracciole

Spécialiste de la Résistance et de la France libre, Jean-François Muracciole enseigne à l’université Paul Valéry de Montpellier. Il est l’auteur, chez Tallandier, de «Les Français libres, l’autre Résistance» (2009).

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Après le débarquement, l’appareil d’État de Vichy tombe comme un fruit mûr et passe sans coup férir sous le contrôle de la Résistance dans les départements libérés. L’ultime intention des dirigeants de Vichy est alors de ménager une porte de sortie honorable à l’État français en sauvegardant le principe de sa légitimité. Une course de vitesse s’engage alors entre Laval et Pétain pour déterminer lequel des deux parviendra le premier à conclure un accord avec les Américains tout en laissant de Gaulle sur la touche. Il s’agit en quelque sorte de rééditer les événements algérois de novembre 1942, mais cette fois au profit de Vichy. Laval mise sur l’hostilité des Américains à de Gaulle et recherche une solution parlementaire. Le 7 août, il apprend que les autorités vichystes de Paris (le préfet de police Bussière, Victor Constant, le président du conseil général de la Seine, Pierre Taittinger, le président du conseil municipal de Paris) envisagent d’accueillir solennellement les Américains sur le perron de l’Hôtel de Ville en compagnie du maréchal Pétain et de lui-même.

Installé à Paris à partir du 8 août 1944 et retrouvant ses vieux réflexes parlementaires, Laval commence par consulter et en vient à la conclusion que la réunion de l’Assemblée nationale donnerait encore plus de légitimité à cette passation de pouvoir. Il sonde, à droite, Anatole de Monzie et, à gauche, Paul Faure et s’assure le feu vert d’Abetz. Ce dernier affirme dans ses mémoires, sans doute pour se donner, une fois encore, le beau rôle, qu’il fut avisé de son projet par Laval et qu’il l’autorisa, mais sans en référer à Berlin. En réalité, Abetz s’empresse d’alerter Ribbentrop qui, curieusement, donne son accord dans un premier temps. De toute façon, cela ne change rien à la situation. Laval ne prend guère de précautions et Oberg, le chef des SS en France, a immédiatement vent de l’affaire et en informe également Berlin. Le 11 août, Laval réunit les maires de la région parisienne. Ce sera son dernier succès : 87 des 89 maires sont présents. Ces derniers ont tous été nommés ou maintenus par Vichy depuis 1940 et, en leur sein, les « lavaliens » sont légion, encadrés par le fidèle Victor Constant. Laval fait part de ses intentions aux édiles parisiens qui, unanimes, votent un texte par lequel ils déclarent lui faire toute confiance pour trouver « les voies du salut qui conduiront le pays vers sa résurrection ». Dans ce texte, aucune allusion à la Résistance ni à de Gaulle, encore moins à la République. Berlin ne mettant pas son veto et le soutien des élus parisiens étant assuré, la voie est libre pour la seconde phase de l’opération. Laval imagine alors de convoquer les Chambres en leur demandant de désigner le nouveau chef du gouvernement et de rétablir la IIIe République. Ce que le Parlement a fait à Vichy le 10 juillet 1940, il peut le défaire à Paris en août 1944. S’il est impossible de réunir les parlementaires, on envisage, en application de la loi Tréveneuc de 1872, de se replier sur l’accord des conseils généraux. Votée au lendemain de la défaite de 1870, la loi Tréveneuc dispose qu’en cas d’empêchement de l’Assemblée nationale, les conseils généraux peuvent se substituer à elle.

Observons que les milieux giraudistes, à Alger, ont déjà envisagé, en 1943, d’exhumer cette vieille disposition contre de Gaulle. Mais, pour que la manoeuvre réussisse, il faut à Laval la caution de grands parlementaires. Il fait ainsi libérer Édouard Herriot, le dernier président de la Chambre des députés, qui s’est pourtant rallié à de Gaulle par une lettre en mai 1943. De santé fragile, affaibli, Herriot est en résidence surveillée à Maréville, près de Nancy, après avoir été détenu dans la station d’Évaux-les-Bains. Le 12 août, Laval est à Nancy où, sans grande difficulté, il convainc Herriot de le suivre à Paris. Les deux hommes rentrent dans la capitale le soir même, escorté par un officier SS, le lieutenant Nosek, délégué par Oberg. Laval installe aussitôt l’ancien président du Conseil à l’Hôtel de Ville, dans les appartements du préfet de la Seine Bouffet. Laval joue très serré. Pour que ce numéro d’équilibriste réussisse, il faut la carte blanche des Allemands, mais aussi l’accord au moins tacite des Américains. Laval fait donc sonder Allen Dulles, le chef de l’OSS installé à Berne qui, prudent, se contente de lui assurer que, s’il faisait libérer Herriot, Roosevelt lui en tiendrait compte. Herriot est d’abord séduit, peut-être même flatté, par le projet de Laval. Mais, très vite, le vieux briscard prend la mesure de la situation et devient méfiant, avançant mille prétextes pour tergiverser. Pour justifier son refus de convoquer l’Assemblée nationale (expression qui désigne la réunion des deux Chambres sous la IIIe République), il se réfugie derrière l’accord de son collègue Jules Jeanneney, le président du Sénat et, protocolairement, le président en titre de l’Assemblée nationale. Or, Jeanneney est alors en résidence chez son fils à Grenoble, c’est-à-dire, dans le contexte matériel de la France d’août 1944, à l’autre bout du monde. Il en faut plus pour décourager Laval qui charge Blondeau, un haut fonctionnaire, d’aller chercher le président Jeanneney à Grenoble. Le temps passe dangereusement et Herriot se contente désormais de lire la RF en fumant des cigares sous la bonne garde de son ange gardien Nosek.

Il a plusieurs entretiens très cordiaux avec Laval, les deux hommes évoquant le temps passé et semblant tranquillement préparer un gouvernement d’avant guerre, mais le maire de Lyon devient subitement hésitant dès que Laval évoque l’avenir. C’est alors que, pour Laval, tout se dérègle. La Résistance, à son tour, entre en scène. Le 13 août, une affiche des FUJP, apposée dans Paris, dénonce les « maquignons de la politique » tout en affirmant que le « peuple de Paris » se dressera contre ces manoeuvres et que le seul gouvernement légal est celui du général de Gaulle. Ayant eu vent des manoeuvres de Laval, certains milieux de la Résistance parisienne, sous la houlette du sous-préfet Yves Bayet, membre de l’organisation de résistance Honneur de la Police, envisagent même d’enlever Herriot. Mais le projet est finalement abandonné après qu’André Enfière, qui est lié à Herriot, est parvenu à rencontrer Parodi et Bidault, le 15 août, et à les dissuader de recourir à de telles extrémités. Dans le même temps, Périer de Férol, le secrétaire général de la préfecture de la Seine et membre de l’ORA, une organisation de résistance bien implantée à Paris, parvient de son côté à convaincre Blondeau de renoncer à aller chercher Jeanneney à Grenoble.

En outre, Laval ne parvient pas à nouer un véritable contact avec les Américains ni à convaincre Pétain de quitter Vichy pour se rendre à Paris afin de couronner la manoeuvre parlementaire. Enfin, Berlin met son veto. Même si Abetz avait donné sa caution personnelle dans un premier temps et même si Ribbentrop avait un moment vacillé, les dirigeants nazis (en particulier Goebbels et Himmler) refusent catégoriquement de voir réapparaître les symboles parlementaires de la vieille Europe. Les chefs de l’ultracollaboration (Déat, Brinon, Bonnard, Darnand), présents à Paris encore pour quelques heures, partagent le même point de vue. Révulsés devant la perspective d’une renaissance du parlementarisme, ils usent des derniers feux de leur influence à Berlin pour obtenir l’abandon de la manoeuvre. Le 16 août au soir, vers 22 heures, Herriot se voit signifier par l’inévitable lieutenant Nosek qu’il doit repartir aussitôt pour Nancy sous bonne escorte. Pierre Bourget cite cet extrait des mémoires de Nosek aussi amusant que significatif de l’état d’esprit d’Herriot en ces journées du mois d’août 1944 : Je me rendis seul chez Herriot [en réalité à l’Hôtel de Ville] qui me reçut déjà en pyjama et en robe de chambre. Lorsque je l’informai de ce que j’avais à lui dire d’après les ordres reçus, Herriot eut un véritable accès de fureur. Il cria à haute voix quelque chose comme : « À quoi pensezvous ? Pour qui me prenez-vous ? Je suis le président de la Chambre française, j’ai toujours été correct à l’égard de l’Allemagne et je vous interdis un tel traitement, etc. » […] En hurlant ces paroles, souvent à peine compréhensibles, il frappait du poing sur la table en sorte que toute la chambre tremblait. Attirée par ce bruit, sa femme arriva, laquelle aussi en robe de chambre, se précipita dans la pièce et ne cessa de dire : « Édouard, tranquillisetoi »

Finalement, le 17, après avoir tranquillement déjeuné à l’hôtel Matignon en compagnie de Laval et d’Abetz, Herriot et son épouse reprennent la route de Nancy. Herriot n’y demeure que quelques jours avant d’être conduit en résidence surveillée à Potsdam où il ne sera libéré qu’en avril 1945 par les Soviétiques. Ainsi se terminait l’ultime tentative de Pierre Laval pour se ménager et ménager à Vichy une porte de sortie honorable. Si les Allemands se souciaient comme d’une guigne de cette perspective, ils entendaient, en revanche, conserver un gouvernement « français » à leur discrétion qui pourrait animer une « résistance » contre l’« envahisseur » anglosaxon. Le 17 août, arrive de Berlin une ferme instruction de Hitler et de Ribbentrop : l’intention des autorités allemandes est de « déménager » le gouvernement français à Belfort, si besoin est par la force. Ce même jour, vers 18 heures, Laval réunit à Paris un dernier Conseil des ministres plus ou moins fantomatique. Autour de la grande table de l’hôtel Matignon, dont la Résistance ne va pas tarder à prendre le contrôle, on ne trouve, en effet, outre Laval, que six ministres : Jean Bichelonne (Production industrielle), Abel Bonnard (Éducation nationale), Raymond Grasset (Santé), Paul Marion (secrétaire d’État auprès du chef du gouvernement), Pierre Mathé (Agriculture) et Maurice Gabolde (Justice). Les ministres rejettent fermement l’ultimatum allemand, mais répugnent également à tout acte de résistance collective. Dans ces conditions, Laval se résout à refuser d’exercer dorénavant les fonctions de chef du gouvernement. Il transmet une ultime protestation à Abetz : « Je voulais accomplir jusqu’au bout et quels qu’en soient les risques, mon devoir de chef du gouvernement. Je dois m’incliner, mais vous comprendrez que, dans ces conditions, je cesse d’exercer mes fonctions. »

Finalement, vers minuit, au ministère des Travaux publics, boulevard Saint-Germain, les ministres de Vichy montent dans des voitures qui, sous forte escorte des SS, les conduisent dans la nuit à Belfort où devaient les rejoindre les ministres enlevés à Vichy quelques jours plus tard dans des conditions similaires. Seul Grasset parvint à tromper la vigilance des Allemands et à disparaître dans la nature. Avant de quitter Paris, Laval eut le temps de signer une dernière série de décrets. L’un d’eux maintenait en poste les deux préfets de Paris : Bouffet (préfet de la Seine) et Bussière (préfet de police). Les instructions de Laval donnaient mission aux préfets d’assurer le ravitaillement et de représenter le gouvernement pour prendre contact avec les Alliés. En réalité, la place était vide et l’autorité des deux préfets, de même que celle de Pierre Taittinger, le président du conseil municipal de Paris, réduite à sa plus simple expression. Depuis le 15 août, le préfet de police avait perdu le contrôle des forces qu’il était censé diriger. Les trois hommes durent se contenter de demander officiellement au général von Choltitz d’épargner Paris.

Extrait de "La libération de Paris", Jean-François Muracciole, (Editions Tallandier), 2013. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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