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Lettre ouverte à M. le Président de la République sur les leçons du traité de l’Elysée de 1963 qu’il semble oublier
©Rémi Mathis / CC BY-SA 3.0

Courrier pour l'Elysée

Une tribune de Jean-Luc Schaffhauser, député européen du Rassemblement bleu Marine, sur la France et l'Union européenne.

Jean-Luc Schaffhauser

Jean-Luc Schaffhauser

Jean-Luc Schaffhauser est ancien député européen apparenté RN.

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Lettre ouverte au Président de la République

Monsieur le Président, vous avez opéré un retour à un ordre symbolique. Vous vous éloignez ainsi de votre prédécesseur et pseudo mentor; cela n’est pas très difficile! Les symboles sont importants en politique, encore faut-il que le signifiant renvoie au signifié, votre traité de l’Elysée de 2018 à celui du 22 janvier 1963. Que nous apprend le traité de 1963 ?

Comme vous les savez, le général De Gaulle voulait, par le couple historique qu’il formait alors avec le Chancelier Adenauer, ancrer l’Allemagne dans une Europe des Nations, indépendante et forte. Cette formule française de couple, utilisée ultérieurement, n’a d’ailleurs pas sa traduction allemande. L’Allemagne veut-t-elle, d’ailleurs, faire couple avec nous ?

Le plus grand résistant à l’impérialisme germain–impérialisme qui nous avait, quand même, valu trois guerres, en 70 ans - patriote, s’il en fut -savait que le patriotisme et le respect des souverainetés nationales, c’est-à-dire le nationalisme, c’est la paix ! Seul l’impérialisme veut imposer aux autres sa domination et conduit à la guerre ! De Gaulle voulait contenir l’impérialisme germanique dans une Europe des Nations. Le Traité de l’Elysée est le prolongement du Plan Foucher de 1962, d’une reconstruction de l’Europe sur la base des souverainetés nationales.

Ce n’est pas votre projet! Vous voulez vous battre contre les nationalistes, vous devriez vous battre contre les impérialistes – quels qu’ils soient et d’où qu’ils viennent - et d’abord contre l’impérialisme fédéraliste de l’Europe de Bruxelles au service de l’impérialisme US.

Le Traité de 1963 ne porta aucun point majeur sur l’OTAN, le GATT, les Etats-Unis ou même la Grande-Bretagne (à l’époque non membre) afin que la France construisît, avec l’Allemagne, cette Europe indépendante pesant de tout son poids dans l’équilibre des puissances et ceci pour la paix et la liberté des peuples, ce qui implique le plein respect des souverainetés.

Le chancelier Adenauer, véritable rhénan ayant lutté contre le nazisme, homme libre comme le Général, soutenait cette perspective. Il avait, entre autres, constaté le jeu velléitaire des Américains qui laissèrent se construire le mur de Berlin, sans intervenir militairement immédiatement. Le Général De Gaulle souhaitait, lui, intervenir maissans réponse des Anglais et des Américains, il ne voulut pas prendre seul une telle initiative. Adenauer comprenait, également, que le terrain européen risquait d’être le terrain d’affrontement nucléaire des deuxgrands impérialistes, sans que l’Europe puisse l’empêcher; il appuyait la puissance nucléaire française, contre les Etats-Unis, pour le bien de l’Europe.

Mais il n’en fut pas de même pour d’autres gouvernants allemands. Certains tenus par leur passé nazi ; d’autres, s’alliant toujours à n’importe quelle autre puissance, pour contrer la France, ces deux factions conjuguées constituèrent une majorité d’opposition au Chancelier et au traité d’indépendance de l’Elysée ! Le Bundestag vota le 15 juin 1963, ainsi, un préambule à la loi portant ratification du traité qui le vida de toute affirmation d’indépendance européenne en soulignant, au contraire, la dépendance aux Etats-Unis et la fin d’un protectionnisme économique raisonné (zollverein) de nos frontières.

Jean Monnet, agent américain s’il en fut, était passé par là !

Le général De Gaulle se sentit trahi. Dès décembre 1963, il élabore et confie à Peyrefitte sa nouvelle stratégie. « Nous avons voulu faire une politique d’entente avec les Allemands. Si les Allemands nous glissent entre les doigts, eh bien, nous avons les moyens de nous retourner ! »

Ce sera la période du grand rayonnement de la diplomatie française au XX siècle avec la reconnaissance de la Chine, les discours de Phnom Penh, Mexico, Montréal, le rapprochement avec l’URSS et les non-alignés etc…bref la France-sous De Gaulle - portait le monde non aligné et travaillait à l’équilibre des puissances ; à défaut d’une Europe indépendante, il y aurait une France indépendante dans le concert des Nations.

Monsieur le Président, peut-être cherchez-vous, vous aussi, à replacer la France dans cette position d’équilibre des Puissances qui est la sienne ? En invitant le Président Poutine, le Président Trump, le Président Egyptien Al-Sissi ou le Général Haftar, en nouant avec la Chine une forte alliance, vous ne vous y prendriez pas autrement ! Mais est-ce pour diluer notre pays dans cette souveraineté européenne, alors votre projet d’équilibre des Puissances et donc de paix est vain ? La souveraineté européenne, le Général ne se fit aucune illusion:« Vous savez ce que ça veut dire, la supranationalité ? La domination des Américains. L’Europe supranationale, c’est l’Europe sous commandement américain » dira-t-il le 13 mai 1964. Aujourd’hui, encore, cette domination se décline par la suprématie financière US, le droit US et l’armée US ; c’est ça l’Etat profond US.

L’Allemagne officialisera au XXI siècle son mariage avec cet Etat profond US; plus exactement le 24 février 2004, sous Georges W. Bush. Trop de liens se sont, en effet, tissés dans l’appareil économique et gouvernemental allemand, avec le renseignement,les lobbies financiers et économiques.L’opposition allemande de la Chancelière au PrésidentTrump – celui-ci s’opposant au mercantilisme germanique et parlant du concert des Nations contre les institutions supranationales, s’opposant en quelque sorte comme Roosevelt à cet Etat profond US –se comprend dans le cadre du fédéralisme européen au service des intérêts américains de l’Etat profond mais aussi, tant qu’à faire, au service tout simplement de la domination germaniqueen Europe.

Monsieur le Président de la République, votre relative jeunesse, vous permet de ne pas avoir à porter des rêves périmés et d’avoir assez d’énergie pour refonder. Vous semblez proposer une refondation fédéraliste avec des exigences impossibles, est-ce pour mieux laisser un espace ouvert à l’Europe des Nations, que nous souhaitons, nous, bâtir. Dès fois, je me prends, moi aussi, à rêver, car, en réalité, il n’y a pas d’autre refondation possible ! Mais pour l’instant, vous affirmez tout et son contraire en même temps ! L’ambiguïté peut, certes, laisser la place à l’adaptation en politique, mais avecle nouveau Traité de l’Elysée, on est loin du compte !

Permettez au Rhénan et Germain –que je suis aussi (l’Alsace est de culture germanique et française) d’évoquer quelques réalités désagréables pour les rédacteurs et inspirateurs de ce nouveau traité et de vous dire comment il eût fallu le rédiger!

Comment la France, peut-elle retrouver sa compétitivité ? Ce que votre second Traité de l’Elysée tait !

Notre Pays est le champion de la dépense publique, en Europe et au monde. A périmètre équivalent, nous avons entre 8 et 10 points de dépenses publiques de plus que l’Allemagne. Ce qui est plus grave, cette dépense publique supplémentaire pèse essentiellement sur nos entreprises. Les entreprises françaises paient 8% points de PIB de plus que les entreprises allemandes, en impôts et taxes divers. C’est un suicide économique ! Seuls peuvent survivre les très grands groupes français, par l’optimisation fiscale, vitale pour eux. Les entreprises familiales, intermédiaires, les autres PME, sont condamnées par l’Etat français et sa dépense publique. Par manque de capacité financière propre, elles vont devoir s’endetter ou se faire racheter par un plus gros, qui est rarement français.

Dans ce contexte, la coopération transfrontalière, l’Eurométropole, (je suis un conseiller de l’Eurométropole) sont des gadgets qui masquent une union déséquilibrée au profit de l’Allemagne. Nous avons le plus grand déficit commercial de l’Union, elle a le plus grand excédent de l’Union, proportionnellement du monde ! Le tramway de l’Eurométropole sert, alors, à acheter en Allemagne, les mêmes produits, moins chers car moins taxés ! Pendant ce temps, nos commerçants strasbourgeois ferment boutique !

Alors expliquez-moi, comment reformer la France – face à un tel gap – sans transferts massifs dans l’investissement rentable - accompagnant la diminution de la dépense publique - ou sans utilisation – comme nous voulions le faire – des facilités de la BCE, investies dans l’économie réelle ? Ces deux instruments ne verront pas le jour ; la France va donc continuer à s’endetter et à se désindustrialiser en perdant tous les moyens de sa souveraineté. Je ne peux l’accepter !

Ensuite, l’Agence d’innovation existe déjà : c’est l’institut franco-allemand de recherche de Saint Louis. Lorsque en 2004, nous voulions élargir sa base militaire à toute l’innovation industrielle, y faire participer d’autres pays dont la Russie, l’Allemagne s’y opposa !

Et pour finir le numérique : j’ai porté au Parlement Européen, le projet d’une souveraineté européenne – dans ce domaine – donc d’un certain protectionnisme européen pour nous permettre d’atteindre la taille critique des Gafa US, comme le font d’ailleurs la Chine et la Russie ; les premiers à s’opposer à une telle initiative furent, à nouveau, les Allemands !

J’en suis aujourd’hui à penser qu’il nous faut un choc de compétitivité et que ce choc ne peut venir que de la sortie de l’euro, sans ces transferts internes – que vous souhaitez mais que nous n’obtiendrez pas - impossiblesà réaliser. Dans la chaîne moderne des valeurs, cette opération est certes risquée mais nous n’avons actuellement que le choix entre mourir à coup sûr ou nous sortir de cette spirale infernale de la destruction de notre pays.

La raison d’une politique économique n’est pas la survie de l’euro mais la survie du pays ! Je pense, même, que la France doit sortir des institutions européennes – un frexit – pour rebâtir l’Europe sur de nouvelles bases !

Oui monsieur le Président, c’est ça la tragique réalité ! Les chimères européistes font-elle face à la réalité ? Alors opposons nos projets ! Et que le meilleur gagne, pour que la France gagne !

[1] 27 février 2004 : Le Président américain George W. Bush et le Chancelier d’Allemagne Gerhard Schröder signent l' Alliance germano-américaine pour le XXIe siècle ("Dasdeutsch-amerikanischeBündnisfürdas 21. Jahrhundert“

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