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Libération : presse d'information ou nouveau journal officiel ?
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Pravda

Alors que Libération tente d'augmenter ses ventes avec des unes "choc", la situation économique du quotidien reste précaire, et de constantes perfusions d'argent public permettent de maintenir le titre à flot.

Benjamin Dormann

Benjamin Dormann

Benjamin Dormann a été journaliste dans la presse financière et trésorier d'un parti politique. Depuis 18 ans, il est associé d'un cabinet de consultants indépendants, spécialisé en gestion de risques et en crédit aux entreprises. Il est executive chairman d'une structure active dans 38 pays à travers le monde. Il est l'auteur d’une enquête très documentée : Ils ont acheté la presse, nouvelle édition enrichie sortie le 13 janvier 2015, éditions Jean Picollec.

Le débat continue sur Facebook : ils.ont.achete.la.presse et [email protected].

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Depuis des années, les directions des journaux pratiquent  la méthode Coué pour commenter leurs piteuses performances financières. De l’Humanité au Figaro, en passant par Le Monde et Libération, l’antienne reste partout la même pour décrire l’inexorable baisse de leurs ventes papier : "ça va mieux, ça se redresse".

Lors de son arrivée à Libération, Nicolas Demorand n’a pas dérogé pas à cette langue de bois. Dans un édito pompeusement titré "L’identité de Libération n’a jamais été aussi moderne", il affirmait fièrement "Libération va bien… le résultat net de l’entreprise est positif", oubliant sans doute à cet instant le redressement judiciaire prononcé à l’encontre de la société, en mars 2009, Libération étant toujours sous plan de sauvegarde en 2012.

Un résultat positif ? Mais cela a-t-il encore un sens économique, quand ce résultat comptable, tout comme la survie économique de la plupart de nos titres d’information, dépend en réalité avant tout des dernières décisions de Matignon et de nos parlementaires en matière de presse ? Rappelons qu’en France, notre presse est subventionnée à plus de 20% de son chiffre d’affaire, contre 2% en moyenne en Europe.

Certes, mieux vaut être "comptablement bénéficiaire" que d’afficher des résultats catastrophiques, tel le quotidien l’Humanité qui a clôturé son exercice 2011 en fortes pertes. Cela n’empêche nullement ce dernier de continuer tranquillement son exploitation, malgré des fonds propres négatifs pour la septième année consécutive (10 millions d’euros de trou, soit un tiers de son CA. Un gouffre…), et ce sans recapitalisation, en violation de toute les règles élémentaires de gestion d’entreprise. Combien de sociétés en France sont-elles autorisées par les pouvoirs publics à poursuivre leur exploitation dans de telles conditions ? La sacro-sainte protection de la liberté d’expression a décidément bon dos. Elle évite de demander des comptes à un groupe de presse, fervent défenseur du monde ouvrier, mais qui ne compte paradoxalement qu’1 seul ouvrier parmi ses 225 salariés, au côté de 46 employés, techniciens et agents de maitrise, encadrés par… 178 cadres (un nombre de cadres en hausse, grâce à de récentes embauches, tandis que les ventes continuent de baisser !).

Voici donc cette presse de gauche qui se découvre "gestionnaire" et se félicite de devenir "bénéficiaire", même si c’est abusivement, comme dans les cas de Libération et de Mediapart (au sujet de la réalité des résultats de Mediapart, lire la nouvelle édition de Ils ont acheté la presse, sortie le 10 avril 2013. Précédente édition épuisée). Mais enfin, rappelons qu’en économie de marché, cela n’a de sens que si la société tire ses revenus principalement de ses clients, et non de l’argent public. Or, la réalité est que le journal Libération, comme tant d’autres, ne doit son équilibre comptable, qu’à la réception de millions de subventions annuelles.

En plus de ces subventions directes et indirectes, nombre de journaux ont trouvé le créneau consistant à développer leurs ventes non payées par les lecteurs, mais qu’ils arrivent à faire payer par des tiers (type ventes aux compagnies aériennes…). Depuis l’arrivée du banquier Matthieu Pigasseà la tête des Inrockuptibles, ces ventes à des tiers représentent désormais 27% des ventes France payées de cet hebdomadaire (en décembre 2012), contre 0% avant son arrivée… permettant de compenser la baisse des abonnés payants. 27%, le même pourcentage que celui des ventes "à des tiers" réalisées par Libération.

Et voici que pour 2013, Libération vient de trouver une nouvelle manne d’argent public à recevoir, histoire de se rendre encore un peu plus dépendant du pouvoir. En effet, Nicolas Demorand, son directeur de la rédaction, contesté pour sa violation des statuts et qui a déjà "essuyé deux expressions de défiance"  de sa rédaction, a indiqué, à l’AFP, une de ses solutions pour redresser les comptes du journal : "Le journal compte aussi sur des créations d'événements en province pour se financer… Libération organisera en 2013 pas moins de 23 évènements et conférences contre 4 en 2011." Bonne idée à première vue. Du débat, de la qualité, un besoin de ses lecteurs… Sauf qu’une fois encore, ce ne seront pas les lecteurs présents à ces conférences qui paieront la note, mais les contribuables qui n’y assisteront pas !

En effet, arrêtons-nous un instant sur les modalités du débat-conférence de deux jours, organisé à Rennes par Libération, le week-end du 29 et 30 mars 2013 :
-          Une entrée libre pour tous, selon le vieux principe selon lequel ce n’est pas au client de payer, mais à la collectivité.
-          De multiples  "parrains" du service public : France Culture, France 3 Bretagne, Métropole Rennes, Rennes.fr,… avec naturellement la  participation du maire socialiste de Rennes, tant pour y assister que pour puiser dans les caisses de la région, à cette occasion.
-          Cerise sur le gâteau : pas moins de six ministres du gouvernement, plus un ancien Premier ministre, un ancien ministre, qui font le déplacement à Rennes, pour cet évènement commercial privé, et vont y prêcher la bonne parole (il est vrai que la période est calme et qu’ils sont peu occupés…).

En d’autres termes, le bénéfice escompté par Libération de ce genre de manifestation repose sur la réception de nouveaux fonds publics, pour donner la parole aux représentants du pouvoir en place (face, il est vrai, à une eurodéputée du Modem, anti-sarkozyste affichée, et un sénateur UMP peu connu, simulacre d’équilibre politique oblige…). Autant rattacher directement le personnel de Libération au service de communication du gouvernement, ou à Claude Sérillon, hier journaliste sur une chaine publique, aujourd’hui au service du président Hollande, à l’Élysée. Est-ce cela l’information "indépendante" qu’attendent les citoyens ? Est-ce cela le quatrième pouvoir en France ?

Pour information, le thème du débat organisé par Libération à Rennes était La confiance règne ? (formulation accessoirement entachée d’une faute de français, comme de coutume dans le journalisme "moderne"). Une chose est sûre : le gouvernement peut avoir entière confiance en Libération, à la différence de ses lecteurs qui continuent, eux, à déserter les kiosques. En contrepartie, ce gouvernement va continuer à "acheter", euh pardon… à "soutenir" cette presse d’information, tout comme l’avait déjà honteusement fait le gouvernement de Nicolas Sarkozy. Ainsi, la ministre Aurélie Filipetti a récemment déclaré travailler activement à un projet de réorientation des aides du gouvernement vers la presse "d’information citoyenne", selon son propre terme.  Avec ce futur énième coup de pouce "citoyen", les résultats de Libération devraient pouvoir continuer officiellement à se redresser ; mais pas forcément la crédibilité de ses journalistes. Malheureusement pour eux, et pour nous tous.

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